On préfère les trains qui s’arrêtent

Le TGV, son monde, et le freinage d’urgence

Les sabotages récents des lignes TGV ont provoqué une indignation féroce et consensuelle. « Des actes inqualifiables », selon la CGT. Comment ? ! On s’en prend au fleuron de l’industrie française ! Ce moteur de la croissance ! Ce privilège incontesté dont bénéficient les Français ! On a même parlé d’« exactions », terme que l’on aurait cru réservé à des actes de violence sur des personnes, ce qui justement était soigneusement exclu par les procédés employés.

On peut être soulagé que l’opinion se mette, avec plus de retard que n’en ont subi les trains concernés, à contester l’incarcération des premiers suspects venus, quand elle découvre, incrédule, qu’une procédure si arbitraire peut être mise en oeuvre en toute légalité.

Aussi bien, puisque le crime de lèse-TGV a eu lieu, pourquoi ne pas profiter de ces ralentissements intempestifs du train de la vie moderne pour s’interroger sur le rôle de ces sacrés engins ?

L’implantation des lignes TGV suscite depuis ses débuts des oppositions résolues, qui ne contestent pas seulement tel ou tel tracé, mais le principe même d’un train-autoroute appelé à remplacer les dessertes locales moins rentables et plus coûteuses d’entretien. Le démantèlement progressif du réseau ferré, aujourd’hui deux fois moins dense qu’en 1945, accélère la désertification des campagnes où il devient de plus en plus nécessaire d’aller travailler au loin et, par exemple, en TGV. C’est ce que disent certaines associations du pays basque, de la Bretagne, et les habitants du Val de Susa, opposés au projet de TGV Lyon-Turin qui promet de déverser sur la région un million de mètres cubes d’amiante et d’uranium issus du forage de la montagne. Ils ont cette idée étrange que d’ordinaire, on préfère travailler près de chez soi et même que, s’il s’agit de voyager, on pourrait vouloir aller moins vite et ouvrir les fenêtres.

L’opportunité de traverser la France en quatre heures ne constitue donc pas nécessairement un progrès, et encore moins si l’on prend en compte les conditions de possibilité d’une telle prouesse. Le TGV fonctionne grâce aux centrales nucléaires, dont il est le complément naturel, puisque ses grands besoins en électricité (il faut 64 fois plus d’énergie pour rouler à 400 km/h qu’il n’en faut pour rouler à 100 km/h) s’ajustent commodément à la surcapacité électrique produite par les réacteurs . A l’ombre de ces centrales, imposées dans plusieurs départements par le biais de l’Armée, croissent paisiblement des leucémies, fertilisées par une abondance de déchets aux demi-vies infiniment plus longues que celle de leurs voisins humains.

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Tout ça pour propulser plus rapidement des marchandises et des turbo-cadres, de plus en plus pressés d’aller et de venir ? Un représentant de l’UMP déclarait à la télévision : « On s’en est pris au TGV, parce que c’est ce qui fonctionne le mieux dans l’économie française ». On ne saurait mieux dire. A l’heure où les calamités environnementales et sociales s’accumulent, le culte de la compétition industrielle et de la prouesse technologique qu’incarne le TGV continue obstinément de se déployer, battant tous les records de vitesse.

Et il n’a visiblement pas de freinage d’urgence, ce système économique qui, prisonnier de sa propagande climatisée, déferle sur toutes choses, détruit les coins de monde qui croyaient lui échapper, dégomme les alternatives et façonne de misérables banlieues partout où il passe, tout en se faisant croire qu’il va quelque part parce qu’il y va vite. Ce système qui nous ménage des libertés sympathiques, comme celle de choisir entre une ambiance iD’Zen ou iD’Zap en réservant son billet de train par Internet, une zone de silence ou une zone de défoulement récréatif avec consoles, portables et DVD, et des brigades qui lâchent leurs chiens sur ceux qui ne conviennent ni à l’une, ni à l’autre.

Alors oui, on préfère les trains qui s’arrêtent.

Valentino Sano

Décembre 2008.

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