Climat : il nous reste une chance

Voici un article du journaliste George Monbiot, éditorialiste au Guardian. C’est passionnant et réfrigérant. Article publié dans le Guardian du 25 novembre 2008 (version originale ici).

Les dernières données scientifiques montrent que pour prévenir un emballement climatique, il faut totalement décarboniser nos sociétés.

Georges Bush se comporte comme un débiteur furieux dont la maison va être saisie. Il brise la porcelaine, arrache les portes de leurs gonds, il est déterminé à ne rien laissé d’intact jusqu’au moment où le futur propriétaire l’expulsera. Avec les derniers règlements qu’il a fait adopter, livrant les espaces sauvages des Etats-Unis aux entreprises forestières et minières, jetant à la poubelle les contrôles anti-pollution, dépeçant les lois de protection de la nature, il va faire plus de mal durant les 60 derniers jours de sa présidence que dans les 3000 qui ont précédé (1).

Ses partisans – parmi eux les pires pollutocrates des Etats-Unis – demandent ses faveurs. Mais cette dernière crise de vandalisme représente aussi ce à quoi la présidence Bush se résume. Détruire n’est pas un produit accidentel de cette idéologie. Détruire est l’essence même de cette idéologie. Le néo-conservatisme, c’est le pouvoir qui s’exprime en montrant que n’importe quelle partie du monde peut être réduite en un tas de décombres.

S’il est maintenant trop tard pour prévenir un emballement climatique, l’équipe Bush est en grande partie responsable. En détruisant volontairement le Climat Tempéré – cet interlude de températures douces qui a permis à l’humanité de s’épanouir – ils font passer les massacres massifs qu’ils ont organisés en Irak, au second rang comme crime contre l’Humanité. Bush a lancé sa guerre contre la science avec la même détermination stupide qu’il a déclaré la guerre au terrorisme.

Est-ce trop tard ? Répondre par oui à cette prédiction, c’est la réaliser. Affirmer qu’il n’y a rien à faire, c’est être sûr que rien ne sera fait. Mais même un optimiste déterminé comme moi trouve toujours plus difficile de garder espoir. Le nouveau condensé des données scientifiques publiées depuis le rapport du Panel Intergouvernemental de l’an dernier laisse entrevoir que les processus climatiques critiques pourraient avoir commencé et ce presque un siècle avant les dates prévues (2).

Il y a à peine un an, le Panel Intergouvernemental annonçait que « l’on prévoyait que la dernière mer de glace arctique de fin d’été pourrait disparaître presque complètement d’ici la fin du XXI ème siècle, d’après certains modèles » (3). Les courbes de la fonte actuelle sont en chute libre sur les diagrammes, comme celle d’une météorite tombant vers le sol.

Oubliez ces diables d’ours polaires, c’est de nous qu’il s’agit.  Alors que la glace disparaît, la région s’assombrit et absorbe donc plus de chaleur. Un récent article publié dans Geophysical Research Letters montre que le réchauffement supplémentaire dû à la disparition des glaces pénètre de 1500 km à l’intérieur des terres, recouvrant presque entièrement la région du permafrost permanent (4). Les sols gelés arctiques contiennent deux fois plus de carbone que toute l’atmosphère (5). Tant que les sols restent gelés, il reste captif. Mais la fonte a commencé. Les dégagements de méthane s’échappent avec une telle force dans certains endroits qu’ils maintiennent l’eau de lacs arctiques libres durant tout l’hiver (6).

Les effets de la fonte du permafrost ne sont incorporés dans aucun modèle climatique global. Un emballement climatique dans la seule région arctique pourrait faire basculer la planète entière dans une nouvelle ère climatique. Le Climat Tempéré pourrait s’effondrer plus vite et à plus court terme que les scénarios les plus sombres ne l’ont prévu.

Le discours de Barack Obama, lors du sommet climatique des Etats-Unis, la semaine dernière, a montré une évolution étonnante (7). Il montre que dans ce domaine, au moins, on peut espérer de profonds changements aux Etats-Unis. Mais alors qu’il présentait un plan applicable pour s’attaquer aux problèmes évoqués lors du sommet de la Terre en 1992, les mesures qu’il propose sont désespérément dépassées. Nos connaissances scientifiques ont avancé. Les phénomènes que le Sommet de la Terre de 92 était censé prévenir, sont en train de se produire. Grâce aux tactiques de destruction de Bush senior, Clinton (et Gore) et Bush junior, des programmes réguliers et raisonnables comme les propose Obama sont aujourd’hui sans effet. Comme le rapport du Panel Intergouvernemental le montre, les années de sabotage et d’immobilisme ne nous ont laissé qu’une seule chance : un programme radical de substitution totale de l’énergie.

Un article du Tyndal Center pour la Recherche sur les Changements Climatiques montre que si nous voulons nous donner une chance à peu près bonne (8,9)  d’éviter plus de 2° de réchauffement, les émissions globales dues à l’énergie doivent atteindre leur pic en 2015 et baisser ensuite de 6 à 8% de 2020 à 2040, pour atteindre une décarbonisation totale de l’économie peu après en 2050 (10). Sachant que même ce programme ne pourrait marcher que si certaines hypothèses optimistes concernant les réponses de la biosphère se révélaient justes. Pour obtenir une chance élevée d’éviter un réchauffement de 2°, il faut une réduction des émissions mondiales de 8% par an.

Est-ce possible ? Est-ce acceptable ? L’article du Tyndal Center souligne que des réductions annuelles dépassant les 1% « correspondent à des périodes de récession ou de bouleversements ». Lorsque l’Union Soviétique s’est effondré, elles diminuèrent de 5% par an. Mais on ne peut répondre à ces questions qu’en tenant compte des alternatives. Les deux courbes proposées à la fois par Barack Obama et Gordon Brown – une diminution de 80% en 2050 – signifient une diminution de 2% par an. Un tel programme, d’après ce que les données du Tyndal Center suggèrent, nous condamne à un réchauffement de 4 ou 5° (11), ce qui signifie l’effondrement de la civilisation humaine dans la plupart des régions du globe. Est-ce que cela est acceptable ?

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Les coûts d’un plan d’économie et de remplacement total de l’énergie serait astronomique, et son rythme improbable. Pourtant, les gouvernements des nations riches ont déjà mis en place un plan similaire, dans un autre but. Une enquête du réseau de Télé NBC estime que le gouvernement fédéral des Etats-Unis a déjà dépensé 4 200 milliards de dollars pour répondre à la crise financière, plus que les dépenses totales pour la Seconde Guerre Mondiale en tenant compte de l’inflation (12). Est-ce que nous voulons rester dans l’histoire comme la génération qui sauva les banques mais laissa la biosphère s’effondrer ?

Cette démarche est contestée par Sharon Astryk. Dans un nouvel essai intéressant, elle souligne que remplacer les infrastructures énergétiques mondiales, implique « une charge énorme en carburants fossiles », nécessaires pour fabriquer les turbines à vent, les voitures électriques, les nouveaux réseaux de connections, l’isolation et tout le reste (13). Cela pourrait nous faire passer le point de non retour. A la place, propose-t-elle, nous devrions demander aux gens « de faire des sacrifices à court terme, radicaux », en réduisant en 5 ans, notre consommation de 50%, avec peu de recours à la technique. Il y a deux problèmes : le premier c’est que des tentatives précédentes montrent qu’on ne peut pas compter sur une abstinence volontaire. La deuxième est qu’une bisse de 10% de la consommation d’énergie alors que l’infrastructure reste presque inchangée dans son ensemble signifie une baisse de 10% de la consommation : une dépression plus importante que tout ce que le monde moderne n’ait jamais connu. Aucun système politique – même une monarchie absolue – ne pourrait survivre à un effondrement de cette ampleur.

Elle a raison sur les risques liés à un « new deal » technologique vert mais ce sont des risques que nous devons prendre. La proposition d’Astyk prend trop ses désirs pour des réalités. Même les solution techniques qui ont ma faveur se situent dans les marges lointaines de ce qui est faisable.

Est-ce qu’on peut le faire ? je n’en ai pas la moindre idée. Si l’on regarde les dernières données, je dois reconnaître qu’on a peut-être attendu trop tard. Mais il y a une question à laquelle je peux répondre plus facilement. Est-ce qu’on peut se permettre de ne pas essayer. No we can’t. (Allusion au slogan de la campagne d’Obama : Yes we can.)

George Monbiot
Traduction française de Christian Berdot (Source: http://fabrice-nicolino.com)

Notes

  1. Suzanne Goldenberg, 20th November 2008. President for 60 more days, Bush tearing apart protection for America’s wilderness. The Guardian.
  2. Public Interest Research Centre, 25th November 2008. Climate Safety. www.pirc.info
  3. Intergovernmental Panel on Climate Change, Working Group I. Technical Summary, p73. http://www.ipcc.ch/pdf/assessment-report/ar4/wg1/ar4-wg1-ts.pdf
  4. David M. Lawrence et al., 2008. Accelerated Arctic land warming and permafrost degradation during rapid sea ice loss. Geophysical Research Letters, Vol. 35, 11506.
    doi:10.1029/2008GL033985. http://www.cgd.ucar.edu/ccr/dlawren/publications/lawrence.grl.submit.2008.pdf
  5. Edward A. G. Schuur et al, September 2008. Vulnerability of permafrost carbon to climate change: implications for the global carbon cycle. Bioscience, Vol. 58, No. 8, pp.
    701-714. doi:10.1641/B580807 http://www.bioone.org/perlserv/?request=get-document&doi=10.1641%2FB580807
  6. United Nations Environment Project, 4 June 2007. Melting Ice – a Hot Topic? Press Release. http://www.unep.org/Documents.Multilingual/Default.asp?DocumentID=512&ArticleID=5599&l=en
  7. http://www.congresscheck.com/2008/11/18/obama-promises-return-to-global-climate-change-negotiations/
  8. Kevin Anderson and Alice Bows, 2008. Reframing the climate change challenge in light of post-2000 emission trends. Philosophical Transactions of the Royal Society A. Published online. doi:10.1098/rsta.2008.0138 http://www.tyndall.ac.uk/publications/journal_papers/fulltext.pdf Anderson and Bows state that “The framing of climate change policy is typically informed by the 2 degrees C threshold; however, even stabilizing at 450 ppmv CO2e [parts per million of carbon dioxide equivalent] offers only a 46 per cent chance of not exceeding 2 degrees C.” This estimate is given in the following paper:
  9. Malte Meinshausen, 2006. What Does a 2°C Target Mean for Greenhouse Gas Concentrations? A Brief Analysis Based on Multi-Gas Emission Pathways and Several Climate Sensitivity Uncertainty Estimates. In Hans Joachim Schellnhuber (Ed in Chief). Avoiding Dangerous Climate Change. Cambridge University Press.
  10. This is for stabilisation at 450 ppmv CO2e – well above the level that James Hansen and other climate scientists are now calling for.
  11. Anderson and Bows note that stabilising atmospheric concentrations even at 650 ppmv CO2e requires that global emissions peak by 2020, followed by global cuts of 3-4% a year. This means that OECD nations will have to cut emissions by even more than this to prevent concentrations from rising above 650. Meinshausen estimates that stabilisation at 650ppmv CO2e gives a 40% chance of exceeding 4 degrees C.
  12. CNBC.com, 17th November 2008. Financial Crisis Tab Already In The Trillions. http://www.informationclearinghouse.info/article21263.htm
  13. Sharon Astyk, 11th November 2008. A New Deal or a War Footing? Thinking Through Our Response to Climate Change. http://sharonastyk.com/2008/11/11/a