Les premiers principes d’une loi sur le péage urbain en France

De nombreuses villes étrangères recourent au péage urbain pour favoriser l’organisation des déplacements dans leur centre-ville, pour réduire la pollution ou pour améliorer l’accessibilité et le cadre de vie urbain, etc. Une agglomération française ne peut le faire à moins qu’une loi ne l’y autorise.

À l’issue des travaux du Grenelle de l’environnement, le Président de la République, dans son discours de clôture, a souligné sa volonté de permettre aux collectivités territoriales d’instituer un péage urbain comme l’un des moyens de favoriser un développement durable des transports. Cette note présente une synthèse des différentes formes que recouvre la notion de péage urbain et cherche à définir les principes qui pourraient figurer dans une loi permettant à une collectivité de recourir à ce mode de régulation.

En France, le péage urbain pourrait juridiquement être considéré soit comme une taxe, soit comme une redevance pour services rendus. Mais, dès lors qu’il a pour finalité de financer des dépenses qui ne seraient pas strictement destinées à rendre un service à celui qui l’acquitte, il ne pourrait être, dans la majorité des situations, assimilé à une redevance. Dans ces conditions, le péage urbain devrait être considéré comme une taxe, ce qui conduit à recourir à la loi pour en permettre la création conformément à l’article 34 de la Constitution qui oblige le législateur à définir l’assiette, les modalités de perception et le montant de la taxe.

1. La loi doit encadrer ce que pourra être un péage urbain

Les exemples étrangers montrent qu’il existe une grande variété de péages urbains. Une loi ne doit donc pas avoir pour but de figer dans un texte juridique une description précise et unique du péage urbain, mais d’offrir aux collectivités un cadre juridique global dans lequel elles puissent instituer en toute liberté un dispositif adapté à leur territoire. La loi pourrait ainsi encadrer de façon large les finalités du péage urbain en permettant aux collectivités de choisir leurs propres objectifs parmi une liste générale. Compte tenu des expériences étrangères, celle-ci pourrait comprendre les finalités suivantes :

– limiter la circulation automobile, les émissions de gaz à effet de serre et la consommation de combustibles fossiles,
– lutter contre la pollution atmosphérique et les nuisances environnementales,
– favoriser l’utilisation des moyens de transport publics ou collectifs,
– améliorer l’accessibilité et le cadre de vie urbain.

En ce sens, il s’agirait bien plus d’une loi d’encadrement qui permettrait à une collectivité de mettre en oeuvre son propre péage dans un cadre fixé de manière durable dans le temps que d’une loi d’expérimentation qui, conformément à l’article 37-1 de la Constitution, prévoirait des dispositions pour une durée limitée.

Si la loi sur le péage urbain doit laisser le maximum de libertés aux collectivités locales, elle doit cependant, conformément à l’article 34 de la Constitution, « fixer les règles concernant l’assiette, les taux et les modalités de recouvrement du péage ».

Pour satisfaire cette exigence, la loi pourrait fixer les valeurs maximales du taux du péage urbain et encadrer les modulations possibles, de préférence en fonction de situations objectives, telles que les périodes de congestion ou la disponibilité d’un transport collectif alternatif à l’automobile. La valeur de ce taux pourrait être appréciée par référence aux coûts de congestion et d’environnement les plus élevés que l’on peut estimer à partir des observations environnementales (bruit, pollution, vitesse du trafic) et des valeurs tutélaires (du temps, de la pollution, du bruit et des émissions de gaz à effet de serre). Ces valeurs maximales pourraient être différenciées entre l’Île-de-France et les autres aires urbaines, en fonction de données géographiques objectives (taille de l’agglomération ou de la zone concernée, etc.). Soulignons également que dans la mesure où il s’agit d’une taxe, la mise en oeuvre de tout péage urbain augmente le niveau des prélèvements obligatoires.

2. Le péage urbain a pour but de créer un supplément d’utilité pour la collectivité dans l’organisation d’une mobilité durable

La mise en place du péage urbain n’est pas destinée à recréer une nouvelle forme d’octroi15 mais à rechercher un supplément d’utilité pour la collectivité dans l’organisation d’une mobilité durable. Les économistes ont démontré depuis près de 150 ans que la mise en place d’un péage sur une infrastructure publique existante non congestionnée appauvrit globalement la collectivité : la perte économique des usagers (qui doivent emprunter un itinéraire plus long ou renoncer à leur déplacement) est en général supérieure à l’avantage obtenu par la collecte de la ressource publique supplémentaire. Ils ont, au contraire, mis en évidence deux cas où un péage routier se révèle utile à la collectivité :

– un péage destiné à financer une infrastructure nouvelle. Les automobilistes qui l’empruntent gagnent du temps ;
– un péage destiné à réguler, voire à réduire, la circulation automobile sur une infrastructure existante saturée ou dans une zone dense, assorti d’une offre de transport public pertinente, qui peut apporter un supplément d’utilité collective en améliorant la fluidité du trafic, en incitant une partie des usagers à emprunter les transports collectifs et en améliorant le cadre de vie urbain, par une diminution des encombrements, du bruit et de la pollution.

Dès lors, la mise en place d’un péage urbain pourra être considérée comme légitime si l’évaluation socioéconomique (environnementale et financière) du projet permet de montrer qu’elle apporte un bénéfice global pour la collectivité.

3. Le péage urbain est un élément important de l’organisation des déplacements urbains ; il devrait donc s’insérer dans une politique d’ensemble des déplacements et sa mise en oeuvre relèverait de l’autorité organisatrice des transports

La mise en oeuvre d’un péage urbain va modifier à l’évidence les déplacements à l’intérieur de l’agglomération concernée. Les objectifs qui le justifient ne se distinguent d’ailleurs pas fondamentalement de ceux, plus généraux, des plans de déplacements urbains (PDU) : limiter l’usage de l’automobile dans les parties les plus denses de l’agglomération, fluidifier la circulation routière, améliorer les transports collectifs, réduire la pollution locale et les émissions de gaz à effet de serre, financer l’aménagement d’infrastructures, etc. De ce fait, le péage urbain ne peut être dissocié de l’ensemble des objectifs et des mesures prises par une collectivité territoriale pour améliorer les conditions d’une mobilité urbaine durable (notamment dans les schémas de cohérence territoriale, les plans locaux d’urbanisme ou les plans de déplacements urbains). Dans ces conditions, il paraît logique de confier sa mise en place à l’autorité organisatrice des déplacements urbains. De plus, même si les PDU ne sont obligatoires que dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants, les autorités organisatrices de transports urbains, correspondant à des agglomérations de taille inférieure, devraient pouvoir mettre en oeuvre un péage urbain dès lors qu’elles ont approuvé leur plan de déplacements urbains. En proposant d’élaborer une loi destinée à donner aux collectivités territoriales la compétence d’instituer des péages urbains, le rapport du groupe de travail n° 1 du Grenelle de l’environnement a notamment souligné « la nécessité de ne pas réduire cette possibilité aux seules grandes agglomérations ».

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Politiques de stationnement payant et péages urbains peuvent être mis en oeuvre de manière complémentaire par l’autorité organisatrice, au service de sa politique de déplacements. Par rapport au stationnement payant, le péage urbain présente l’avantage de faire payer les usagers responsables des principales externalités (y compris celles générées par des véhicules en transit) et ses tarifs peuvent être modulés dans le temps en fonction des heures de congestion.

Compte tenu de l’étendue et de la spécificité de la région Île-de-France, qui ne comporte qu’une seule autorité organisatrice de transports, la compétence pour instituer un péage urbain pourrait soit être confiée au seul syndicat des transports d’Île-de-France, soit faire l’objet d’une loi particulière après concertation préalable entre les partenaires concernés.

4. Il appartiendra ensuite aux collectivités de choisir la tarification adaptée

Selon le calcul socioéconomique, le péage optimal correspondrait à la différence entre :

– le coût marginal social pour la collectivité, calculé comme le coût supplémentaire d’un véhicule entrant sur le réseau, et qui comprend les dépenses supplémentaires d’entretien et d’exploitation, les pertes de temps infligées aux autres usagers du réseau compte tenu de la congestion, les effets sur la sécurité et sur l’environnement ;
– et les taxes ou péages déjà acquittés par ce même véhicule, tels que la TIPP, les péages d’infrastructures concédées, ainsi que les autres taxes routières et la future taxe nationale sur les véhicules de transport de marchandises.

Il appartiendra aux autorités locales compétentes de justifier le niveau du péage retenu en fonction des bénéfices attendus et du traitement des effets négatifs possibles, dans le cadre des objectifs de mobilité durable qu’elles préconisent : la possibilité pour une collectivité de moduler les tarifs en fonction de ses objectifs devrait être inscrite dans la loi. Elle permettrait notamment de favoriser le développement des véhicules électriques et hybrides électriques dans les prochaines années.

Les autorités locales compétentes devront en outre prendre en considération la situation des différentes catégories d’usagers concernés, notamment ceux qui ne disposent pas de mode de transport alternatif à l’automobile. La modulation des tarifs de péage en fonction des ressources peut permettre d’éviter de pénaliser le pouvoir d’achat des familles aux revenus les plus modestes. À l’inverse, elle en diminue la lisibilité et conduit à un prix qui s’éloigne du véritable coût du transport si bien qu’un certain nombre d’économistes préfèreront ne pas créer de tarifs sociaux. Il semblerait nécessaire dans ce cas de plafonner le tarif du péage urbain et de permettre à la collectivité de l’accompagner de la mise en place d’autres mesures redistributives n’affectant pas le choix de transport des intéressés. Par exemple, on pourrait considérer que le montant maximum du versement journalier d’un usager pour le péage urbain (hors Île-de-France) ne pourra excéder 3 euros pour les véhicules légers (tarif comparable à un forfait journalier d’utilisation des transports en commun dans une grande agglomération) et 10 euros pour les poids lourds, à charge pour les collectivités de moduler ensuite les différents tarifs à l’intérieur de ces valeurs.

5. La loi pourrait fixer un certain nombre de modalités techniques afin de faciliter la mise en oeuvre du péage par les collectivités

Il serait opportun de mettre à la disposition de la collectivité territoriale responsable du péage urbain les instruments techniques lui offrant le choix du dispositif de perception et de contrôle qu’elle estimera le plus approprié, dans le cadre général fixé par la loi. Si la taxe est perçue à l’aide d’un équipement électronique embarqué, cet équipement devrait être techniquement compatible avec tous les systèmes européens de péage électronique (conformément à la réglementation européenne). Le contrôle est la partie la plus problématique et coûteuse d’un péage urbain, et peut impliquer des investissements élevés. Au regard des expériences étrangères, il apparaît que le système de perception et de contrôle le plus répandu et le plus efficace utilise à la fois un badge électronique embarqué à bord du véhicule (OBU), détecté lors du passage du véhicule sous un portique, et des caméras de contrôle pour photographier les plaques d’immatriculation des véhicules n’ayant pas acquitté le péage, afin d’identifier leur propriétaire, comme il en existe dans beaucoup de municipalités italiennes pour vérifier le respect de l’interdiction de circulation des véhicules dans les zones historiques. Pour plus d’efficacité, la loi pourrait donner la compétence de poursuite des infractions et de recouvrement des amendes aux autorités ayant institué le péage. Ces autorités territoriales compétentes pourraient bénéficier de l’expérience de mise en oeuvre de la taxe poids lourds sur le réseau national. Elles devraient être autorisées à déléguer à un prestataire extérieur la réalisation technique du système, ainsi que les tâches matérielles de perception et le contrôle.

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Le péage urbain doit s’insérer dans une vision durable de la mobilité et de l’aménagement urbains, en confortant la mise en oeuvre des objectifs économiques, sociaux et environnementaux, définis par les autorités territoriales. Le péage urbain peut ainsi constituer, lorsque son utilité socioéconomique et environnementale est avérée, un moyen supplémentaire pour :

– limiter la circulation automobile, les émissions de gaz à effet de serre et la consommation de combustibles fossiles,
– lutter contre la pollution atmosphérique et les nuisances environnementales,
– favoriser l’utilisation des moyens de transport publics ou collectifs,
– améliorer l’accessibilité et le cadre de vie urbain.

L’ensemble des problématiques qu’il soulève (juridique, économique, sociale, technique) ne peut qu’encourager des approches pédagogiques préparant les conditions de débats publics informés et sereins lorsque des projets locaux seront envisagés

Olivier Paul-Dubois-Taine, président,
Dominique Auverlot, coordonnateur
Denise Ravet, Philippe Rossinot et Christine Raynard, rapporteurs

Pour une ville plus durable : Les principes d’une loi sur le péage urbain

La note de veille n°108 du Centre d’Analyse Stratégique (CAS) , septembre  2008.
Péage urbain : Principes pour une loi, Rapport complet (septembre 2008).

Source: www.strategie.gouv.fr