À bicyclette

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Qui a déjà pratiqué le vélo en ville s’est rendu compte à quel point la rue appartient en priorité à l’automobile. Le cycliste doit, en permanence, faire attention : à la porte que le conducteur qui vient de se garer le long du trottoir ouvre précipitamment, aux coursiers à vélomoteur ou scooter qui foncent vaille que vaille en zigzaguant, aux bus et camions qui le doublent, le privant de vue et le bloquant près du caniveau, aux piétons qui traversent à leur guise sans prévenir, aux nombreuses voitures qui roulent à grande vitesse sans toujours indiquer lorsqu’elles tournent ou déboîtent d’une file, aux cyclistes indélicats qui stoppent brutalement pour attraper leur portable et répondre à la sonnerie sans se soucier des autres usagers de la chaussée. Bref, ce n’est pas de tout repos…

Lorsqu’une piste cyclable existe, généralement elle s’arrête net à un carrefour ou bien n’est pas raccordée correctement à la voirie. De même pour la bande cyclable : combien de fois est-elle encombrée de véhicules à l’arrêt ? Le contre-sens, ou autorisation d’emprunter une rue en sens interdit pour un vélo, s’avère peu explicite pour l’automobiliste ; quant au droit de passer au rouge lorsqu’on tourne à droite, que certaines municipalités octroient, là encore, l’information s’avère souvent insuffisante. Les histoires que se racontent les cyclistes couvrent le large éventail de ce qui ne va pas, plus rarement elles évoquent les intentions heureuses qu’un service technique prodigue à leur égard.

De façon bien pragmatique, tout cycliste ruse. Il connaît les parcours les moins fréquentés selon les heures du jour et de la nuit, les cheminements qui lui sont réservés, les stations de RER où le portillon et les escaliers sont plus cléments, les endroits où attacher sa monture sans craindre une dégradation ou un vol. Les vrais cyclistes – à bien distinguer des occasionnels, genre Vélib’, et surtout des familles-à-bicyclette-qui-font-un-tour-ensemble-le-week-end – désapprouvent celles et ceux qui grillent les feux rouges, montent sur les trottoirs, gênant les passants, prennent leurs aises dans les couloirs réservés aux bus, accrochent leur vélo au garde-fou d’une station de métro sans se rendre compte que le guidon dépasse et menace les passagers, etc. Le vrai cycliste se désole des actes d’incivilité commis par les occasionnels, il sait que, même si ses droits sont fréquemment bafoués, il se doit de respecter quelques règles afin de faciliter la cohabitation entre les divers modes de circulation sur la voie publique. Parfois, il se surprend à rêver à une ville sans voitures, avec des cyclistes courtois et des piétons aimables : il n’y aurait plus de trottoirs, plus d’obstacles inutiles et dangereux (comme le rond-point à sens giratoire !), le macadam serait bien plan et entretenu (les nids-de-poule qui déstabilisent ou les détritus qui crèvent la chambre à air), on laisserait son vélo à côté d’une boutique ou de la poste sans l’attacher… Ce n’est pas pour demain !  En attendant, encore est-il bien heureux si le local à vélos de son immeuble ne sert pas à d’étranges trafics, le contraignant à monter l’engin dans son appartement.

Pourtant la bicyclette est l’amie des humains, quels que soient leur sexe et leur âge. Elle ne génère aucune dépense d’énergie autre que musculaire. Participe de la bonne santé de son utilisateur (et lutte contre l’obésité), qui se déplace en faisant de l’exercice, à son rythme et selon sa respiration (malgré la pollution atmosphérique et les risques d’asthme). Elle permet les détours de dernière minute et les rencontres imprévues. Elle porte vos courses, votre cartable, votre baguette, votre enfant bien calé dans son siège, que sais-je encore ? Elle est fiable, nécessite peu d’entretien et tombe rarement en panne. C’est aussi l’amie de la ville, elle ne pollue pas, est silencieuse, ne prend pas de place, ne détériore pas la chaussée, ne casse pas les potelets et autres infernaux machins anti-machines ! Alors pourquoi une telle marginalisation ? En effet, seulement 3 % des déplacements en France s’effectuent à bicyclette (contre plus de 25 % aux Pays-Bas et 10 % en Allemagne). Bien sûr, ces chiffres sont à interpréter prudemment, car la pratique ordinaire du vélo dépend des agglomérations et de leur PDU (plan de déplacements urbains), elle évolue avec les aménagements cyclables mis en œuvre et l’installation d’un réseau de vélos en libre-service (malgré les vols et le vandalisme, particulièrement parisiens !), et elle est aussi fonction de tout un esprit du temps (image sociale de la bicyclette, préoccupation environnementale, autonomie accrue du transporté devenu son transporteur…). Cependant, les résultats restent modestes et inégaux d’une ville à une autre et il serait bien présomptueux de crier à la victoire du deux-roues à pédales. Le jeu de mot, “vélorution” (nom d’une association qui promeut le vélo en ville) est tout à fait pertinent, il s’agit bel et bien d’une révolution dans nos manières de penser la ville et nos déplacements. Plus généralement dans notre rapport au temps, à l’espace et au corps. Malgré le vent, la pluie, le froid (désagréments météorologiques, finalement de faible durée saisonnière en région parisienne), le déplacement à vélo offre d’incomparables satisfactions : action musculaire (tout en étant assis !), détente, observation de la ville, réflexion en plein air, indépendance, pas d’attente à l’arrêt du bus, aucune compression corporelle comme dans un wagon de métro à l’heure de pointe, etc. Son principal défaut à mes yeux ? L’impossibilité de lire en pédalant ! Quel plaisir de se vider l’esprit après une réunion houleuse ou ennuyeuse, ou au contraire de récapituler ses idées avant un cours, trouver un titre pour un article, établir son agenda pour la semaine suivante. Le vélo relève de l’écologie temporelle /1, il donne au cycliste la mesure et du temps et de l’espace, évite les précipitations, réaffirme qu’on ne peut pas tout faire d’un coup, rappelle la fragilité de l’être humain, conseille de jouir de l’instant et lui murmure à l’oreille le vieux principe, encore opportun, “qui veut voyager loin ménage sa monture.” En selle !

Lire aussi :  Les Talibans aiment la voiture

Thierry Paquot

Source: Revue Urbanisme Mai/Juin 2009 Dossier spécial « À bicyclette », n°366

11 commentaires sur “À bicyclette

  1. feenix

    tout à fait d’accord avec l’article…
    juste une chose : j’ai remarqué que le vélo était facilement pris pour cible… c’est pas le mec en 4X4 qu’on va insulter parce qu’il ne vous aura pas laisser passer sur le passage piétons (au contraire, on s’incline devant la toute-puissance de la bête) mais le vélo qui aura eu le malheur de circuler sur un espace interdit, sans gêner personne, je le précise.. car effectivement les incivilités de certains cyclistes sont des arguments faciles pour ceux qui rêvent d’un monde uniquement dédié à la bagnole… Que dire de la campagne d’information à paris qu’il y a eu (il ya 2 ans environ ?) qui visait entre autres les cyclistes ? qu’on m’en veuille pas, mais ceux qui tuent, qui sont susceptibles de tuer ce sont bien les bagnoles, avant tout, et par dessus tout !

  2. boddah

    par contre, l’attitude des cyclistes face aux règles de la circulation leur dessert : les automobilistes nous aiment encore moins et nous représentons un danger pour nous-même et pour les autres. Tant que nous ne respecterons pas les règles, rien ne changera. Regardons comment cela fonctionne aux Pays-Bas !!!
    Mieux vaut être les premiers à montrer l’exemple, c’est nous qui pouvons faire changer des règles inadaptés à nos modes de circulation…

  3. URB

    D’accord avec toi Boddah, mais malheureusement ca n’arrivera surement jamais, il n’y a qu’à lire ce site.
    On est toujours la victime de quelqu’un, donc on ne respecte que nos règles bien personnelles, car on se croit dans notre bon droit.

  4. Alain

    Pourquoi les cyclistes ne respectent pas certaines règles? Parce que certaines règles ne sont pas nécessaires pour les cyclistes et obligatoires pour les voitures.
    Exemple:
    Tourner à droite en vélo à un feu rouge (légal dans certains pays):
    – Une voiture pour voir doit s’avancer d’un mètre (cf le capot avant)===> gros risque d’accident.
    – Un vélo peut s’avancer à vitesse très réduite. Marquer l’arrêt, regarder et si rien ne remet en cause la sécurité de lui-même et des autres, il peut s’engager à droite.

    Ca ne veut pas dire que tout est à faire, mais attention à ne pas confondre « code de la route » qui découle d’un usage excessif de la bagnole et « code de la rue » qui est l’avenir des villes.

  5. Vélove

    Pour info Alain, le Tourne à droite en vélo à un feu rouge est même légal dans certaines villes françaises, comme Strasbourg par exemple (arrêté municipal). Sinon, complètement d’accord avec toi, et j’irais même plus loin: les automobilistes qui se plaignent des vélos qui ne respectent pas le code de la route ne se rendent pas compte que si les cyclistes respectaient tous intégralement le code de la route, la circulation pour les voitures serait un enfer (un seul exemple: le code de la route dit que le cycliste doit s’arrêter au stop et poser un pied à terre, regarder à gauche puis à droite, et redémarrer ensuite… bon courage et beaucoup de patience pour les voitures!) Et la patience n’est pas la vertu principale de l’automobiliste: un autre exemple caractéristique, j’habite une petite rue à sens unique avec deux files de stationnement bagnole de chaque côté. Quand je pars de chez moi à vélo, les voitures qui arrivent derrière moi ne peuvent pas me doubler, elles sont « obligées » d’attendre la fin de la rue et de patienter derrière moi à la vitesse d’un vélo… Une fois sur deux l’automobiliste klaxonne ou essaye de forcer le passage, et pourtant il y a deux stops avant la fin de la rue et je ne m’arrête pas en posant un pied à terre, sinon j’imagine l’exaspération des conducteurs…

  6. URB

    Mais rassure toi je parle de tout les usagers.

    Personne n’est foutu de respecter les autres et chacun fait comme il veux, que ce soit les piétons, les cyclistes, les 2 roues motorisé et les 4 roues motorisé.

    La différence c’est que certains ce mettent en danger, d’autre mettent eux et les autres en danger et d’autre mettent les autres en danger.
    Question de catégorie.

    Beaucoup se cache derrière un droit par rapport aux autres (les plus faibles en général) mais ce n’est pas ça qui va les protéger contre un choc quand ils décident de faire ce qu’ils veulent.

    Mais bon, chacun fais se qu’il veut et ce qu’il lui plait, mais par contre pour se plaindre c’est toujours présent.

    Et encore il n’y a pas trop à se plaindre, par que contrairement aux piétons qui aimeraient marcher au milieu des routes, vous n’avez pas les engins motorisé (2 ou 4 roues) qui veulent rouler sur les trottoirs.

  7. Vincent

    Je suis d’accord avec cet article, il est vrai que les cyclistes sont méprisé sur la route. Toutefois je tiens à signaler que beaucoup de cycliste entachent les défenseurs du vélo. Je réside à Troyes, et je puis vous assurer que chaque jours je ne vois que des cyclistes roulant sur les trottoirs, grillant les feux rouges (ce matin même l’un d’eux a failli renverser une personne sur un passage piéton), prendre des sens interdits, griller des stops (et là c’est hier qu’il y en a un qui a failli finir sur mon capot confondant un panneau « stop » avec un feu tricolore au vert…). Je suis automobiliste mais aussi défenseur des cyclistes (que je suis à mes heures aussi), que je respecte quand je suis en voiture afin de faire passer le message du respect aux autres. Mais il est primordial que les cyclistes donnent aussi le bon exemple en respectant le code de la route, qu’il bafouent la plupart du temps. Tant que cela ne sera pas fait, les vélos seront toujours et autant discrédité, et c’est vraiment dommage !

  8. Sil

    Combien de fois faudra-t-il répéter à la défense des cyclistes que la signalisation routière est faite par et pour des automobilistes qui n’ont aucune idée des besoins d’un cycliste par rapport à la sécurité et à l’efficacité dans ses déplacements. Le vélo c’est déjà pas facile, alors si en plus il faut faire 1000 manoeuvres en plus…
    Deux cas pratiques:
    1. Dans un système favorisant la fluidité du trafic automobile (type onde verte où les feux passent au vert l’un après l’autre), les feux ne se déclenchent PAS = restent au rouge- au passage d’un cycliste (système de détection électromagnétique pas assez sensible). Question: en tant que cycliste, vous faites quoi ?
    2. Des scooters utilisent une bande cyclable (créée à l’attention des cyclistes) pour remonter allégrément une file de voiture. Question: en tant que cycliste ou autre, vous en pensez quoi ?

  9. Vincent

    Certe, Sil, vous n’avez pas tort. Il est vrai que certains cyclistes passe au rouge car l’absurdité qu’il soit rouge à ce moment là est indéniable. Toutefois, en ce qui me concerne, les cyclistes qui ne respectent pas la signalisation sont majoritaire (du moins dans ma ville) et DANGEREUX, pour eux-même et surtout pour les autres. Ensuite, même si le code de la route peut paraître absurde pour les vélos, il n’en reste pas moins que sur la route, il y a des régles à respecter, ne serait-ce que pour DONNER L’EXEMPLE ET AINSI NE PAS DISCREDITER LES CYCLISTES !

    PS : même si un feu rouge est équipé de capteurs, il finira toujours par passer au vert. Les capteurs ne sont là que pour régler le temps des cycles de feux. Donc il ne restera jamais constamment au rouge, c’est impossible.

  10. feenix

    le vélo est un objet de liberté en ville, beaucoup plus que la bagnole… et oui les règles pour les vélos doivent être différentes de celles pour les voitures… on prend moins de place, on roule pas vite, et oui on doit pouvoir bruler un feu rouge ou même prendre un trottoir.. à partir du moment où la route est impraticable pour le vélo. je suis d’accord avec Sil… la ville doit être pensée pour le piéton et le vélo, ainsi bien sur que pour les transports en commun… les voitures obstruent, encombrent, empêchent, etc…

  11. Jean-Marc

    Globalement, je suis d’accord, mais un point m’étonne :

    « prennent leurs aises dans les couloirs réservés aux bus »

    Bizarre…
    Je ne vois pas en quoi celà gène, vu que les cyclistes peuvent laisser passer le TEC quand il arrive, et que celà semble d’ailleurs -au moins partiellement- légal.

    Ainsi, à nancy, tous les couloirs de bus sont réservés aux bus ET aux vélos, comme l’indique plusieurs panneaux
    (et la principale et une des plus ancienne rue piétonne, la rue St Jean, est réservée aux bus, taxi et vélos… et piétons bien sur).

    Et apparement, c.f. ce lien,
    http://www.niouzes.org/misc-transport-velo/346257-re-cycliste-de-nancy-voulant-rouler-dans-la-voie-du-tram.html
    si les recommandations nationales au niveau des voies du tram sont un non-usage par les vélos, il n’en ai pas de même pour les voies de trolley, où ils sont bienvenus selon ces même recommandations.
    (recommandation issue du « pb » des rails du tram : même si il sufffit de longer les rails à plus de 20cm pour rouler, ou, pour les traverser, de prendre en perpendiculaire/diagonal à angle important))

    c.f. http://www.arehn.asso.fr/dossiers/mobilite/mobilite.html :
    « Site propre : voie réservée aux transports en commun, éventuellement partagée avec le vélo, mais excluant la voiture particulière  »
    « éventuellement » -> donc ne clarifie pas le coté legislatif :'(

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