Et au milieu coule une autoroute

Au milieu d’une campagne calme et désertique s’étend à perte de vue une autoroute inactive, laissée à l’abandon depuis sa construction. Au bord du bitume, à quelques mètres seulement des barrières de sécurité, se trouve une maison isolée dans laquelle vit une famille. Les travaux vont reprendre et on annonce l’ouverture prochaine de l’autoroute à la circulation… L’arrivée des mastodontes de la voirie et l’annonce frénétique à la radio du premier automobiliste à parcourir ce nouveau tronçon d’autoroute depuis longtemps attendu viendra bousiller leurs certitudes — et charger la bande sonore de bruits mécaniques oppressants…

Home
Film franco-helvético-belge / Drame / 1h37min
Réalisation : Ursula Meier
Avec : Isabelle Huppert, Olivier Gourmet, Adélaïde Leroux

La réalisatrice évoque la genèse du projet : « Home est né en voiture, en regardant les bords d’autoroute: des maisons à quelques mètres seulement des voies, avec des gens dans les jardins, des tables en plastique à quelques mètres des pots d’échappement, et d’autres maisons abandonnées aux fenêtres murées… Des maisons comme des histoires qui défilent à travers les vitres de la voiture. Rythmé par le mouvement incessant du flux et reflux des voitures et camions sur une autoroute,  » Home  » n’est pas un road movie mais bien son image inversée, négative en quelque sorte. On  » bouge  » beaucoup dans  » Home  » mais on ne voyage guère. C’est une sorte d’expédition sans déplacement, un voyage intérieur, mental. C’est seulement à la fin du film que le road movie pourra commencer (…) L’autoroute n’est pas un décor mais bien au contraire un personnage à part entière, comme un élément intrinsèquement et intimement lié au récit familial lui-même. »

La cinéaste précise ses intentions : « Home raconte l’histoire d’une famille qui s’est éloignée du monde en essayant de maintenir son modèle de bonheur familial. Il règne au sein de cette famille une ambiance joviale même si celle-ci a adopté une vie bien réglée loin du monde. Ce sentiment d’isolement va devenir de plus en plus perceptible et évident avec la mise en fonction de l’autoroute, qui ne fait que catalyser et mettre à jour une situation qui existait déjà. L’ouverture de l’autoroute, métaphore du monde qui débarque devant chez eux (un monde bruyant, dangereux, polluant, sale, inquiétant, vampirisant, menaçant…) agit ainsi comme une loupe sur la famille et révèle ses dysfonctionnements et malaises profonds. La vie devient peu à peu intenable et pourtant chacun de ses membres essaie, tant bien que mal, de gérer la situation avec ses propres moyens. Il y a entre eux comme un pacte tacite dans l’obstination à vouloir rester vivre dans cette maison, une volonté presque inconsciente de préserver un foyer  » idéal « , de s’accrocher à un modèle d’harmonie familiale… »

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Si la proximité de l’autoroute constitue un facteur de risque pour la famille, celle-ci encourt un autre danger… « A travers le comportement de plus en plus étrange des personnages, on se dit peu à peu que le danger ne va peut-être pas venir de l’autoroute mais bien de la famille elle-même… « , souligne Ursula Meier. Car dans Home ce qui est le plus violent et extrême, c’est bien la volonté de rester vivre là et de tenir. On observe jusqu’où l’être humain est capable de supporter une telle situation, de s’arranger avec le réel, de s’adapter, voire même de se  » sur-adapter  » au nom d’un bonheur familial. La progression du film ne se situe pas dans une longue prise de conscience collective, mais dans un enfermement inéluctable. »

Le bruit de l’autoroute est forcément très présent dans le film. Ursula Meier parle de l’importance de cet aspect : « Il y a dans cette situation d’une maison au bord de l’autoroute quelque chose de puissamment sonore et visuel qui participe à la matière même du film et à sa narration. Au cours du film, le bruit de l’autoroute devient peu à peu la matière même du film et cela de façon presque organique. Ce bruit ininterrompu commence à ronger tout doucement les personnages de l’intérieur, à les détruire lentement. Cette présence sonore de l’autoroute était tellement importante pour moi que j’ai fini par écrire le scénario en écoutant une ambiance d’autoroute en continu.

Home affiche avec force sa singularité, petite chronique familiale dans un espace déjanté et quasi irréel, débâcle psychologique d’un clan tissé serré que le flot de voitures finit par disloquer. Les écolos de toutes les nuances de vert ne trouveront peut-être pas dans le film d’Ursula Meier le brûlot anti-bagnoles qu’ils espèrent, car les stratégies de survie illustrées ici dévoilent un malaise nettement plus tendancieux. De manière ironique, le «progrès» symbolisé par ce déluge de carrosseries devient le catalyseur d’une folie souterraine qui n’attendait que les vapeurs d’essence pour démarrer…