L’automobile est une drogue

Considérons que le stade de la prise en compte de notre impact sur l’environnement est atteint. Laissons de côté les négationnistes qui refusent de considérer les aspects négatifs de l’automobile : pollution atmosphérique, sonore, visuelle, sociale, dépendance par rapport au pétrole ou aux autres formes d’énergies, accidents etc. Pourquoi, alors que nous pouvons aujourd’hui affirmer que le prix du pétrole ne cessera plus d’augmenter et que l’effet de serre est une triste réalité, ne nous organisons nous pas rapidement autour d’autres moyens de transport moins polluants ? Pourquoi les rares mesures sont-elles hors d’échelle par rapport aux formidables enjeux auxquels nous avons à faire face ?

Si l’on pose la question à un automobiliste conscient du problème que pose la voiture dans nos sociétés, il répondra souvent : « Oui, je sais que la bagnole pollue, mais je ne peux pas m’en passer ». Cette dépendance est caractéristique des drogues. Notre société est toxicomane de la voiture. L’automobile est une drogue et en présente toutes les caractéristiques.

Notre dépendance par rapport à la bagnole est tout d’abord psychologique. Conditionnés depuis la plus tendre enfance, nous avons été habitué à sa présence à travers nos jouets : petites voitures, garage automobile, circuit électrique etc. Nous avons baigné dans l’univers automobile à travers la publicité, les grands prix de Formule 1 et les médias. Nous sommes dépendants psychologiquement de l’automobile car la remettre en cause implique de rejeter une grande partie des valeurs qui ont fait notre éducation. La dépendance psychologique se retrouve de manière plus directe chez certains automobilistes qui préfèrent passer des heures dans les embouteillages pour écouter leur radio dans leur espace fermé plutôt que de partager une voiture de train avec d’autres usagers.

Notre dépendance par rapport à la bagnole est aussi physique. D’un point de vue individuel, le manque d’exercice entraîne des surcharges pondérales qui se retrouvent dans les statistiques des pays développés. Parce que nous ne marchons plus assez, nous devenons obèses. Parce que nous sommes obèses, nous ne pouvons plus marcher et avons le réflexe facile d’utiliser une automobile pour nos moindres déplacements. Même les plus jeunes préfèrent utiliser une automobile pour parcourir quelques kilomètres que de faire l’effort de pédaler quelques minutes sur une bicyclette. La recherche du confort à tout prix nous rend paresseux et dépendants d’une assistance mécanique pour le moindre de nos déplacements.

D’un point de vue collectif, nous sommes tous dépendants de l’automobile de par l’organisation de nos sociétés. Puisque le nombre de lignes de train secondaires ne cesse de diminuer, que le trafic de fret ferroviaire est en net recul et que, malgré quelques hyper centre ville dédiés aux piétons et aux vélos, nous basons la majorité de nos déplacements sur le mode de déplacement automobile, le choix individuel de vivre sans voiture est de plus en plus difficile. Les personnes qui ne peuvent pas conduire (personnes âgées et enfants, par exemple) et les personnes qui ont volontairement choisi de ne pas avoir de voiture sont physiquement dépendantes des infrastructures qui sont mise en place par la majorité des citoyens. Ainsi, la grand-mère ne pourra plus faire ses courses seule car le magasin de proximité aura été remplacé par une grande surface en périphérie. La jeune fille ne pourra plus se rendre chez ses parents en train car on aura supprimé la ligne correspondante.

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Comme les drogues, l’automobile modifie notre esprit, notre volonté, notre jugement. Sous l’emprise de la conduite, une personne pacifique peut devenir très violente et dangereuse pour les autres. Une personne respectueuse dans ses rapports humains peut se garer sur un trottoir ou une piste cyclable sans penser aux autres usagers de la rue. L’automobile entraîne l’irrationalité, le délire et la perte de raisonnement. Les démonstrations les plus farfelues sur le moteur à hydrogène, la pile à combustion ou autre moyens de propulsions alimentent des fantasmes délirants, hors de tout raisonnement rationnel et scientifique.

Comme pour la drogue, nous devons nous fournir régulièrement en pétrole. Sans ce précieux liquide, nos automobiles sont immédiatement en état de manque, nos nerfs lâchent et nos sociétés s’effondrent. Notre dose de pétrole étant absolument indispensable à notre état de dépendance, nous sommes prêt à tout pour l’obtenir : guerre en Irak, soutien de dictatures, marées noires. Notre soif de pétrole destructrice a des conséquences dévastatrices sur les ressources énergétiques et les peuples de la terre. Mais le peu de discernement qui nous reste ne nous permet pas de prendre en compte cet aspect. Si ce n’est plus de pétrole, nous le substituerons par de l’hydrogène, du colza, de l’électricité nucléaire. La dépendance n’en sera pas moins forte et les effets sur l’environnement et les autres peuples pas moindres.

L’automobile est une drogue dangereuse autant pour soi que pour les autres ou pour la planète. Il ne nous reste plus qu’une seule solution : entamer immédiatement une désintoxication collective.

Denis CHEYNET
http://denis.chey.net/