Le Dégonflisme politique

Le Dégonflisme politique
par Marcel Robert*

En 2005, un nouveau mouvement de pensée et d’action est né, le Dégonflisme. Son propos consiste à interpeler le grand public, en utilisant les médias au travers d’opérations consistant à dégonfler les 4×4, véhicules énergivores et complètement inadaptés au milieu urbain.

En attaquant ce symbole de la “consommation de destruction”, les dégonfleurs interrogent l’absurdité de notre modèle de société, basé sur le double principe “croissance et pillage”. Ils mettent donc en pratique une phrase de Kenneth Boulding, “Toute personne croyant qu’une croissance exponentielle peut durer indéfiniment dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste.” En cela, ils sont les visionnaires de ce siècle qui commence si mal, la génération qui va bientôt prendre le pouvoir.

Immersion dans le mouvement dégonfliste

La galaxie dégonfliste est au premier abord assez impénétrable, une ambiguïté demeure sur la notion de légalité ou d’illégalité de la pratique consistant à dégonfler des voitures. Le fait que les “opérations” se passent en général de nuit, en petits groupes organisés, ajoute au mystère et à la légende de la pratique dégonfliste.

Dans les faits, il semble que les dégonfleurs ne risquent pas grand chose. En premier lieu, il faudrait qu’une plainte soit déposée, ce qui reste hautement improbable. Ensuite, il n’y a pas dégradation, mais il y a seulement un préjudice (le conducteur ne peut en général pas repartir, surtout quand deux pneus sont dégonflés…). Donc, même si un procès devait avoir lieu (hypothèse qui relève de la fiction), il est possible d’estimer les dommages et intérêts à 100 euros, mais dans les faits, le montant est à la tête du client…

Egalement, le mouvement dégonfliste se caractérise par un fort penchant pour l’autodérision et une revendication de la lâcheté comme principe d’action. L’autodérision semble nécessaire pour rappeler sans cesse la nature essentiellement ludique du dégonflage. Ces “captures d’air” réalisées lors d’opérations nocturnes pourraient même passer pour des performances d’art contemporain…

Le principe de lacheté découle quant à lui du premier principe. Lors des opérations de dégonflage, il est nécessaire de tout faire pour éviter la confrontation, avec les propriétaires des véhicules dégonflés, mais aussi avec les passants et, bien évidemment, avec la police. Ce principe de lâcheté, présenté comme le dogme dégonfliste par excellence, apparaît comme l’ultime pied-de-nez à la société de consommation et à ses deux lieutenants, la publicité et le marketing. La lâcheté devient en fait une valeur respectable, à l’exact opposé des valeurs vendues au travers du “Dakar” et qui voudraient faire de nous des brutes épaisses assoiffées de puissance, de performance, d’hormones, etc.

Vers une Internationale Dégonfliste

La mouvance dégonfliste est constituée d’un groupe fondateur, les Dégonflés, et d’un certain nombre de groupes parallèles, en France et à l’étranger. Les dégonflés sont donc les premiers à lancer des opérations massives de dégonflement de 4×4 dans Paris courant 2005, sous le commandement du sous-adjudant Marrant, un clone parisien du sous-commandant Marcos probablement… Au-delà des dégonflements, des projections de boue commencent aussi à être réalisées sur les 4×4 rutilants de la brousse parisienne.

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Ensuite, un autre mouvement, les Dégonflous, leur emboite le pas. Selon eux, “un dégonflou c’est un peu comme un dégonflé mais en un peu plus flou. Le dégonflou est un peu maniaque de la dégonfle, il dégonfle et bien souvent ses motivations sont flous. Le dégonflous est un écolo un peu fou ! Il s’attaque aux 4X4 un point c’est tout !”

En fait, on est donc un “peu fou” chez les dégonfleurs professionnels, si bien que ça part vite dans tous les sens. A peine créé, le mouvement de la dégonfle entamait sa première scission historique, une rupture idéologique de fond. Le sous-adjudant Marrant était accusé par certains activistes de s’adonner au réformisme démocratique en participant à des manifestations déclarées en préfecture! Un comble pour les Divisions Démagogiques de la Dégonfle (DDD) qui, sous l’impulsion du scissionniste Sur-adjudant Gachet, fondèrent immédiatement un nouveau groupe, P3F (pour Pfff….). La dégonfle “pure et dure” reprenait ses droits, on s’orientait vers un dégonflisme radical, on allait voir ce que l’on allait voir…

Au cours de cette période, les opérations se développent un peu partout en France, les records de pneus dégonflés pleuvent de nuit en nuit, les groupes régionaux poussent comme des champignons dans les grandes villes françaises, citons principalement en France les Mous de la Roue, Les Moudupneu (Rouen), Les Dégonflés de Montpellier et les Raplapla (Lyon) et à Bruxelles, les Flagadas.

Le mouvement se professionnalise, le mot d’ordre devient: “Parce que dégonfler c’est un métier”. Il s’internationalise également avec l’arrivée de la Belgique à l’avant-garde de la lutte dégonfliste. Les photos de 4×4 dégonflés commencent à inonder les blogs francophones, une lame de fond anti-4×4 traverse la jeunesse de notre pays, au travers de manifestations et d’actions contre le “Dakar” ou l’abrogation de la Circulaire Olin. Ce mouvement en cours d’éclosion est délibérément pour la “Vélorution” et la “Décroissance“. Il est composé d’une génération consciente de l’absurdité de nos modes de vie et des dommages irréparables infligés à notre si petite planète.

Le Dégonflisme est la nouvelle doctrine politique du 21ème siècle.

*Marcel Robert, auteur de l’ouvrage “Pour en finir avec la société de l’automobile“, CarFree Editions (2005).