Départ en vacances

par Hubert Reeves

Scène de la vie de famille.

Cela se passe pendant un été caniculaire comme celui de 2003. Accablée de chaleur, une famille décide d’aller au bord de la mer. Tout le monde prend place dans la grande voiture, une 4×4, choisie pour le confort offert aux passagers …

Les voilà sur l’autoroute. Pour contrer la chaleur de plus en plus accablante, le chauffeur attentionné a actionné le climatiseur à fond. Et pour accéder le plus vite possible aux belles plages rafraîchies par les vents marins, l’auto file à très grande allure. L’ambiance est joyeuse, et toute la famille savoure à l’avance le plaisir des vacances. Tout va bien …

Voyons maintenant la scène sous un autre angle. Ce père (ou cette mère …) de famille, ces parents apparemment si soucieux du bien-être de leurs enfants, se montrent en fait à leur égard d’une grande imprévoyance. Ces gestes pour leur confort d’aujourd’hui sont promesses de beaucoup d’inconfort à venir : ils les paieront très cher, mais plus tard.

Pour plusieurs raisons :

* La première, c’est que les voitures puissantes sont hautement énergivores, et que toute augmentation de la vitesse fait croître rapidement leur appétit. L’an dernier, dans les pays riches, la consommation moyenne des voitures est passée de 11 à 12 litres aux cent kilomètres. Tout cela, alors que l’on sait que les ressources en essence s’épuisent rapidement, et devraient pratiquement se tarir d’ici quelques décennies.

* La seconde, c’est que la combustion de l’essence rejette du gaz carbonique qui réchauffe la planète. La climatisation est doublement en cause. D’une part elle peut augmenter de plus de trente pour cent la consommation d’essence. Et d’autre part, pour chaque quantité de chaleur rejetée hors de la voiture, une quantité beaucoup plus grande est produite et projetée dans l’atmosphère, contribuant encore à la réchauffer.

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* Troisième raison : les voitures en marche rejettent aussi des oxydes d’azote qui, sous l’effet de la lumière solaire, produisent de l’ozone atmosphérique, ce « mauvais ozone » dont les « pics » ont sévi sur une bonne partie de l’Europe pendant plusieurs semaines en 2003. Sur les humains, cet ozone produit une irritation des yeux, de la muqueuse nasale, et de l’ensemble du système nerveux. Il affecte la vitalité des arbres et des végétaux en général.

Cette scénette veut illustrer l’importance de concevoir une prévoyance à long terme. Les gestes les plus simples et les plus quotidiens peuvent avoir plus tard des effets hautement négatifs. Dans quelques décennies, les enfants subiront les conséquences nocives d’une imprévoyance qui n’était innocente qu’en apparence.

Un reportage télévisé nous montrait récemment une scène prise sur l’Autoroute du Midi. Les panneaux surplombant la voie, affichaient « Ralentir », « Pics d’ozone sur toute la région ». Ces recommandations semblaient n’avoir aucun effet sur les automobilistes, et les voitures filaient comme à l’ordinaire. Au péage, des journalistes interrogeaient quelques conducteurs :

« Vous êtes d’accord avec les messages de ces panneaux ?

— Oui, bien sûr, c’est très important. Il faut cesser ces pollutions qui nous empoisonnent.
— Vous avez ralenti ?
— Impossible aujourd’hui, je suis très pressé. »

Il importe pourtant que ce que nous savons détermine ce que nous faisons. Du mental aux muscles qui agissent. Tout est là.

Et la climatisation ? Oui, mais au minimum …

Hubert Reeves
Chronique du 10 juillet 2004 sur France-Culture
http://www.hubertreeves.info/chroniques/20040710.html