Pour en finir avec le mythe de l’automobile

La liberté de circuler
Pour en finir avec le mythe de l’automobile

par Colin Ward

Je viens de terminer ma lecture du livre La liberté de circuler – Pour en finir avec le mythe de l’automobile, par Colin Ward, né en 1924, écrivain anglais, journaliste free-lance collaborateur de la presse libertaire anglo-saxonne. Voici ce qu’on peut lire au dos du livre:

Le XXIe siècle nous permettra-t-il d’échapper à l’ère automobile que fut le XXe siècle ? L’automobile a fait son apparition en tant qu’amusement réservé aux riches et condamné par les gens ordinaires comme une arme mortelle lâchée dans les rues. A mesure qu’on avançait dans le siècle, elle en est venue à apparaître comme une nécessité pour toutes les familles, à détruire la viabilité économique d’autres moyens de déplacement, à transformer l’environnement, et les victimes qu’elle faisait parmi les autres utilisateurs de la route étaient de plus en plus considérées comme responsables de leur propre vulnérabilité. D’immenses industries se sont créées autour de ses besoins.

Les idées des gens peuvent changer, mais il est beaucoup plus difficile de changer leurs habitudes. Pourtant, ce sont des millions de décisions individuelles qui ont mené à notre esclavage vis-à-vis de l’automobile. Est-il possible que des millions de choix individuels nous en libèrent ?

Colin Ward défend depuis de nombreuses années le principe des transports en communs gratuits dans les villes, l’arrêt de la construction des autoroutes, l’investissement dans les chemins de fer et les taxis collectifs comme ce qui s’ébauche aujourd’hui en Suisse et en Hollande.

Voici quelques phrases tirées du livre qui résument, selon moi, chacun des chapitres.

1. Voyageurs solitaires ou chemin de fer?

Le moteur à combustion interne était une invention en attente d’inventeur. Lorsqu’on s’apperçut des conséquences néfastes pour l’environnement de la prolifération de l’automobile, un nombre considérable de gens étaient déjà devenus totalement dépendants. On ne peut pas la désinventer. L’idée que la fin de l’ère automobile puisse arriver par l’épuisement des carburants est une illusion.

Ceux qui utilisent la voiture ont une totale liberté de choix, mais cette liberté est limitée en pratique par le fait que des millions d’autres personnes exercent cette même liberté en même temps. La voiture représente donc le summum de la décentralisation et le comble de l’absurdité.

2. Mais pourquoi les gens ne restent-ils pas chez eux?

Le lent déclin des canaux a commencé avec l’ère du rail, car c’était souvent les mêmes groupes d’investisseurs qui s’intéressaient au chemin de fer. Les routes elle-mêmes furent abandonnées aux pauvres, aux vagabonds, aux petits déplacements et aux transports locaux. Cependant, le Parlement commença à soumettre l’octroi des licences d’exploitation à un certain nombre de conditions. L’une de ces conditions était que la compagnie de chemins de fer devait fonctionner comme une “voie publique”, c’est-à-dire accepter toutes les marchandises pour quelque destination que ce soit et assurer la livraison au destinataire final par voiture à cheval. L’arrivée de la gare transforma la vie villageoise.

Le véritable coût du transport routier n’apparaît pas. Depuis quand le tant vanté “point de vue du marché” suppose-t-il que le consommateur d’un bien ou d’un service paie moins pour un produit qui coûte plus cher? Contrairement à ce qu’essaie de faire croire le lobby de l’automobile, un grand nombre d’automobilistes ne sont pas des conducteurs volontaires. Ils considèrent la voiture comme une nécessité coûteuse et regrettable.

3. Le contre-courant individualiste

Une planification globale – c’est-à-dire qui tenterait de maximiser les avantages de l’automobile en conciliant par une politique volontariste les besoins et les ressources – demeurait impossible. Après soixante et quelques années d’une politique essentiellement de laisser-faire dans le domaine de l’automobile, toute tentative de mettre en place une politique active, quels que fussent ses objectifs, risquait d’être critiquée comme “anti”-automobile. Les gouvernements successifs trouvèrent plus commode de ne pas afficher des idées de ce genre, même s’ils étaient parfois amenés à les mettre en pratique. (William Plowden, The Motor Car and Politics in Britain, 1971.)

4. Le coût humain de la liberté de circuler

Aux États-Unis, le nombre d’individus morts sur la route entre 1913 et 1976 est plus du triple de celui des américains tués dans l’ensemble des guerres auxquelles ce pays a dû participer. Enfants, parents, chefs de famille sont frappés indistinctement, tués, mutilés, blessés ou pour le moins traumatisés. Pour chacun de ces accidents qui font deux ou trois lignes dans les journaux, c’est ensuite toute une histoire vécue dans un quaisi-silence, peut-être des années de souffrance, de peine et de deuil.

5. Le coût pour l’environnement

Ceux qui se sont le plus servis de l’analyse coût-avantage sont les investisseurs publics dans les équipements de transport: autoroutes, ports maritimes et aéroports, routes et voies ferrées les reliant. Or, ils remarquent à peine le dixième des conséquences de leurs projets pour la société. Par exemple, ils remarquent rarement les effets qu’aura la construction d’une route sur les circuits empruntés par les piétons, et ils ne savent donc pas quel territoire demeurera libre et sans danger pour les enfants de tous âges, comment la modification des règles de sécurité et des contraintes affectera les relations des parents et des enfants, leur liberté, leurs peurs, etc. (Hugh Stretton, Urban Planning in Rich and Poor Countries, 1978.)

6. Le coût énergétique de la liberté de circuler

La charge moyenne en passagers des automobiles qui circulent dans nos rues est certainement bien inférieure à deux personnes, ce qui, en termes de charge transportée, signifie qu’il faut près de 10 m3 de véhicule, soit plus d’une tonne, pour transporter 1 m3 d’humanité pesant environ 100kg, ce qui fait un rapport de 1 à 10 en poids et de 1 à 100 en volume. D’un point de vue économique, cette situation est parfaitement ridicule, et je me refuse à croire qu’elle puisse s’éterniser. (Sir Herbert Manzoni s’adressant au Royal Institute of British Architects en mars 1958.)

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7. Une administration qui déraille

La passion des chemins de fer a quelque chose de dangereux, car on tombe facilement dans le piège de la nostalgie. C’est un danger pour différentes raisons, la principale étant que, dans les années 1990, nous devrions penser à l’avenir du chemin de fer plutôt qu’à son passé romantique.

L’auteur discute ici des chemins de fer de la Grande-Bretagne, avant, pendant et après la seconde guerre mondiale, où le gouvernement a nationalisé les chemins de fer.

8. Des trains pour tous

Si l’on prenait la décision de faire fonctionner les chemins de fer comme un service social, qui n’aurait donc pas l’obligation de s’autofinancer […] la solution logique sera de limiter nos services aux domaines où le rail a le meilleur rendement par rapport à son coût réel, alors que si nous fonctionnons comme un service commercial, nous devrons limiter nos services aux domaines où le rail semble poivoir assurer le meilleur rendement par rapport […] au prix de revient. (Discours de Richard Bleeching à des fonctionnaires du syndicat des cheminots en 1964.)

Il n’était pas rare qu’on propose des lignes à la fermeture en calculant les coûts du service avec les locomotives à vapeur alors que celles-ci avaient été pour la plupart remplacées par des locomotives diesel. Ces lignes se voyaient refuser des locomotives diesel parce qu’on craignait que cela n’affaiblît son dossier de candidature à la fermeture.

Si le réseau ferré joue un rôle important, c’est précisément parce qu’il est un réseau, parce qu’il est plus que la somme de ses parties.

9. Des marchandises qui pèsent lourd

Il serait souhaitable que le transport de marchandise puisse être transféré de la route au rail. […] Des voies urbaines délivrées des embouteillages, des camions plus silencieux [et plus légers]. À l’époque, toute tentative de mettre en place une politique saine était vouée à l’échec dès le départ, parce qu’on était persuadé qu’il fallait rendre les chemins de fer rentables. Depuis, on a commencé à s’apercevoir que la route non plus ne “payait” pas. (Terence Bendixson, Instead of Cars, 1974.)

10. Les gondoles du peuple

À partir des années 1930, General Motors […] constitua une filiale, United Cities Motor Transit, dont la seule fonction, selon l’enquête faite par la suite par une commission judiciaire sénatoriale (93e congrès, 2e session de 1974), “était de racheter les compagnies de tramways, de les convertir en services d’autobus, puis de revendre le tout à des entreprises qui étaient d’accord pour acheter ensuite des autobus GM.” Dès 1949, GM avait réussi à faire fermer plus d’une centaine de réseaux de tramways grâce à des pressions économiques ou politiques. (Bradford Snell, American Ground Transportation, session sénatoriale de février 1974.)

11. Pourrions-nous voyager autrement?

On peut considérer que les attitudes concernant le rôle des transports en commun oscillent entre deux extrêmes. Selon le premier, on doit les considérer comme un service public dont l’amélioration et l’extension ne sont limitées que par la concurrence avec la demande de services dans d’autres domaines, le financement par les usagers étant d’importance mineure ou pouvant être complètement supprimé. Le point de vue opposé les considère comme un service dont les usagers doivent être prêts à payer le coût économique. (The Future of London Transport, Greater London Council, 1970.)

12. Des villes sans voitures

Interrogé en 1970 à propos de la façon dont les restrictions imposées à la circulation dans les grandes artères amenaient les automobilistes à utiliser les rues résidentielles adjacentes dans une véritable “course au rat” pour atteindre coûte que coûte leur destination, Buchanan répondit que les gens qui habitaient là devraient “mettre des sacs de sable en travers de quelques rues pour voir ce que ça donne!”.

Le guide American Express signale à l’attention des touristes incrédules: “Il ne faut même pas songer à rouler en voiture à Amsterdam […]. Les gens de tous âges prennent leur bicyclette, quel que soit le temps, pour aller à leur travail, faire leurs courses, transporter leurs enfants et promener le chien.

Les villes européennes on fait beaucoup plus que les villes britanniques pour rendre le rôle principal au citadin, après l’avoir soumis pendant des décennies à l’automobiliste.

13. Les moyens d’en sortir

Nous devons reconquérir notre indépendance vis-à-vis de l’automobile. Et, dans une société dominée par un pouvoir central, cela ne peut se faire qu’à travers des politiques agissant sur les tarifs pour inciter les gens à revenir vers des transports en commun améliorés. L’autre possibilité, qui serait d’agir sur les taxes affectant les automobiles et les carburants ou de mettre en place des dispositifs complexes de péage sur les routes, ne ferait que pénaliser les pauvres, laissant la route aux riches, aux m’as-tu-vu et à ceux qui voyagent tous frais payés.

Source: http://nicolas.marchildon.net/carnet/