La gravité des accidents de la route est sous-estimée par les pouvoirs publics

Une thèse de doctorat récente sur les accidents de la route montre que le nombre de blessés (toutes gravités) est 3,4 fois plus élevé et le nombre de blessés graves 1,8 fois plus élevé que le recensement officiel provenant des forces de l’ordre.

Emmanuelle Amoros de l’INRETS a étudié dans le cadre de sa thèse les blessés par accidents de la route : estimation de leur nombre, gravité lésionnelle en France sur la période 1996-2004. Il apparait dans ces travaux que si les données issues des forces de l’ordre sur le nombre de tués sont corrects, il n’en est pas de même pour le recensement des blessés en nombre et de l’estimation de la gravité. Ce constat est commun aux autres pays européens.

Dans la plupart des pays, les victimes d’accidents de la route sont dénombrées par les forces de l’ordre, et les bilans nationaux qui en découlent font référence. Les tués sont assez bien recensés, mais les blessés sont largement sous-enregistrés. Plusieurs études ont mis en évidence des biais de sélection en fonction de la gravité des blessures, du mode de transport et du nombre de véhicules impliqués (un seul vs. plusieurs). Les blessés sont classés en légers ou graves par les forces de l’ordre, et ce classement ne peut être qu’une approximation de la réalité lésionnelle. Cette situation générale est valable en France.

Le nombre annuel moyen de blessés (toutes gravités) est de 41.000 parmi les piétons, de 56.000 parmi les cyclistes, de 120.000 parmi les usagers de deux-roues motorisé (2RM), et de 277.000 parmi les automobilistes.

Le nombre annuel moyen de blessés avec séquelles majeures est de 7 479 ; pour comparaison, le nombre de tués à 6 jours est de 7.344. Autrement dit, il y a environ autant de blessés graves avec des séquelles majeures que de morts sur les routes tous les ans.

Par rapport aux dénombrements des forces de l’ordre, qui font référence, le nombre estimé de blessés (toutes gravités) est 3,4 fois plus élevé et le nombre estimé de blessés graves 1,8 fois plus élevé. Cela n’est pas surprenant étant donné le faible taux d’enregistrement des données des forces de l’ordre (38 %). Il se situe dans la moyenne des pays industrialisés.

Le sous-enregistrement est le fait des forces de l’ordre, ou des blessés, qui ne les alertent pas toujours. La baisse du nombre de blessés est moindre que celle observée sur les données des forces de l’ordre. Elle est cohérente avec la baisse observée du nombre de tués, particulièrement forte depuis 2002, date de l’annonce, puis de l’installation massive de radars de contrôle automatisé de la vitesse.

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La baisse du nombre de blessés est bien moindre pour les usagers de 2RM que pour les autres types d’usagers. Cela peut s’expliquer par la quasiabsence de baisse des vitesses chez les usagers de 2RM, et par l’augmentation de l’usage des 2RM (baisse pour les cyclomoteurs mais forte augmentation pour les motocyclettes). Il y a ainsi en 2004 autant de blessés graves chez les usagers de 2RM que chez les automobilistes, alors qu’en termes de tués, il y a environ un usager de 2RM tué pour 3,6 automobilistes tués. En termes d’exposition, les usagers de 2RM représentent 1 % des distances parcourues contre 74% pour les automobilistes.

Les effectifs de blessés par type d’usager donnent les enjeux en termes de santé publique ; ils sont la résultante de l’exposition et du risque propre à chaque mode de transport. Ainsi, le nombre de cyclistes blessés (toutes gravités) est du même ordre que celui des piétons blessés. Le nombre de blessés graves parmi les usagers de 2RM rejoint, à la fin de la période d’étude, le nombre de blessés graves automobilistes. Ces deux résultats sont nouveaux ; ils ne sont pas visibles à partir des données des forces de l’ordre (à cause des biais de sélection conséquents selon le mode de transport et l’absence/présence de tiers).

Pour finir, le nombre de victimes avec séquelles lourdes, en moyenne chaque année, est égal au nombre de tués, i.e. le risque d’être lourdement handicapé suite à un accident de la circulation est égal au risque d’être tué.

Source: Estimation de la morbidité routière, France, 1996-2004 (pdf)
Emmanuelle Amoros, Jean-Louis Martin, Bernard Laumon
6 mai 2008
Unité mixte de recherche épidémiologique et de surveillance transport travail environnement (Inrets – Université Lyon 1 – InVS, UMR T 9405) ; Bron, France


Source de l’affiche: Affiches choc sur la sécurité routière