On achète plus de voitures qu’on fait de bébés

par Vincent Larouche

Alors que les tarifs du transport en commun ne cessent d’augmenter (une troisième hausse de tarifs en un an est annoncée à Montréal) et que les sociétés de transports appréhendent la catastrophe face à des manques à gagner de plusieurs millions de dollars, une recherche qui vient d’être publiée démontre pourtant que l’argent est là!

C’est en effet ce que révèle la seule étude sur l’économie de l’automobile produite au Québec ces dernières années. Pour Richard Bergeron, responsable stratégique à l’Agence métropolitaine de transport (AMT) et auteur du Livre noir de l’automobile, la question est seulement de savoir comment détourner une part des sommes faramineuses qui sont investies dans l’industrie automobile vers le transport collectif.

Entre 1997 et 2000, la conjoncture économique a permis aux Québécois et Québécoises de disposer de 25 milliards de plus pour fins de consommation. À elle seule, l’industrie automobile a accaparé 63 % de cet argent neuf. La vente de véhicules neufs, notamment, a littéralement explosé, pour atteindre 700 millions $ en dépenses additionnelles depuis 1995.

Le prix des voitures grimpe d’ailleurs constamment. Contrairement à l’Europe, le marché nord-américain continue de se développer dans le sens d’une augmentation du poids, de la puissance et de la performance des véhicules. Cette conjoncture est loin de nuire aux ventes. Alors qu’en cinq ans, la population québécoise augmentait d’un maigre 2,1 % par année, le nombre de véhicules grimpait de 11 %.

Grâce à la complicité des gouvernements et des médias, l’industrie automobile et les secteurs connexes « n’éprouvent aucune difficulté à canaliser vers eux autant d’argent neuf que la conjoncture économique le permet ». Bergeron écrit aussi que « les Québécois, comme du reste tous les autres Nord-Américains, font montre d’une volonté et d’une capacité de payer pour l’automobile tout à fait étonnantes. »

Si on ajoute les crédits gouvernementaux, le Québec a investi ces cinq dernières années 223 milliards $ dans l’automobile, contre 6,8 milliards $ pour les transports collectifs urbains. L’auto a accaparé 97 % des investissements en transport terrestre des personnes. Tout ça pour une industrie qui ne crée que très peu d’emplois chez nous. Même si l’industrie automobile représente 20 % de l’économie au Québec, elle ne crée que 7,3 % des emplois, dont un très faible pourcentage est à rémunération élevée.

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Pendant ce temps, le transport en commun manque cruellement de fonds. Au cours des dernières années, les sociétés de transport ont dû refiler une part importante de la facture aux usagers. Pour M. Bergeron, la solution serait de détourner vers les transports collectifs une partie des millions de dollars investis dans l’automobile. Par des taxes, droits et tarifs visant les automobilistes, qui, comme nous l’avons vu, sont prêts à dépenser des sommes faramineuses pour le transport.

Si le gouvernement ne prend pas l’argent chez les automobilistes qui sont prêts à payer, l’industrie automobile s’en chargera, en les faisant dépenser plus, explique Bergeron. Ce ne sont donc pas tant les automobilistes que l’industrie elle même qui financerait, à travers une baisse de ses profits, les transports collectifs. Ce genre de solutions reviendrait toutefois à s’attaquer à un géant qui domine l’économie mondiale : sept des huit plus importantes compagnies du globe sont des fabricants automobiles ou des compagnies pétrolières.

«Certains pourraient me qualifier de socialiste, même si je n’aime pas le terme, explique Bergeron. Alors que la filière automobile est entièrement privée, je propose la socialisation des transports, par le transport collectif».

Vincent Larouche