Privatisation des profits et collectivisation des pertes

SNCF, sociétés d’autoroutes et ultra-libéralisme

L’été est traditionnellement propice aux petites et grandes manœuvres gouvernementales qui visent à privatiser toujours plus des pans entiers du service public. Avec la torpeur estivale, certaines décisions ont plus de chance de passer, surtout dans un contexte délicat d’après-référendum où les Français se sont massivement exprimés contre la politique de libéralisation de l’économie prônée par Bruxelles et mise en place avec zèle par les différents gouvernements ultra-libéraux que la France a connus ces dernières années.

Après la privatisation annoncée des sociétés d’autoroutes le mois dernier, c’est désormais une vingtaine de lignes de trains Corail que la SNCF s’apprête à supprimer pour cause de déficit. Ces lignes, dont trois sont immédiatement visées par des réductions de fréquence (Quimper-Nantes-Bordeaux-Toulouse, Nantes-Lyon et Caen-Le Mans-Tours), participent à l’aménagement du territoire et à une diminution du nombre de voitures sur les routes.

Décembre dernier, le site intermodalite.com relatait « l’arnaque de la SNCF » qui consiste à ne pas proposer les liaisons Corail (au bénéfice du TGV et du passage systématique par Paris) sur son site de vente en ligne voyages-sncf.com (information confirmée ensuite par le Canard Enchaîné). Cette politique permettait de vendre plus de TGV aux usagers (qui rapporte plus) et de commencer à « communiquer sur une baisse de fréquentation des Corails », qui pourrait ensuite s’avérer utile pour justifier la suppression de lignes… devenues déficitaires en partie en raison de la politique de la SNCF!

Dans ce contexte, pourquoi faire le lien entre privatisation des autoroutes et suppression de lignes de trains Corail « déficitaires »? Tout simplement car à chaque fois, c’est la même mécanique ultra-libérale qui est à l’oeuvre pour privatiser des missions de service public. D’ailleurs, le président (PS) des Pays-de-la-Loire Jacques Auxiette a regretté que soit adopté le « vocabulaire de Margaret Thatcher en pleine dérégulation » ferroviaire dans les années 80.

En effet, selon le principe désormais bien connu de « privatisation des profits et de collectivisation des pertes », on ne privatise pas des « activités déficitaires ». Dans le cas des autoroutes, ce sont des sociétés a priori très rentables que l’on s’apprête à vendre au privé; elles ont ou sont sur le point d’avoir remboursé les investissements initiaux et n’ont plus désormais à gérer que l’entretien du réseau autoroutier actuel tout en ramassant l’argent des péages durant les vingt prochaines années.

Dans le cas de la SNCF, le chantage qui consiste à affirmer que l’on va supprimer des lignes déficitaires, si les Régions ne participent pas au financement, s’inscrit dans la même logique et apparaît donc plus qu’inquiétant. En effet, on voit par-là que l’objectif de la SNCF (et de l’Etat, son actionnaire majoritaire) n’est plus le service public, mais la diminution des déficits.

Or, la diminution des déficits s’inscrit dans le cadre européen d’ouverture du marché du transport ferroviaire de passagers à la concurrence. Quand la SNCF n’aura plus que des lignes rentables à exploiter (en particulier TGV), la question de sa privatisation sera alors clairement posée, sous la forme, bien sûr, d’une « ouverture de capital ». Car la SNCF n’est pas une entreprise massivement déficitaire; il ne s’agit donc pas de supprimer des lignes pour « sauver l’entreprise ». Traditionnellement, la SNCF exploite des lignes rentables financièrement et d’autres moins, cela s’appelle la péréquation et garantit un service public d’accès au transport.

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Cette décision de la SNCF en plein été, qui est en fait une décision gouvernementale, n’augure donc rien de bon pour l’avenir du service public ferroviaire français. Après avoir séparé Réseau Ferré de France (RFF) de la SNCF, le gouvernement s’apprête donc à plus ou moins court terme à privatiser totalement le transport ferré de voyageurs.

Or, que ce soit pour les autoroutes ou pour la SNCF, les logiques financières en jeu (réduction des déficits, recherche d’argent et libéralisation) ne tiennent pas compte d’un fait majeur: l’automobile ne paye pas l’ensemble des coûts sociaux et environnementaux dont elle est responsable. En effet, il apparaît, selon l’Afsse (Agence française de sécurité sanitaire environnementale), que « les conséquences néfastes engendrées par le trafic automobile sont supérieures aux montants payés via les péages et la fiscalité sur les carburants ».

Ce coût global de l’automobile ne sera quant à lui pas privatisé… et sera donc supporté encore et toujours par la collectivité, c’est-à-dire par les contribuables. Par conséquent, la suppression de quelques lignes de trains déficitaires aura le mérite d’améliorer le bilan comptable de la SNCF afin de « rendre la mariée plus présentable » face à un éventuel repreneur privé; l’augmentation du nombre de voitures sur les routes et les coûts pour la société qui vont en découler seront quant à eux, et comme toujours, dilués dans la masse du PIB.

Dans une période où le prix du pétrole n’arrête plus de monter et atteint désormais presque 70 dollars le baril, la question de la suppression de quelques lignes de train « déficitaires » devrait donc être observée avec un peu de recul et avec un minimum de vision stratégique de l’avenir et des enjeux environnementaux en cours, ce qui relève normalement du travail attendu de la part des hommes et des femmes politiques…

Mais, il est vrai qu’il est plus facile de garder le nez sur quelques lignes d’un bilan comptable, surtout quand cela cadre avec les intérêts de quelques gros groupes financiers à l’affût des bonnes affaires, plutôt que de poser une bonne fois pour toutes la question de la place de l’automobile dans notre société.