Quand le pétrole détruit l’Amazonie

Depuis 30 ans, l’Amazonie subit des déversements de pétrole qui attaquent sa biodiversité et mettent en péril sa survie.  Le pétrolier américain Texaco, filiale du groupe Chevron depuis 2001, la compagnie nationale Petroecuador et le gouvernement équatorien se sont toujours rejetés la responsabilité de cette catastrophe environnementale et sociale.

Texaco, principal accusé, a longtemps refusé un règlement à l’amiable. Il rejette  l’accusation sur la compagnie pétrolière nationale, Petroecuador, et reproche au gouvernement équatorien sa partialité. Chevron, qui n’a jamais eu d’exploitations en Equateur, doit aujourd’hui assumer la responsabilité des actes de sa filiale et propose de verser 16,3 milliards de dollars à l’Etat équatorien pour mettre fin à ce conflit.

Après 15 ans de bataille juridique, la demande d’un réglement à l’amiable de la part de Chevron signifie-t-il qu’il reconnaisse être coupable ou simplement qu’il pense avoir eu son lot de mauvaise publicité ? Dans cette histoire, quel que soit le coupable la seule chose sûre, c’est que ce sont encore les populations qui payent.

Voici le récit de cette histoire par Rouba Naaman, mis en ligne sur novethic.fr:

En Equateur, l’Amazonie est victime d’une pollution aux hydrocarbures depuis 1972. Le pétrolier américain Texaco, la compagnie nationale Petroecuador et le gouvernement équatorien se sont toujours rejeté la responsabilité de cette catastrophe environnementale et sociale. Chevron, actuel propriétaire de Texaco, propose de verser 16,3 milliards de dollars à l’Etat équatorien pour mettre fin à ce conflit.

« Texaco toxico ». C’est ce que clament les habitants de l’Amazonie équatorienne au sujet du pétrolier américain, filiale du groupe Chevron corporation depuis 2001. Une pollution due à des déversements de résidus de pétrole attaque depuis 30 ans la forêt vierge et les fleuves d’Equateur. Le principal accusé, Texaco, a longtemps refusé un règlement à l’amiable. Il rejette même l’accusation sur la compagnie pétrolière nationale, Petroecuador, et reproche au gouvernement équatorien sa partialité. Chevron, qui n’a jamais eu d’exploitations en Equateur, doit aujourd’hui assumer la responsabilité des actes de sa filiale. Et envisage de payer.

Texaco commence l’exploitation du pétrole en Equateur en 1964, dans la province d’Orellana (Est) où s’étend la forêt amazonienne. Un accord de coopération est signé en 1965 entre Texaco et Petroecuador. Lorsqu’elle quitte le pays en 1992, la compagnie pétrolière est soupçonnée d’avoir sciemment déversé, à partir de 1972, plus de 70 milliards de litres d’eaux polluées. Le rapport de Judith Kimerling, juriste, accuse également Texaco d’avoir rejeté plus de 60 millions de litres de pétrole dans la forêt amazonienne. Ces substances auraient pollué les rivières et les terres alentours, impactant gravement les paysans et les populations indigènes. Petit à petit, de nombreuses affections émergent : cancers, dysenteries, fausses-couches et malformations. Plusieurs études sanitaires démontrent que vivre près des exploitations pétrolières augmente la probabilité de tomber malade.

Pression populaire pour une catastrophe sans précédent

Devant le désastre écologique et humain, un mouvement se forme contre Texaco. En 1994, est fondé le Front de défense de l’Amazonie (Frente de defensa de la Amazonìa, FDA) qui regroupe de nombreuses associations locales. Oxfam America, Amnesty international, Human rights watch et l’ONG américaine Amazon watch soutiennent leur démarche. Dès 1993, 30000 habitants de l’Amazonie équatorienne portent plainte contre Texaco. A partir de là, la compagnie pétrolière fera tout pour éviter un procès qui ne peut que lui être nuisible. La plainte est déposée devant la cour fédérale de New York, l’Equateur ayant refusé de l’accepter en invoquant des intérêts économiques. Le géant pétrolier réussit cependant à faire transférer le dossier à une cour équatorienne en 2002, repoussant ainsi de 9 ans le début du procès.

Concrètement, les plaignants reprochent à Texaco Ecuador de n’avoir pas appliqué en Equateur les standards environnementaux imposés par sa maison mère aux Etats-Unis. La compagnie pétrolière aurait ainsi économisé 1 à 3 dollars par baril produit, soit 8,3 milliards de dollars au total. Un expert mandaté par le tribunal estime que l’indemnisation des populations et la réparation des dégâts environnementaux coûterait près de 8 milliards de dollars. Les plaignants réclament donc aujourd’hui 16,3 milliards de dollars à Chevron.

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Pendant des années, Texaco a refusé tout accord direct avec les populations amazoniennes. En 1995, face à leur action en justice, la compagnie offre 40 millions de dollars à l’Equateur pour réparer les dégâts environnementaux. « Cette somme représente la part de Texaco dans le consortium de coopération, soit un tiers » explique Chevron. En échange de quoi le gouvernement accepte de soulager Texaco de toute responsabilité dans cette affaire. Selon le FDA, ce “nettoyage” est une « imposture », et les taux de contaminations sont inchangés. Texaco aurait simplement enterré les déchets toxiques sans les dépolluer au préalable. Selon Chevron corporation, en revanche, les résultats des prélèvements, effectués par des experts mandatés, sont en deçà des normes équatoriennes et américaines. Quoi qu’il en soit, « les améliorations effectuées ont été entièrement supervisées et avalisées par le gouvernement équatorien » rappelle la compagnie. Une façon pour Chevron de souligner le rôle douteux de l’Etat équatorien.

Ping-pong juridique sur 15 ans

Le gouvernement équatorien s’est montré pour le moins ambivalent. Non content d’avoir profité de 95% des bénéfices du consortium pétrolier, et après avoir refusé la plainte de ses propres citoyens, il prend aujourd’hui ouvertement le parti des populations d’Amazonie, et espère récupérer de fortes indemnités. L’accord de coopération entre Petroecuador et Texaco met l’Equateur face à un évident conflit d’intérêt. Les prises de positions publiques des experts et du gouvernement en défaveur de Chevron ne laissent aucun doute. Quelle que soit la responsabilité de Texaco, le gouvernement équatorien a intérêt à reporter l’attention sur la compagnie américaine, pour faire oublier ses propres dérives. Chevron remet en cause la partialité du procès, et va jusqu’à parler de « farce juridique ».

Dans ce procès, chaque partie accuse son adversaire de tous les maux : corruption d’experts, fabrication de preuves, faux-témoignages, etc. Chevron se retourne vers les prud’hommes américains en 2004. La société réclame que Petroecuador partage la responsabilité de la pollution avec elle, en lien avec l’accord de coopération. Le gouvernement équatorien et sa compagnie pétrolière tentent de faire annuler cette démarche, mais sont déboutés en 2005 par la Cour suprême de New York. Chevron considère donc aujourd’hui que sa part de responsabilité a été compensée. Sur le site que la compagnie a dédié à ses activités en Equateur, elle accuse Petroecuador de n’avoir pris aucune mesure quant à la part de pollution dont elle est responsable. « Les dégradations environnementales actuellement visibles en Equateur sont la conséquence des activités médiocres de Petroecuador, et du manque de volonté du gouvernement équatorien à trouver le financement adéquat d’une indemnité » déclare Chevron.

Pourquoi alors, le pétrolier propose-t-il aujourd’hui de négocier le versement des 16,3 milliards de dollars ? Le vendredi 15 aout, Chevron a en effet émis l’idée d’une « résolution juste et complète ». Le président équatorien Rafael Correa avait précédemment annoncé que l’Etat accepterait de jouer les médiateurs entre les plaignants et Chevron. Le FDA soutient que la compagnie est au pied du mur, et qu’elle n’a d’autre choix que de payer. L’Américain préfèrerait éviter la conclusion du procès, prévue pour 2009, pour ménager son image, déjà entachée par ce scandale.

Source: http://idealequateur.unblog.fr/

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