Sale voiture propre !

Anne-France RIHOUX, Secrétaire générale d’Inter-Environnement Bruxelles
Jean-Yves SALIEZ Secrétaire général d’Inter-Environnement Wallonie

Voitures propres ou pas, nous polluons toujours autant et le parc automobile ne cesse de grandir. Continuer à réclamer toujours plus de voiture est un acte irresponsable.

A l’heure du réchauffement global, des pics de pollution et des réseaux routiers congestionnés, le succès du Salon des Véhicules Inutiles démontre que la voiture se porte bien, merci pour elle. En 2006, plus d’un demi-million d’immatriculations de voitures neuves ont été enregistrées en Belgique. Mieux : entre 1996 et 2006, le nombre de voitures particulières en circulation dans notre pays a augmenté de 14,7 pc, soit 637 055 véhicules en plus pour atteindre un parc automobile avoisinant les 5 millions de voitures. Dans le même temps, les kilomètres parcourus ont augmenté de 15,2 pc.

Malgré ce bilan « positif » le président de la Febiac (Fédération belge de l’automobile et du cycle), Pierre-Alain De Smedt estimait en décembre dernier que la Belgique menait « une politique antiauto » (1). Et dans la foulée, un administrateur-délégué de la Febiac regrettait que la Belgique soit le mauvais élève de l’Europe en termes d’investissements routiers. Honte sur nous ! D’ailleurs, le message lancé en mai 2006 par Jean-Albert Moorkens, l’ancien président de la Febiac était en ce sens très clair : « quiconque touche à notre (auto) mobilité touche aux bases de notre société. »

Ces récriminations feraient sourire si la situation n’était pas aussi grave. Les émissions de CO2 mettent chaque jour davantage la planète plus en danger et les conséquences désastreuses de la pollution automobile sur la santé des citadins sont avérées. Selon l’Organisation mondiale de la santé, la pollution atmosphérique en Europe réduit en moyenne nos existences de 8,6 mois. Or, la Belgique se situe dans une des zones les plus polluées du monde et pour ces régions les plus exposées, le chiffre peut grimper à deux années de vie perdues ! Et nous n’évoquerons même pas ici le hit médiatique du moment, à savoir les effets catastrophiques sur le climat (ah, ces articles enflammés sur la planète en danger côtoyant sans honte la publicité pour un nouveau 4X4…).

Ces constats macabres n’émoussent pas l’entrain des partisans de l’automobile toujours prompts à réclamer « l’abolition de la taxe de mise en circulation, le glissement des coûts de la possession vers l’utilisation d’une voiture et la mise sur pied d’incitants afin d’encourager le choix de véhicules plus propres » (2). On y est ! La voiture « propre » ! On tient enfin la solution miracle qui nous permettra de ne pas modifier notre mode de vie ! Et la Febiac se trouve des alliés de choix dans le monde politique. Pendant que le MR prône « un doublement de la réduction d’impôt pour les voitures émettant moins de CO2 » le plan « Bruxell’Air » de Mme Huytebroek (Ecolo) et M. Smet (Sp. a) veut « encourager fiscalement l’achat de véhicules très faiblement polluants » en envisageant de « taxer moins qu’aujourd’hui, voire détaxer complètement, les voitures à faibles émissions de CO2. » Et le Cdh, qui promeut un prêt à taux 0 pour les ménages à faibles revenus souhaitant remplacer leur véhicule par un modèle moins polluant, se joint au choeur pour entonner une ode unanime aux vertus de la voiture propre.

Que l’entreprise automobile mente sur la voiture au mépris de la santé de la population, c’est regrettable mais attendu. Que les responsables politiques soient complices, c’est plus gênant. Car doublement non, la voiture propre n’est pas « propre. » Et non, elle ne réglera pas les problèmes de qualité de vie en ville.

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La voiture propre est sale. Elle émet certes moins de CO2 que d’autres modèles mais ses émissions sont loin d’être neutres. Les constructeurs automobiles freinent d’ailleurs des quatre pneus pour mettre en circulation des voitures moins polluantes. Alors que des modèles disponibles sur le marché belge peuvent descendre jusqu’au degré de pollution de 100g CO2/km, le monde de l’automobile hurle quand la Commission européenne réclame des voitures qui ne pollueraient « que » à hauteur de 120 g d’ici 2012. Impossible, selon les adulateurs de la voiture. Forcément, puisqu’ils promeuvent des voitures de plus en plus lourdes, réduisant à néant les améliorations acquises en termes de motorisation.

Mais non seulement la voiture propre pollue, mais elle envahit tout autant notre espace vital que n’importe quelle voiture. Selon la Commission européenne, « les émissions de CO2 des voitures neuves ont baissé de plus de 12 pc depuis 1995. » Formidable ! Reprenez le chiffre du début de notre propos : entre 1996 et 2006, le nombre de voitures particulières en Belgique a augmenté de 14,7 pc. Voitures propres ou pas, nous polluons toujours autant et le parc automobile ne cesse de grandir. Des kilomètres d’embouteillages de voitures propres, est-ce réellement bon pour l’écologie et la qualité de vie ? De plus en plus de voiries, de parkings, d’espaces consacrés à la voiture, fût-elle propre, est-ce vraiment le modèle de société que nous privilégierons ? Notre réponse est claire : continuer à réclamer toujours plus de voiture est un acte irresponsable. Une telle option détruit l’environnement, ruine la santé et anéantit la qualité de l’air. Aujourd’hui, il ne s’agit pas d’encourager l’achat de voitures, fussent-elles moins polluantes, mais de réduire le parc automobile global.

Aujourd’hui, les politiques et partisans de la voiture ne parlent que « d’incitants » pour régler le problème de la voiture et de manière plus globale de l’enjeu écologique. Il serait temps que des réels choix, contraignants, changent le visage de nos cités. Que les politiques aient enfin une réelle vision de l’écologie et le courage de le dire : nous devons changer notre mode de vie, modifier nos comportements et privilégier les transports en commun. Ils doivent oser des mesures coercitives pour réduire la présence de la voiture : interdiction de certains modèles en fonction du tonnage, surtaxation de la deuxième ou troisième voiture d’un même ménage, réduction significative de places de parking, etc. Ces mesures devront évidemment s’accompagner d’un service public de transport efficace, attractif et accessible pour tous…

Et que les politiques se rassurent. D’autres ont pris ailleurs (Stockholm, Londres, etc.) des options réputées impopulaires en matière de mobilité. Une fois les mesures en place, ils furent soutenus dans leur choix. Si tout le ramdam sur l’écologie n’est pas que du vent, chiche Mesdames et Messieurs les politiques !

Source : www.lalibre.be

(1) « Le monde politique doit faire son examen de conscience », De Partz, Le Soir, 6/12/06
(2) Avant-Propos du bulletin « Info », mai 2006, Febiac, Jean-Albert Morrkens, président