Rapide essai de théologie automobile

Rapide essai de théologie automobile

par Gaspard-Marie Janvier

Un homme mène une enquête poétique et philosophique dont l’axe est la route principale de son village. Il se laisse docilement centrifuger par les giratoires, secouer par les gendarmes couchés, tout en poursuivant sa méditation dialoguée avec Dante, La Boétie, Melville, Kafka, Lévinas et Tocqueville parmi quelques autres de ses visionnaires préférés. Il en tire un scandaleux pamphlet.

Où l’on découvre que, depuis son invention il y a un peu plus d’un siècle, États et sociétés sont à la remorque de l’automobile. Qu’elle véhicule une foi nouvelle, si profondément enracinée dans notre vie quotidienne que nous ne sommes même plus capables de nous la représenter.

Où l’on s’interroge sur le Dieu des automobilistes, un Dieu si manifeste, si connu de tous que nous refusons de l’appeler par son nom.

Où l’on apprend à reconnaître toutes les formes de cette religiosité prédatrice qui se répand sur la surface du globe à la vitesse de la fonte de la banquise.

Où l’on démontre ce théorème anthropologique : « Quand je prends ma voiture, je suis un autre que moi. »

Où l’on constate que nul n’échappe au culte : chacun de nous, toi, moi, se croit dehors tout en étant dedans, plié dans l’Habitude, collaborant à quelque rond-point qu’il se trouve au triomphe de la Foi.

Où l’on se range enfin à la prophétie de Janvier : avec l’Auto, IHVH, INRI, ALLAH & Associés ont enfin trouvé leur vrai rival international.

Quoi que puisse dire Aristote et toute la Philosophie, il n’est rien d’égal à l’auto : c’est la passion des honnêtes gens ; et qui vit sans auto n’est pas digne de vivre. Non seulement elle donne la liberté aux hommes et aux femmes, mais encore elle instruit les âmes à la Discipline et à la Sécurité. Ne voyez-vous pas bien de quelle manière obligeante chaque conducteur en use avec tous les autres, et comme on est ravi de voir les ennemis d’hier se côtoyer comme des frères sur les routes du soleil et des vacances ? Sans auto, pas de croissance, sans croissance, pas d’emploi. L’auto s’attaque résolument aux inégalités. Elle modernise nos villes et nos campagnes. Grâce à elle désormais, tous nos villages se ressemblent : giratoire, chicane, bac à fleurs, gendarme couché, giratoire. Et le vieil épicier moisi a cédé sa place à la grande surface où tout est toujours, toujours, moins cher. D’aucuns esprits chagrins nous prédisent on ne sait quelle catastrophe climatique : le Havre sous les eaux… le Gulf Stream tari… Mais n’en avons-nous pas assez profité ? N’est-il pas juste que les Sibériens qui grelottent depuis une éternité puissent enfin se réjouir de voir fleurir les mimosas, et que les Groënlandais retrouvent un jour leur verdeur étymologique ? Un autre préjugé s’inquiète des guerres de l’énergie au Moyen-Orient et de la contribution de chacun, par ses dépenses de carburant, à l’armement de nations menaçantes. Sommes-nous à ce point pourris par le racisme et l’occido-centrisme que nous déniions à ces peuples le droit de fabriquer d’aussi belles bombes et d’aussi beaux missiles que les nôtres ? Et là encore, que les Cassandre se rassurent : le remède est dans les cartons. On recycle l’huile des McDonalds, on abat les forêts tropicales inutiles au tourisme, on étend à perte de vue les champs de colza génétiquement stimulé, bref, on passe au pétrole vert. Roulons chers amis, roulons plus que jamais, vers la prospérité, le bonheur, la hausse du niveau de vie et le salut.

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Ce Rapide essai de théologie automobile nous dessille sur notre misérable condition d’Homme des routes, dont la liberté et l’humanité sont en voie de partir en fumée.

Avec son Rapide essai de théologie automobile, Gaspard-Marie Janvier est sans doute le premier penseur à prendre l’automobile pour ce qu’elle est : ni simple objet technique, ni civilisation, mais religion. Ses sept chapitres appliquent avec succès les méthodes de la théologie à l’analyse du phénomène automobile. Ils mettent en mots ce que chacun de nous perçoit au plus profond : oui, décidément, la bagnole, c’est sacré…

Rapide essai de théologie automobile, Gaspard-Marie Janvier, editions Mille et une nuit, 2006, 176 pages, 12 €