Violences urbaines

« Violences urbaines », « voitures brûlées », pour un peu, l’actualité pourrait faire croire que le « grand soir de l’automobile » est (enfin) arrivé. Dans cette perspective, TF1 serait maintenant le chroniqueur officiel de « la fin de la société de l’automobile« … en annonçant tous les jours à grands renforts d’images choc le nombre total de voitures brûlées chaque nuit…

D’une part, le véritable chroniqueur de la fin de la société de l’automobile reste Carfree France ! Ensuite, il semble nécessaire de préciser deux éléments importants: les émeutes que nous venons de connaître n’ont strictement rien à voir avec la lutte contre l’absurdité automobile et Carfree France n’appelle en aucun cas à brûler quoi que ce soit, voitures ou bâtiments, et surtout s’oppose à toute forme de violence, en particulier contre les personnes.

Une fois cette mise au point faite, attardons-nous un peu sur ces derniers évènements. Selon les médias, environ 6.000 voitures auraient été brûlées depuis le début des émeutes, ce qui s’ajoute aux 28.000 voitures brûlées depuis le début de l’année, pour atteindre donc un total d’environ 34.000, soit à peu près 0.01% de l’ensemble du parc automobile français! (30 millions de voitures).

Nous sommes donc loin du « grand soir de l’automobile »!!! Ensuite, on peut s’interroger sur les motivations des médias tenant à jour le bilan journalier des voitures brûlées : informer ou faire peur à l’automobiliste moyen dont on sait que très souvent, il entretient une relation quasi « amoureuse » avec sa voiture ?

Juste une remarque, je ne me rappelle pas avoir entendu dans un journal télévisé le bilan journalier des morts sur la route, qui atteint pourtant un total d’environ 15 morts par jour, tous les jours de l’année! (et je ne parle même pas des centaines de blessés).

Également, quelles sont les motivations profondes de ceux qui brûlent des voitures? Lutter pour moins de pollution? pour plus de pistes et bandes cyclables, pour un développement des transports en commun ou tout simplement pour accéder, eux aussi, à une société de consommation qui vend l’idée que la voiture est un outil de différenciation sociale? Le problème, c’est que les mêmes qui brûlent des voitures sont peut-être ceux qui véhiculent le plus « l’image sociale attachée à l’automobile ».

Ils la véhiculent car ils en sont les premières victimes. La société de consommation, la précarité généralisée et l’accroissement des inégalités constituent sans doute le cocktail explosif de la situation actuelle dans les banlieues. Les exclus de la société de consommation sont ceux qui la fantasment le plus. Il suffit de voir l’engouement pour les vêtements de marque, maintenant chez la plupart des jeunes, mais au départ dans les banlieues.

Quel résultat attendre des voitures brûlées ?

Le plus grand risque lié aux voitures brulées et à leur sur-médiatisation tient dans le développement et la généralisation de véhicules de moins en moins « urbains » et qui se rapprocheront de plus en plus des « véhicules de guerre ». Le rejet de la ville a de beaux jours devant lui…

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Dans le même ordre d’idées, les « couvre-feu », qui sont en fait des « couvre-misère », vont participer à la mise à l’écart toujours plus grande de ces quartiers. La prochaine étape consistera peut-être à fermer tout simplement ces quartiers de l’extérieur et à créer ainsi des « réserves » inaccessibles et verrouillées, à l’aide de barrières, murs de protection, systèmes de vidéo-surveillance généralisés, etc.

Tout ceci vous paraît être de la fiction? La situation actuelle dans certaines villes états-uniennes, décrite par exemple par Mike Davis dans « City of Quartz« , devrait nous inquiéter, tout particulièrement quand on sait que beaucoup d’évolutions américaines se retrouvent sur notre « vieux continent » avec quelques années de décalage…

Et d’ailleurs, quelle est vraiment la situation en France ? Beaucoup de banlieues françaises sont déjà isolées et verrouillées, par des murs certes invisibles, mais d’autant plus pernicieux et infranchissables.

Au-delà des barrières sociales, des discriminations et des stigmatisations, l’urbanisme les isole: ces quartiers, conçus pour la plupart dans les années 60 et 70, sont pensés pour l’automobile. Sans voiture, pas ou peu de perspectives, pour travailler, sortir, etc. Dans le même temps, ces quartiers sont la plupart du temps isolés les uns des autres, le plus souvent par des autoroutes ou autres 2×2 voies. Également, dans nos agglomérations, les réseaux de transports en commun se dirigent tous vers le centre des villes, isolant de nombreuses banlieues, pas ou mal desservies.

En outre, pourquoi les quartiers centraux seraient-ils les seuls à avoir le droit à un environnement sain, un trafic apaisé, des transports en commun nombreux, des pistes et bandes cyclables et des aménagements piétonniers? Au lieu de cela, les services publics disparaissent de ces quartiers et très peu de temps après, les commerces également.

L’urbanisme n’est bien sûr pas le seul responsable de cette situation, mais il y participe. En tout état de cause, l’urbanisme des banlieues, qui est l’urbanisme de l’automobile par excellence, apparaît désormais comme un échec. Il a échoué à créer des quartiers vivables et agréables à vivre.

Le modèle de société basé sur une « ville centrale » et de vastes « zones urbaines » périphériques apparaît comme une machine à générer de la frustration.

Il est temps de passer de l’urbain à la ville.