Oui à la pénalisation des voitures polluantes

par Robert Lion, ancien directeur général de la Caisse des dépôts, membre du Conseil de la Terre, président d’Agrisud International. le 30 juin 2004.

On ne peut se moquer impunément de l’avenir en s’offrant des 4×4 inutilement gourmands, au mépris des impacts sur l’environnement.

Michel Barnier et Serge Lepeltier, cosignataires avec leurs deux collègues ministres britanniques, viennent (Le Monde du 25 juin) de sonner l’alarme sur le réchauffement climatique. Ils ont raison, et leur propos est exact.

On dira seulement qu’ils pourraient être plus fermes quand ils parlent des actions nécessaires : bien sûr, la France se doit de respecter le protocole de Kyoto de manière plus convaincante que ce que nous avons fait ces dernières années, où nous n’avons guère mis en œuvre notre « plan de lutte contre l’effet de serre » ; bien sûr, il faut désormais appliquer attentivement notre nouvelle Charte de l’environnement ; bien sûr, et surtout, nous devons modifier nos modes de production et de consommation.

Ce dernier concept, né à Rio en 1992, était au cœur des débats à Johannesburg, il y a deux ans. Il concerne au premier chef nos pays industrialisés : leur modèle de consommation, que le monde entier voudrait atteindre, provoque des prélèvements inconsidérés sur ces ressources, précieuses et souvent en péril, que sont les combustibles fossiles, les sols, l’eau, la biodiversité, la faune marine, les forêts.

Ce même modèle crée des rejets – déchets, émissions de gaz, pollutions de l’air, de l’eau et des sols – qui menacent tous les écosystèmes, du plus important, qui est le climat, jusqu’aux plus modestes, tels le bassin hydraulique de nos campagnes ou la qualité de l’air de notre quartier.

A nous, et en particulier à nous Européens, d’être pionniers dans le passage à des modes de vie moins prédateurs et moins destructeurs. Ces évolutions sont inéluctables : nous devrons renoncer à la voiture individuelle en ville. Il nous faudra cesser de gaspiller l’eau et réduire de moitié notre consommation d’électricité – ce qui peut se faire sans dégrader notre confort. Nous aurons à prendre sérieusement en compte, dans nos achats, l’origine et les modes de fabrication des produits, comme leur capacité à peu consommer, à peu polluer, à être recyclés. Notre agriculture devra être plus respectueuse des ressources hydrauliques.

Alors je regrette que, juste à côté de l’appel de M. Barnier et M. Lepeltier, l’éditorial du Monde critique le projet du ministre du développement durable concernant les voitures polluantes.

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Ce ministre est dans le vrai, comme l’étaient Mme Voynet et M. Cochet avec leurs projets de loi sur l’eau. On ne peut se moquer impunément de l’avenir en s’offrant des 4 × 4 inutilement gourmands, au mépris des impacts sur l’environnement.

Il faudrait même aller plus loin, et remettre en question la « clim » systématique qui pollue et surconsomme.

En termes politiques, on dit la mesure impopulaire. Mais, dans un domaine tout proche, si les Français contestent les contrôles de vitesse, ils applaudissent les progrès de la sécurité routière.

En termes économiques, Le Monde estime que cette taxe serait incohérente avec le soutien, à ses yeux prioritaire, d’une croissance retrouvée.

Mais la prise en compte du long terme n’est-elle pas toujours hors de saison ? Si chacune des actions nécessaires pour limiter l’aggravation du réchauffement climatique est jaugée d’abord à sa popularité au premier degré ou à son éventuel impact conjoncturel, nous n’avancerons jamais.

En outre, pousser nos industries à accélérer la mise au point de produits propres, c’est les aider à gagner les marchés de demain. La planète entière sera en demande de tels produits. Selon la juste expression du Centre des jeunes dirigeants, la « performance globale » sera de plus en plus payante. Pour ne pas parler des chocs pétroliers à venir : ils donneront la prime aux équipements et aux moteurs économes ou fonctionnant sans appel aux hydrocarbures.

L’incohérence, pour l’Etat, serait d’alerter l’opinion, puis de caler devant l’action. D’autant que, pour l’essentiel, la grande et inévitable mutation de nos consommations ne viendra pas de décisions publiques : c’est dans la prise de conscience par chacun de nous, dans nos réflexes et nos choix, dans nos comportements ordinaires que se jouera le passage à la sobriété.

La mission de l’Etat est d’éduquer et d’entraîner : alerter les Français, comme le font nos ministres ; informer de manière transparente et, quand il s’agit d’inciter ou d’interdire, joindre, avec un peu de courage par moments, le geste à la parole.

Robert Lion, ancien directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, est membre du Conseil de la Terre, président d’Agrisud International.

Source: http://www.gauches.net/article1305.html