Directive Eurovignette – recherche volonté politique… désespérément ?

Depuis plusieurs mois, les concepts de vignette et de taxe kilométrique intelligente sont largement débattus en Europe. Il semble intéressant, pour la bonne compréhension de chacun, de replacer ces discussions dans le cadre plus large des politiques européennes.

La tarification de l’utilisation des infrastructures routières s’inscrit, au niveau européen, dans une réflexion globale relative à l’internalisation des coûts externes pour tous les modes de transport. Avant d’en venir à l’internalisation, il est nécessaire de préciser ce que l’on entend par coûts externes. Quel que soit le mode de transport utilisé, se déplacer coûte. Certains coûts sont directement pris en charge par les utilisateurs. On les appelle les coûts « internes ». Pour la voiture, ce sont le prix d’achat, le carburant, les assurances… D’autres coûts sont pris en charge par la collectivité (l’Etat). Ce sont les coûts « externes ». Certains se rapportent directement aux infrastructures : construction, exploitation, entretien, développement. D’autres sont causés par les incidences négatives du transport : congestion, accidents, pollution de l’air, bruit, changements climatiques, effets sur la nature, les paysages, l’eau et les sols. D’autres enfin se rapportent aux processus amont et aval (fabrication et retraitement des véhicules, filières de production de l’énergie, …).

L’internalisation est une théorie économique qui vise à faire payer aux utilisateurs les coûts externes que leurs comportements induisent, ceci dans la perspective du bon fonctionnement d’une économie de marché, nécessitant une saine concurrence libre et non faussée. Les différents modes de transport présentant des degrés d’internalisation différents, cela génère en effet des situations de distorsion de concurrence. Cette théorie économique se rapproche fortement du principe du « pollueur-payeur » inscrit dans les textes fondateurs européens.

Pollueur-payeur… a priori, l’idée est belle. Mais il convient de faire preuve de beaucoup de prudence dans sa mise en application. Premier écueil : la frontière est ténue entre l’idée de pollueur-payeur et celle d’utilisateur-payeur. L’application à large échelle de celle-ci, c’est à dire l’imputation de tous les coûts sociaux aux utilisateurs finaux est synonyme de disparition du principe de solidarité et du rôle de redistribution de l’Etat. Fini l’enseignement gratuit, fini le remboursement des soins de santé, … finis les service de transport publics (actuellement, la billettique couvre, en fonction des sociétés de transport, entre 20% et 50% des coûts de fonctionnement). Second écueil : comment monétariser l’inestimable ? Quel coût associer à la perte d’une vie humaine ? A combien chiffrer les dommages associés aux changements climatiques, à la perte de la biodiversité, sachant que seuls nos descendants pourront en « apprécier » pleinement les impacts ?

Pour éviter ces deux écueils, deux solutions. D’une part, il convient de ne pas faire de cette théorie économique une religion mais de la placer au service d’une politique de réduction de la demande de transport. D’autre part, il est nécessaire de définir une méthodologie large, applicable à tous les modes de transport, sans chercher à atteindre la « perfection » dans l’estimation des différents coûts, mais en atteignant un large degré de consensus. Une telle méthodologie est proposée par l’étude IMPACT (Internalisation Measures and Policies for All external Cost of Transport : mesures et politiques d’internalisation de tous les coûts externes du transport). Cette étude, commanditée par la Commission européenne, résume « l’état de l’art » sur la question.

Ceci nous ramène (enfin !) au sujet de cette news : la vignette et la taxe kilométrique. La Directive européenne Eurovignette fixe les « règles du jeu » en matière de taxation des poids lourds pour l’utilisation des certaines infrastructures routières, sans obliger les Etats-membres à introduire de tels systèmes. Le texte initial date de 1999 et a été révisé en 2006. Cette révision, dont l’objectif premier n’était pas environnemental, a tout de même débouché sur quelques « belles avancées ». Ainsi, les péages (fonction de la distance parcourue) et les droits d’usage (forfait pour une période donnée) doivent être proportionnels à la classe EURO du véhicule. Ou encore, si seuls les coûts d’infrastructures peuvent être pris en compte, il est néanmoins possible d’appliquer des droits régulateurs ou des majorations pour tenir compte des impacts plus élevés dans les zones urbaines et dans les zones montagneuses.

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Cette directive devrait faire l’objet d’une nouvelle révision. Une proposition de la Commission européenne est attendue pour début juillet. Le projet de texte qui circule actuellement ne laisse pas entrevoir une volonté franche de prendre à bras le corps le problème des incidences négatives du transport. Ainsi, alors que l’étude IMPACT propose une méthodologie complète, seuls trois externalités sont prises en compte : le bruit, la pollution de l’air et la congestion. Ou encore, on semble s’orienter vers une affectation des revenus au secteur des transport, voire au mode de transport ayant généré les incidences. Face à ce projet, qui fait preuve d’un certain « pragmatisme » politique (il s’agit tout de même d’arriver à un compromis à 27…), les environnementalistes affûtent leurs arguments pour les démarches de lobby qui seront entreprises dans les mois à venir.

Très spécifiquement, les attentes sont au nombre de six.

il convient d’inclure tous les coûts externes, y compris les accidents, les changements climatiques, la pollution de l’eau et des sols ;
si la Directive demeure facultative (ce qui est très probable vu le contexte politique), il n’y a pas lieu d’étendre son champ d’action à tout le réseau routier (il est actuellement limité au réseau trans-européen, le RTE-T), ceci afin de laisser les « mains libres » aux états membres sur le reste du réseau ;
il faut promouvoir (obliger à ?) la transition des systèmes de droits d’usage ( forfaitaires ) au systèmes de péages ( fonction de la distance ) ;
il ne faut pas fixer de plafonds sur les péages, la méthodologie de l’étude IMPACT offrant suffisamment de garanties pour éviter des « dépassements » inacceptables)
il est nécessaire de prévoir la possibilité de prendre en compte les surcoûts dans les zones sensibles ;
et enfin, il ne faut pas obliger les Etats membres à affecter les recettes au mode de transport les ayant « générées » (la route en l’occurrence) : cela reviendrait à donner plus de moyens financiers au développement au mode le plus polluant (ceux qui génèrent le plus de rentrée).

Ces revendications, portées par la Fédération européenne T&E (transport and environment) et d’autres aspects du dossiers sont abordés dans l’exposé présenté par IEW au séminaire sur les enjeux de la présidence française de l’Union européenne co-organisé ces 27 et 28 mai à Paris par le BEE (bureau européen de l’environnement) et le MEEDDAT (ministère de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire).

eurovignette

Source: Inter-Environnement Wallonie
Fédération des associations d’environnement

http://www.iewonline.be/