Petit traité de vélosophie

Petit traité de vélosophie
Le monde vu de ma selle


par Didier Tronchet

Et si le vélo était avant tout un moyen de déplacement intérieur ? Une formidable occasion de redécouvrir la ville, mais aussi soi-même… A travers une foule d’anecdotes savoureuses, d’envolées théoriques implacables et volontiers cocasses, sans oublier quelques bouffées d’indignation pamphlétaires contre la barbarie automobile, ce Traité de vélosophie démontre, par l’humour, que le vélo est un outil libérateur de la pensée. Sur un ton léger, mais percutant, l’auteur propose une manière inédite de penser la ville de demain, une ville enfin redevenue humaine après s’être vouée au totalitarisme motorisé. Aussi, quand vous verrez passer un cycliste, ne vous fiez pas à son allure inoffensive. A sa façon il est en train de changer le monde…

Extraits

“La véritable révolution peut tout simplement venir de cette alternative matinale : Je prends mon auto ou mon vélo ? Celui qui aura choisi la voiture enchaînera des mouvements secs, précis et mécaniques, subi les embouteillages avec résignation ou excitation, bataillé pour trouver une place de stationnement (…).

Imaginons que le même homme ait choisi de prendre le vélo. Attaché-case sur le porte-bagage, il aura humé l’air vif, surfé entre les tôles d’acier agglutinées, coursé un moineau fou, été transpercé par cette lumière matinale du début du monde. Le critère qui nous a fait plébisciter la bicyclette, à mille lieues de toute préoccupation de modernité, est cette capacité de faire corps avec l’espace. Le vélo fend subtilement l’atmosphère, qui se referme derrière lui sans laisser un sillage à la traîne.”

“Les cyclistes qui se croisent sur l’asphalte s’envoient un petit signe ou un sourire de connivence au-delà de toute considération sociale ou ethnique. Voilà un autre trait, moins anodin qu’il n’y paraît, qui distingue le vélo de l’auto : sur le bitume, les automobilistes sont concurrents, les cyclistes sont solidaires.”

“Démasquons ce glissement sémantique : ” Faire du vélo en ville, c’est dangereux. ” Non ! C’est faire de la voiture qui est dangereux pour les vélos ! Le sentiment de fragilité qui habite le cycliste aiguise son attention au monde. Il bénéficie en retour de ce supplément d’exaltation à vivre chaque instant. En revanche l’automobiliste en est dépourvu. Derrière le pare-brise feuilleté et les portières à renforcement latéral, le monde extérieur devient une abstraction. Les élément tangibles comme la température extérieure ou la résistance de l’air sont transformés en pure virtualité. La voiture moderne n’est ni plus ni moins qu’un jeu vidéo dont la capacité meurtrière n’est, elle, pas virtuelle.”

“On pourrait considérer qu’avec ses 10 000 morts par an rien qu’en France (35 millions de morts depuis sa création, selon la Croix-Rouge), l’automobile est devenu le premier prédateur de l’homme. Et pourtant, la croissance de l’industrie automobile est considérée comme un indicateur de prospérité (…) Jamais aucune espèce, dans l’histoire de la création, n’avait engendré son propre prédateur avec autant d’enthousiasme !”

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“Le cycliste urbain relève chaque jour un beau défi pour éviter d’être un martyr prématuré de la science. Voilà pourquoi, messieurs les automobilistes qui les insultez, messieurs les agents qui les verbalisez, voilà pourquoi les cyclistes décrivent des arabesques insaisissables sur la chaussée, voilà pourquoi ils passent au rouge ou roulent sur les trottoirs.”

“Il y a des panneaux totalement dépourvus de sens pour le cycliste. Le stationnement interdit en est le plus évident. Quel bonheur de garer son vélo n’importe où (attaché à un panneau de stationnement interdit par exemple). Le panneau le plus dépourvu de sens est le bien-nommé « sens interdit ». Remonter à vélo une rue une rue à contresens, vu le faible encombrement de la chaussée, n’entrave en rien la circulation.”

“Le tracé automobiliste pour relier un point A (chez lui) à un point B (chez un ami) sera véritablement parkinsonien : sens uniques, giratoires, terre-pleins à contourner, détours infinis et rues bloquées par des camions-poubelles, égarement, consultation du plan en double-file et finalement ronde infernale dans le quartier pour se garer et arriver chez cet ami tout juste avant la tombée de la nuit. Pour parvenir chez le même ami, le cycliste réussira, lui, presque la ligne droite, bravant les sens interdits, montant sur les trottoirs, coupant les carrefours et se garant en bas de l’immeuble, dans la cour. Géométriquement vainqueur !”

“J’arrêterai la voiture pour le vélo quand il n’y aura plus de pollution. ” Air connu et grave erreur. Toutes les études le montrent : en voiture on subit AUTANT les effets de la pollution atmosphérique qu’à vélo (davantage de gaz d’échappement respirés par l’automobiliste dans son habitacle qui emprisonne le CO2, mais plus de particules de poussières pour le cycliste au grand air : résultat équivalent. Dès lors comment en finir avec la pollution ? Inutile d’imaginer des solutions scientifiques complexes. Un simple jeu avec les mots suffit, petit tour de magie gratuit et imparable : inversons la phrase mot pour mot : ” Il n’y aura plus de pollution quand j’arrêterai la voiture pour le vélo.”