Dépasser la ville-campagne

L’ancienne relation ville/campagne associait deux termes nettement distincts par leur forme autant que par leur fonction. Or la fonction agricole n’étant plus exercée que par une fraction minime de la population totale, des populations au genre de vie urbain ont remplacé dans les campagnes la paysannerie d’autrefois, tandis que, sous l’effet du desserrement, de l’étalement et de la dissémination périurbaine, la définition morphologique de la ville devenait de plus en plus floue.

Ce phénomène a donné lieu à un foisonnement terminologique ― allant de la fin des villes à la ville émergente ― dont le sens général est qu’il s’agit d’une dynamique essentiellement urbaine, mais dans laquelle c’est une forme d’habitat de type rural, riche en espace et proche de la nature, qui est recherchée. Cette ambivalence explique le choix du terme «ville-campagne», pour souligner que dans ce phénomène, la ville est vécue sous les espèces de la campagne.

Ce phénomène, en particulier par l’usage généralisé de l’automobile qui l’a rendu possible et qu’il entraîne, pose une série de problèmes quant à la viabilité d’un tel habitat. Dans sa forme actuelle, marquée par le gaspillage (d’énergie, d’espace etc.), il repose en effet sur une contradiction fatale à plus ou moins long terme : la quête de nature (sous forme de paysages) y entraîne la destruction de la nature (en termes de biosphère). D’un autre point de vue, social celui-ci, la ville-campagne procède également d’une contradiction : nourrie par l’imagerie de la communauté villageoise, elle repose en fait sur l’individualisme et la ségrégation, donnant ainsi un sens autre au fondement social de l’existence humaine.

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« Machine à sprawl »

La ville-campagne contemporaine prend sa source principale en Occident, car c’est là que s’est mis en place, par la combinaison du protestantisme, du capitalisme et du libéralisme, ce qui deviendra dans la seconde moitié du 20e siècle, aux États-Unis, une véritable «machine à sprawl» (i.e. à défaire la ville), dans l’alliance du fordisme (la consommation de masse de biens durables, l’automobile en particulier) avec les politiques publiques favorisant l’accession à la propriété de la maison individuelle et le développement du réseau routier. Le même modèle, à certaines variations près, s’est imposé en Europe et au Japon, et il y produit des effets similaires.

Il apparaît également que la notion de post-fordisme est un leurre pour ce qui concerne le phénomène étudié, car l’essentiel de ce qu’aura permis le fordisme (le déplacement automobile individuel) est ici plus que jamais déterminant.

Au demeurant, il apparaît plus que jamais nécessaire de dépasser la ville-campagne, qui telle qu’elle existe apparaît insoutenable au plan écologique, et difficilement justifiable au plan éthique.

Source: Augustin Berque, « Les trois sources de la ville-campagne. », EspacesTemps.net, Actuel, 28.09.2004
http://espacestemps.net/document738.html