Le fléau des banlieues américaines

RIVERSIDE, Californie. – L’endroit est connu comme « l’empire intérieur »: une grande étendue de terre coincée dans la haute vallée du désert à l’est de Los Angeles. Avant, il y avait des arbres fruitiers et des indiens, maintenant ce n’est qu’un étalage d’autoroutes encombrées, de faubourgs interminables et de centres commerciaux.

Mais voilà qu’ici, au paradis des 4 voies, une révolution est en cours. Ce qui avant était impensable est en train de se réaliser brutalement : la fin de l’envahissante histoire d’amour des américains et de l’automobile.

L’augmentation du prix de l’essence réussit là où les arguments pour l’environnement avaient échoué. Cela fait longtemps que l’on dit aux américains qu’ils devraient se limiter dans l’usage de la voiture. Maintenant, confrontés à un carburant à 4 $ le gallon, ils n’ont plus le choix.

Prenez Adam Garcia, un gardien qui travaille près de la gare de Riverside. Comme beaucoup de résidents de l’empire intérieur, il fait la navette sur de grandes distances : 160 km par jour. Avant, cela ne le dérangeait pas. Maintenant, avec le prix de l’essence qui a triplé, cela le fait réagir. Il a modifié le moteur de sa voiture pour améliorer son rendement. « Je suis obligé. Tout le monde le fait. Je ne peux pas conduire autant qu’avant », explique-t-il.

Des statistiques récentes signalent la plus grande baisse de km parcourus par les américains depuis 1942. Et par ailleurs, les ventes de voitures chutent, surtout les immenses 4 x 4 (SUV).

General Motors, qui fut jadis le symbole de la puissance industrielle américaine, est en difficulté. Les villes investissent maintenant dans le transport public, espérant faire revenir les gens vers les centres ville, depuis les ceintures de banlieue éloignées où ils se retrouvent isolés à cause du prix de l’essence.

Jonathan Baty était un pionnier. L’éclairagiste se rend au travail en vélo, chaque jour depuis 1993. Un aller et retour de 14 km au coeur d’une civilisation automobile que l’on avait appelé ‘Autopie’. Mais maintenant Baty n’est plus tout seul sur son trajet quotidien, car d’autres ont aussi choisi les deux-roues pour parcourir les rues de la Californie du sud. « On a assisté à l’émergence d’une culture du vélo par ici. L’intérêt va croissant. » affirme Baty, qui agit comme bénévole dans un groupe cycliste : Bicycle Commuter Coalition of the Inland Empire.

A Riverside, le trafic des bus a augmenté de 12%, et de 40% sur les routes les plus utilisées. L’utilisation des trains a augmenté de 8%. Un groupe de mise en commun des voyages par auto est à plus 40%. C’est pareil ailleurs dans le pays. Au sud de la Floride, un système de transport par train a annoncé une croissance de 28% du nombre de ses passagers. A Philadelphie, une autre ligne parle de 11%. Dans tout le pays, la vente des vespas s’est envolée. Alors que celle des voitures est la plus basse depuis 15 ans. La semaine dernière, les principaux fabricants d’auto US ont annoncé une baisse désastreuse de 18% de leurs ventes.

Le fléau des banlieues américaines

La vraie révolution est ailleurs. En Amérique, la vente des voitures a une valeur symbolique qui transcende les petites affaires des revendeurs. On est au pays des voyages mythiques sur 4 roues, et de la Route 66. « Il existe un rêve américain de mobilité et de liberté, et de richesse. La voiture en fait partie, » raconte le professeur Michael Dear, un expert des études urbaines à l’Université de Californie du Sud.

Dans les années ’50, un pays sûr de lui-même qui avait permis de gagner la seconde guerre mondiale, s’exprimait en lignes automobiles classiques, en super ailerons et en décapotables. Dans les années ’90, ce fut les 4 x4, en voitures énormes comme celles des militaires. Maintenant, ça change. Car sous les chiffres de vente de voiture, se cache une histoire plus complexe que la simple diminution de chiffres d’affaires. Les ventes de gros cyclindres s’effondrent et ce sont de plus petits, surtout les véhicules hybrides plus économes, qui les remplacent.

General Motors a fermé 4 unités de production de ‘VUS’ – (gros véhicules utilitaires sportifs). Sa gamme ‘HUMMER’ est à vendre et elle pourrait bien fermer. GM investit énormément dans sa Chevy Volt, qui doit sortir en 2010, une voiture hybride qui peut faire 220 km pour un gallon. GM est bien obligé : le prix de ses actions est au plus bas depuis 54 ans, si mal en point qu’une banque a prévenu qu’il pourrait bientôt se retrouver en faillite.

La Volt, et d’autres voitures du même genre, pourraient devenir les symboles d’une époque de l’automobile plus respectueuse de l’environnement. Le 4 juillet, jour férié, a été célébré par un plus grand nombre d’américains chez eux que sur la route. Les journaux ont parlé de va-nulle-part en guise de vacances. Des habitudes auparavant raillées, comme le voyage en commun, ou la limitation des déplacements au centre commercial, sont devenues courantes. C’est vrai, la grande majorité des américains ne peut pas se passer complètement de leurs voitures. Dans trop de villes, il n’y a pas suffisamment de moyens de transport public.

Adam Garcia fait partie de ces captifs. Il a deux boulots et ses déplacements quotidiens en voiture sont une obligation. « On n’a pas vraiment le choix. Je dois aller en voiture. »  dit-il. Il sacrifie autre chose, comme aller au cinéma ou visiter des amis.

Mais le nouveau rapport de l’Amérique avec la voiture n’est encore qu’une partie de l’histoire de la transformation du pays le plus puissant quand il est confronté à l’augmentation du prix de l’essence. L’Amérique a été construite sur une économie basée sur le pétrole, que cela concerne les employés des faubourgs ou les fermiers à la campagne.

Depuis les années ’50 et la construction du faubourg de Levittown, innovateur à l’époque puisqu’il était fondé sur l’automobile, la ville américaine a été conçue autant pour la voiture que pour ses habitants humains. Les gens vivent à des km de leur travail, des magasins ou des lieux de loisir. Si vous supprimez la voiture, tout un système de vie banlieusard s’effondre. Certains pensent évidemment que cela aurait dû avoir lieu il y a bien longtemps.

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« La banlieue n’a jamais été écologiquement durable depuis le début », dit Chris Fauchere, un cinéaste de Denver qui produit un nouveau documentaire sur la question qu’il appelle « The Great Squeeze » (la grande réduction). « Il traite de l’essence bon marché. les gens croyaient que ça allait continuer jusqu’à la fin des temps ».

Le film de Fauchere, qui doit sortir cette année, parle des grands changements dans un monde où l’essence se fait plus rare. Il ne croit pas que les américains s’y habitueront facilement. « Cela va être dur. C’est comme une réaction en chaîne dans l’économie. Mais si vous étudiez l’histoire, ce n’est que par les crises que les changements arrivent ».

Les banlieues sont déjà touchées. Comme la voiture devient plus chère, vivre dans les banlieues perd sa raison d’être. Certains observateurs ont même suggéré que les banlieues – qui représentèrent l’archétype du mode de vie américaine – vont devenir des taudis.

Confronté au carburant cher et à l’effondrement des prix de l’immobilier, ce qui fut le symbole d’un certain rêve américain va se criminaliser, parfois rester inoccupé et souvent abriter les pauvres et les sans-travail. Cela se passe déjà puisque la criminalité et la violence des bandes a augmenté dans beaucoup de zones péri-urbaines et des dizaine de milliers d’habitations ont été saisies à cause de la crise des prêts immobiliers.

En effet, les banlieues vont remplacer les centres villes (NDT : souvent bien plus misérables aux Etats-Unis que les banlieues occupées par les classes moyennes) qui au contraire connaissent une nouvelle prospérité. Même les centres commerciaux, le plus haut symbole du mode de vie US depuis la guerre, connaissent une crise car beaucoup de consommateurs les évitent désormais.

Plus encore : la voiture, le système des grand’routes et les vols aériens bon marché avaient rendu l’Amérique plus petite. On pouvait se rendre partout facilement. Cela aussi, c’est terminé. Le prix élevé des carburants a porté un coût terrible aux compagnies aériennes US. On supprime des vols, on augmente les prix et on supprime des trajets desservis. Des petites villes sont en train de perdre leurs connexions aériennes.

L’Amérique redevient grande. Cela conduira à une économie plus localisée. Pour les écologistes, c’est une bénédiction. Ils rappellent ce que l’essence bon marché a signifié pour le transport industriel comme par exemple les salades ensachées qui voyageaient 2400 km avant d’arriver sur les étagères d’un supermarché.

« La distance est désormais un ennemi », affirme le professeur Bill McKibben, auteur d’un classique ouvrage paru en 1989 : « la fin de la nature ». « Il est certain que le temps de la conduite frivole est terminé ».

Les régions les plus touchées ne sont pas encore les banlieues ou les autoroutes du sud de la Californie, mais les petites villes essaimées dans les grandes plaines, les montagnes des Appalaches et les campagnes du sud profond. Plus que dans ‘l’empire intérieur’, les gens là-bas, dans ces régions isolées et pauvres, dépendaient d’un pétrole bon marché et ils sont bien moins susceptibles de pouvoir payer les nouveaux prix à la pompe. On raconte souvent que des ouvriers agricoles n’ont pas les moyens de se rendre aux champs et beaucoup d’entreprises rurales font faillite.

Même les paysans sont touchés. Même s’ils n’ont pas besoin de voiture pour aller aux champs, leurs engrais sont produits à base de pétrole et donc ils sont désormais hors de prix. Quelques uns ont repris à se servir de chevaux pour certains travaux, pour économiser sur l’essence.

Le rêve américain du siècle dernier se transforme. La voiture et la culture qui lui est attachée, se trouvent sous une pression encore inimaginable il y a encore quelques années. ‘Le culte de la mobilité sans fin que nous avons connu toute notre vie touche a sa fin’ selon McKibben.

Les excès américains ont connu beaucoup d’émules. Récemment, une délégation de fonctionnaires et d’architectes chinois a visité une banlieue de l’Arizona, près de Phoenix. Ils prenaient des notes admiratives en explorant des banlieues luxueuses dédiées à l’automobile. Et il ne s’agit que d’un exemple de délégations qui leur rendent visite, depuis l’extrême orient ou l’Amérique du sud.

Alors que les Etat-Unis ressentent encore la gueule de bois des excès du pétrole bon marché, d’autres parties du monde essaient de rentrer dans le club. Eux aussi, il veulent habiter loin des centres villes crasseux, ils veulent des grand’routes ouvertes et des voitures rapides. C’est encore une vision ensorcelante de la liberté, de la mobilité et de la prospérité.

McKibben s’est rendu à Beijing la semaine dernière. Il était préoccupé. Alors que l’obsession US pour l’automobile se termine, d’autres l’embrassent. « Les chinois ont passé l’ère Bush à essayer de construire leur version de l’Amérique. Une question clef pour la planète est de savoir s’il est encore temps pour eux de construire plutôt une version de l’Europe – Le réchauffement de la planète dépendra beaucoup de la réponse à cette question ».

Paul Harris – The Guardian – Observer
http://www.guardian.co.uk/environment/2008/jul/06/travelandtransport.usa
Traduction par Borogove