Formes urbaines et mobilité: quelle stratégie pour un développement urbain durable?

Les villes sont aujourd’hui confrontées au phénomène de l’étalement et de la fragmentation urbaine. Le développement des centres commerciaux périphériques, la multiplication des centres de loisirs, l’extension des zones d’activités, la recherche d’un habitat individuel à la campagne nous conduisent vers une ville dispersée, consommatrice de sol et génératrice de déplacements.

Ces déplacements, réalisés surtout par des moyens de transports individuels, produisent de nombreuses nuisances : congestion routière, consommation d’énergie et d’espace, pollution atmosphérique locale et globale, bruit, accidents et inégalités sociales. La limitation de l’usage de l’automobile à travers la maîtrise de l’étalement et de la mobilité est une condition nécessaire de la durabilité des villes et un défi pour les collectivités publiques. Si les coûts et nuisances liés à la mobilité et à l’étalement ne sont pas une fatalité, les études récentes montrent qu’il ne suffit pas de développer les transports publics pour freiner l’utilisation des moyens de transports privés et réduire les distances parcourues. La mobilité, à la fois contrainte (travail, formation, achats) et choisie (les modes de vie influencent les choix de localisation et les moyens de déplacements) résulte en définitive des interrelations entre l’offre de transport, les localisations de l’habitat et la répartition spatiale des activités.

Formes urbaines, mobilité, densité et mixité : un lien étroit

En partant de ce postulat, de nombreuses études montrent, par exemple, que les flux de mobilité en termes de volumes, de distances et de moyens de déplacements sont influencés, voire déterminés, par la morphologie urbaine.

Une ville « dense » unipolaire favorise les déplacements de courte distance et l’utilisation des transports publics, alors que les villes « étalées », villes des grandes distances à forte spécialisation fonctionnelle (zonage de l’habitat, des activités, des services et des espaces de loisirs) conduisent à une plus forte dépendance à l’égard de la voiture. D’où la conséquence qu’il faut peut-être intervenir sur les densités et la répartition des activités pour réduire la dépendance automobile.

Les modalités de développement urbain conditionnent les moyens de déplacements et à l’inverse, les moyens de déplacements conditionnent la morphologie urbaine. La gestion intégrée de la planification territoriale et des transports peut donc être un outil utile dans la gestion de la mobilité.

Plusieurs auteurs, cherchant à définir une forme urbaine durable idéale, ont identifié des modèles de développement urbain permettant de réduire la mobilité.

Partisans de la ville compacte

D’un côté les partisans de la ville compacte pour qui un haut de degré de compacité (densité élevée), sous ses différentes formes, réduit le nombre de déplacements en voiture et la distance parcourue. La forte densité de la ville compacte permet de limiter la consommation du sol à travers des stratégies variées : réhabilitations, rénovations et requalifications urbaines.

Son faible étalement rend aisé l’utilisation des transports non motorisés et des transports publics et il permet une plus grande mobilité mais aussi une meilleure accessibilité. La forte utilisation des transports publics dans la ville compacte limite et remplace le trafic des véhicules privés responsables de congestion, de pollutions et d’accidents.

La proximité et la diversité des fonctions offertes par la ville permettent l’utilisation du vélo et de la marche à pied comme moyens de transport pour accéder aux facilités locales, d’où une dépendance plus faible envers la voiture. L’étude (Camagni, 2002) sur l’agglomération milanaise de confirme le rôle favorable exercé par la densité sur l’utilisation des transports publics dans les déplacements pendulaires et sur la durée moyenne des parcours en transports publics.

Opposants à la ville compacte

Pour d’autres auteurs, favorables à la ville étalée, la ville compacte n’a pas fait ses preuves puisque aucune étude décisive n’a mis en lumière les coûts directs et indirects de cette concentration. La concentration de plusieurs millions d’habitants et de toutes les activités économiques dans une ville concentrée peut conduire à de graves problèmes de congestion et pourrait contrarier les objectifs écologiques de la sauvegarde de l’environnement et des économies d’énergie. Du fait de la pression exercée sur les rares zones libres, cette concentration risque, en effet, d’augmenter la congestion, de diminuer la qualité urbaine avec, par conséquent, des effets négatifs en termes de pollutions.

La relation entre les formes urbaines, la mobilité et l’amélioration de l’environnement est assurément moins directe que ce que les urbanistes souhaiteraient, « la mixité dans l’espace urbain pouvant avoir autant d’effets positifs que la densification en matière de déplacements » (Vincent Foucher, 1995). Différents auteurs ont, par exemple, déconstruit la relation causale entre une haute densité urbaine et une réduction des déplacements.

En travaillant de manière détaillée sur les économies spécifiques des différents scénarios de densification, Peter Newton (1996) trouve des bénéfices dans la concentration urbaine en termes d’énergie, mais ces bénéfices ne sont pas uniquement confinés dans la forme de la ville unipolaire (ville centre). Ils sont réalisables dans des zones à haute densité dans la ville, tels que des corridors ou des noyaux concentriques. La conclusion de Simmonds and Coombe (2000) est que la concentration n’est pas suffisante en soi : la stratégie de « densification », pour Bristol par exemple, n’a pas eu les effets escomptés sur le trafic. Le lien dépend peut-être d’autres paramètres, la localisation de l’habitat en relation avec les opportunités de travail étant pour cet auteur plus importante.

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Newman et Kenworthy (1999) ont évalué l’influence de la densité sur la réduction de la dépendance automobile et leurs arguments sont similaires à ceux de Newton. lls prétendent qu’il est indispensable de concevoir aussi d’autres modalités de répartition de l’habitat, des activités et des équipements pour obtenir un maximum de bénéfices. La relation directe entre forte densité et réduction des déplacements n’est donc pas toujours validée.

Consensus autour de la forme polynucléaire

Entre les partisans de la ville compacte et ceux de la ville étalée, les « compromisers » soutiennent le modèle de la ville polynucléaire, dans laquelle les fonctions habituellement concentrées dans le centre principal sont dispersées dans plusieurs autres sous-centres, formant des noyaux ou des districts urbains, reliés par des infrastructures de transports publics performantes. C’est le principe sur lequel se base « le nouvel urbanisme » qui met l’accent sur le rôle de la forme urbaine dans la gestion des moyens de transport. Selon ce courant, les villes fonctionneraient mieux lorsqu’elles offrent des transports publics qui les relient à des banlieues à densité relativement élevée avec une occupation des sols mixte.

Ainsi, l’option la plus partagée par les chercheurs dans les expériences les plus récentes de densification est le renforcement d’un modèle polycentrique en réseau, avec diversification des sous-centres, desservis par des transports publics performants. Les recherches récentes ont renforcé les arguments pour une forme de ville composite (Hildebrand Frey, 1999).

En conclusion

Le débat sur la densité et la forme urbaine optimale ne permet pas de trancher entre des stratégies contribuant aux développements de formes unipolaires, polycentriques ou linéaires pour maîtriser la mobilité et favoriser ainsi une organisation spatiale durable. Malgré tout, des messages clairs émergent de cette confrontation entre les positions des partisans et des détracteurs de la ville compacte. D’une part, la relation entre la morphologie urbaine et le système de transport est centrale dans le débat sur la recherche d’un développement urbain durable. D’autre part, aucune stratégie de développement (dense/étalée) ne livrera les avantages escomptés sans une étroite coordination avec la réalisation des infrastructures de transport (principe de la gestion intégrée des transports et de l’aménagement du territoire).

Finalement, la tâche prioritaire n’est pas de concevoir une forme de ville idéale, mais de « reconcevoir » les formes existantes et de prendre en considération la nécessité d’approches différentes au niveau de la planification et de la conception pour qu’elles deviennent plus durables.

Plutôt que de chercher un modèle statique d’une forme urbaine durable, il est nécessaire d’identifier les chemins complexes à travers lesquels des formes urbaines différentes pourront revendiquer d’être durables. Pour cela, il est impératif de considérer les liens entre densification, mixité, formes urbaines et mobilité afin que les acteurs urbains favorisent, d’une part, des dynamiques spatiales générant des modalités de développement durable, et élaborent, d’autre part, une politique des déplacements stimulant ces mêmes dynamiques spatiales.

Adapté des articles de Béatrice Bochet, Giuseppe Pini et Jean-Bernard Gay
parus dans les numéros d’octobre 2002 et octobre 2003 de Vues sur la ville – Observatoire universitaire de la ville et du développement durable – http://www.unil.ch/webdav/site/ouvdd/shared/VsV/No%2004-2002.pdf

Annexes

Forme urbaine, utilisation d’énergie et polluants

  • La dispersion des activités urbaines modifie les besoins en transport : la distance des trajets peut faire varier de plus de 130% la demande d’énergie ;
  • La densité ou l’agglomération des destinations peut économiser 20% d’énergie, principalement en facilitant le transport en commun ;
  • Au Royaume-Uni, les transports routiers représentent 18% de toutes les émissions de carbone, 85% des émissions de monoxyde de carbone, 30% des composés organiques et 45% ds oxydes d’azote ;
  • L’air conditionné des voitures augmente l’usage global du CFC12 de 10% ;
  • La construction de routes nécessite plus d’espace que le rail et coûte jusqu’à huit fois plus cher ;
  • Dans les centres-villes, la vitesse moyenne est de 20 km/h à Londres, 18 km/h à Paris et de 7 à 8 km/h à Athènes.

G. Haugton et C. Hunter – The sustainable cities – Jessica Kingsley Publishers – 1996