Nos automobiles? des fossiles

(Introduction de la rédaction) Loin d’être un simple instrument, l’automobile a façonné notre civilisation. L’homme pourra-t-il reprendre la main ? Regards décalés.

Le cambrien – il y a 500 millions d’années – a vu émerger, chez les vivants monocellulaires mous, des parties dures, sortes de plaques de calcaire pluricellulaires. Des populations sont apparues, munies de toits dont la dureté mit à l’abri leurs parties douces: mollusques aux coques chantournées, armées d’insectes couverts de chitine, sauriens et reptiles émaillés d’écailles… Des centaines de millions d’années après émergèrent des espèces douces dont l’anatomie inversa exactement la dureté précédente. Chair, poils, plumes, duvets…, toutes les parties souples sortirent lentement de ces coques cristallines ou de ces carapaces calcaires et devinrent parfois, à l’intérieur, os, cartilages et squelettes. Ainsi notre corps sut à la longue se faire doux dehors et dur dedans. Mais avec nos mains, nous ne pouvons encore fabriquer que du dur dehors et doux dedans, à l’image de ces véhicules d’acier qui nous entourent. Tout se passe comme si nous ne parvenions à modeler que des fossiles archaïques… Regardons passer wagons et locomotives, camions et automobiles, fonctionner grues et bétonnières, s’élever usines et fabriques… tous mous à l’intérieur et d’acier à l’extérieur. Nous voyons défiler – s’entrechoquer quelquefois mortellement – des millions de fossiles, revêtus de cuirasses comme des crustacés, mollusques, arthropodes, insectes et sauriens…

Nos automobiles ressemblent à la fois à des animaux conservés ou fossiles et à des armures de guerriers préhistoriques. Quand saurons-nous produire des techniques douces à l’image de nos corps? Le doux émergera tout naturellement de nous lorsque nos techniques s’ouvriront au monde au lieu de le combattre… Une exception à cela Nous avons su, une seule fois, fabriquer de nos mains une machine si souveraine qu’on la nomma dès sa naissance « la petite reine -. Une machine qui, pour la première fois dans l’évolution comparée de la vie et des techniques, ne nous protège pas de sa cuirasse, mais mime au contraire l’intimité des os en laissant notre chair déborder vers le monde. Bras sur le guidon, mains serrant les freins ou les poignées, cul sur selle, mes jambes se posent hors cadre. Mon corps entoure, surplombe, habille, environne ma bicyclette, ainsi devenue squelette interne de mon corps roulant. Passant de l’ère primaire au quaternaire, réellement moderne, le vélo devance de millions d’années les autres véhicules, inimaginablement archaïques. On s’étonne en général que, quelques années après le vélo, des inventions – mirifiques «comme l’automobile soient apparues. Détrompons-nous! Le vélo émergea de fait des centaines de millions d’années après l’automobile. Lui mammifère, elle insecte ou crustacé…

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Michel Serres, philosophe in Hors-série de Science et Vie mai-juin 2008

Source Image:  http://carfree.fr/index.php/2008/11/09/archeologie-de-lautomobile/

Source: Cleverchimp