Pétrole: une escroquerie raffinée

LE PRIX DES PRODUITS PÉTROLIERS EXPLOSE, et les pétrolières blâment la météo, quand ce n’est pas la Chine. Katrina, Rita et les Chinois ont bon dos. L’augmentation récente du coût de l’essence n’a rien à voir, ou si peu, avec les dommages causés par les ouragans récents dans le Golfe du Mexique.

Les grandes pétrolières ont profité des événements pour déclencher une crise du pétrole planifiée de longue date. De la même manière que les Bushistes se sont servi des attentats terroristes du 11 septembre 2001 pour se lancer à la conquête de l’Irak, une guerre coloniale désirée depuis des années.

La Commission fédérale du Commerce des États-Unis (Federal Trade Commission) vient d’ouvrir une enquête pour savoir si les compagnies pétrolières se sont concertées afin de réduire leurs capacités de raffinage pour augmenter leurs marges de profits (Reuters 21-9). Le premier septembre dernier, la Fondation pour la défense des droits des contribuables et des consommateurs (Foundation for Taxpayers & Consumers Rights) de Santa Monica (Californie) publiait une étude démontrant que, sur un total de 65 cents d’augmentation du prix du gallon d’essence à la pompe entre le 17 janvier et le 18 avril 2005, 61 cents étaient allés aux raffineurs. L’association californienne de protection des consommateurs a aussi publié sur son site Internet, des mémos internes de Chevron, Mobil et Texaco datant de 1996, suggérant fortement que ces compagnies ont volontairement diminué leurs capacités de raffinage et leurs stocks de produits raffinés pour augmenter leurs profits, et pour faire « assouplir » les lois environnementales les concernant (www.consumerwatchdog.org).

« Le facteur le plus critique auquel doit faire face l’industrie du raffinage sur la Côte Ouest est le surplus de capacité de raffinage et le surplus de production d’essence. (Cette constatation est valable pour l’ensemble de l’industrie du raffinage des États-Unis). L’offre dépasse significativement la demande l’année durant. Avec pour résultat de très faibles marges de profits et de très faibles bilans financiers pour les raffineurs », peut-on lire dans le mémo de Texaco. Aujourd’hui, il ne reste que 12 raffineries pour alimenter le marché de la Californie, alors qu’il y en avait trois douzaines il y a une vingtaine d’années.

Jusqu’à maintenant, les pétrolières ont gagné sur tous les tableaux. Le 7 octobre dernier, leurs hommes de main du clan Bush ont profité de l’occasion pour faire voter un projet de loi à la Chambre des Représentants, approuvé de justesse (212 contre 210), sous les huées des Démocrates. Joe Pitts, le représentant républicain de la Pensylvanie qui a présenté le projet de loi en Chambre, a été jusqu’à prétendre que la crise actuelle serait due aux restrictions des lois environnementales. Selon lui, ces lois auraient empêché les pétrolières de construire de nouvelles raffineries depuis 30 ans. Avec cette loi, les Républicains comptent céder trois bases militaires désaffectées aux pétrolières pour y construire de nouvelles raffineries, en plus de réduire les exigences environnementales. Les grandes pétrolières ont fermé leurs raffineries il y a peu pour créer artificiellement une pénurie, et en récompense, le gouvernement les aidera à en construire de nouvelles, en se fichant des lois environnementales. La bonne affaire !

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Pas plus fin, le gouvernement du Québec étudie la possibilité de subventionner l’achat de véhicules hybrides, à cause de la crise du pétrole. Le PQ n’est pas en reste. Stéphan Tremblay, le député de Lac-Saint-Jean et porte-parole de l’opposition officielle en matière d’environnement réclame lui aussi des incitatifs fiscaux pour l’achat de véhicules hybrides. L’Ontario offre déjà un rabais de taxe de vente de 1000 $ aux acheteurs d’un hybride et les États de George Bush une réduction d’impôt qui pourrait atteindre 3 400 $ ÉU. Subventionner l’achat d’une automobile c’est subventionner la pollution, véhicule hybride ou pas. Les bagnoles hybrides produisent encore en moyenne un peu plus de 3 000 kg de CO2 par an, soit 20 à 25 % de moins qu’un véhicule ordinaire équivalent. Combien devrait-on verser en subventions aux citoyens qui ne possèdent pas d’auto, pour être juste ?

La « crise » du pétrole est là pour durer et les guerres de Washington risquent de l’aggraver. Pas besoin d’être devin, ou économiste, pour prédire que l’organisation sociale centrée sur l’automobile deviendra progressivement un gouffre financier sans fond au cours des prochaines années. En 15 ans, de 1985 à 2000, le nombre de véhicule de promenade a augmenté de 68 % et le nombre de camions lourds de 34,5 %, selon Transport Québec. La seule solution écologiquement et économiquement logique, c’est le transport collectif. La société québécoise doit investir massivement dans les transports en commun et non pas dans le transport individuel. Pourquoi faut-il presque deux heures pour aller du centre-ville de Montréal à Saint-Hyacinthe, une banlieue dortoir à 50 km de la ville ? Et cette grosse nouille de Jean Charest qui voudrait un TGV pour aller à New York. On ne peut pas dire qu’il a le sens des priorités celui-là. Selon l’Organisation mondiale de la santé, en l’an 2000, l’automobile a tué 4 fois plus que les guerres et les conflits. Au Québec, c’est 700 morts, 5 450 blessés graves et près de 50 000 blessés légers, tous les ans. D’après le gouvernement du Canada, 16 000 personnes décèdent prématurément de problèmes respiratoires causés par la pollution automobile chaque année. C’est environ 1 900 personnes pour la région de Montréal. Toute forme de subvention au transport individuel est une subvention à l’augmentation des coûts sociaux et une récompense pour les escrocs qui dirigent les multinationales du pétrole. Tant que le Québec ne se sera pas doté d’un système de transport en commun municipal et intermunicipal efficace, l’automobile fera des milliers de victimes et les Québécois seront les otages des bandits du pétrole.

JACQUES BOUCHARD