Descente énergétique

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Si l’est une chose acquise par nos millénaires de progrès, c’est bien la compréhension de notre propre perte. Parmi les menaces les plus sérieuses pesant sur nos civilisations, on peut donner :

  • les pics énergétiques : Les énergies fossiles sur lesquelles s’appuie toute notre modernité  ne sont pas inépuisables, et nous allons bientôt connaître le pic de production du pétrole (qui représente près de 44% de l’énergie finale utilisée par la France), puis celui du gaz et du charbon.
  • la raréfaction de l’eau : Les ressources d’eau sont utilisées de façon non renouvelable, et souvent dans les pays pauvres du Sud, le développement de la population du fait des surplus de l’agriculture dépend de nappes phréatiques qui ne se remplissent plus ou en dessous du seuil d’extraction.
  • la déforestation : Les forêts sont anéanties pour faire du bois de chauffage ou de construction, et pour l’agriculture (soja, palmiers à huile). Du coup certains services offerts par la forêt ne sont plus assurés, comme la stabilisation du climat, l’augmentation de la pluviométrie, la stabilisation des sols.
  • le dérèglement climatique : Le réchauffement planétaire va augmenter les phénomènes climatiques violents, comme les tempêtes, la sécheresse et les inondations. Des parasites vont migrer vers des régions où ils étaient inconnus. La productivité agricole va baisser. Des zones densément peuplées vont être envahies par la montée des eaux. D’autres phénomènes plus graves et peu prévisibles risquent de se produire, comme un arrêt du Gulf Stream protégeant l’Europe d’un climat proche de celui du Canada.
  • l’érosion des sols : Depuis que l’Homme cultive, des millions d’hectares de sols se sont envolés ou déversés dans les eaux, des régions fertiles ont été rendues stériles à cause de pratiques telles que la déforestation, le labour, le sur-pâturage, et plus récemment la mécanisation et l’utilisation de pesticides.
  • La surpopulation : Dans les pays du Sud, la surpopulation exacerbe les phénomènes décrits plus haut : plus de personnes signifiant plus d’agriculture, de besoins de chauffage et d’eau. En occident, cela se traduit par une utilisation énergétique et un impact climatique plus soutenus. On peut objecter que l’énorme gâchis des pays riches leur laisse une certaine latitude en matière de population (une population plus nombreuse se traduisant par une consommation par tête réduite); mais dans un futur où l’intensité énergétique et la complexité seront réduits, où le miracle des énergies fossiles sera de moins en moins visible, il faut s’attendre à ce que la pression démographique prenne plus d’importance (bois de chauffage, biens manufacturés en bois, verres et métaux plutôt qu’en plastique, chevaux de traits, etc.). Cette question est assez épineuse, et mériterait plus ample réflexion et développement.

Les menaces évoquées précédemment sont étudiées dans de nombreux documents, qui arrivent particulièrement bien à les décrire, comme le célèbre film d’Al Gore, “Une vérité insoutenable”, sur le réchauffement climatique, ou encore “Le Plan B”, livre de Lester Brown, que je suis en train de lire. Cependant, quelque soit la pertinence du constat, les solutions évoquées laissent généralement un goût amer. Pour nous sauver, il suffirait de passer aux énergies renouvelables, aux voitures électriques, à l’agriculture biologique. Les seules ressources dans lesquelles cette vision n’est pas évoquée sont celles au sujet du pic pétrolier, où c’est généralement une vision apocalyptique qui domine. Ces deux visions peuvent être replacées dans le contexte des visions énergétiques qu’a élaborées David Holmgren, co-fondateur de la permaculture. L’idée étant que c’est l’énergie qui conditionne nos sociétés, on peut deviner notre futur suivant la quantité d’énergie que l’on pense disponible à l’avenir.

Deux approches de notre futur énergétique dominent les esprits et les médias dans nos sociétés. La première, que l’on pourrait appeler “explosion technologique” (techno explosion), est la vision dans laquelle une nouvelle source d’énergie libre et illimitée va nous permettre de nous affranchir des limites finies de la planète (au sens figuré comme au sens propre, avec la colonisation d’autres planètes). C’est également la vision économiciste actuelle, dans laquelle la production d’énergie s’adapte à la demande, et une croissance infinie est possible. L’autre vision, qui a émergé après les chocs pétroliers des années 70-80, que l’on pourrait appeler “stabilité technologique” (techno stability), prône un changement d’une économie de croissance fondée sur les énergies fossiles à une croissance ou une stabilité fondée sur les énergies renouvelables, tout en conservant l’idéologie du progrès. Le développement durable se base sur cette seconde vision, où se mêlent innovation et compétitivité. Parallèlement à ces deux approches, une autre vision du futur est l’effondrement pur et simple de nos sociétés (collapse), d’autant plus rapide que la complexité n’a cessé d’augmenter avec notre consommation énergétique.

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Il existe cependant une autre vision, celle de la descente énergétique (energy descent), qui est rarement évoquée. La descente énergétique correspond à un déclin continu et plus ou moins prononcé de l’apport énergétique, suivant le pic pétrolier et les autres pics énergétiques.  Un exemple historique est le déclin progressif de l’empire romain. Une métaphore pour cette vision est celle de la montagne, que nous avons grimpée pour arriver au sommet, depuis lequel nous pouvons apercevoir à travers la brume les chemins à emprunter pour retourner dans la vallée construire une nouvelle maison.  La descente énergétique est la vision sur laquelle s’appuie l’initiative des “Villes en transition”, et Rob Hopkins, son fondateur, la définit comme « le déclin continu de l’énergie nette sur laquelle se base l’humanité, qui est le reflet de la montée énergétique qui a pris place depuis la révolution industrielle. La descente énergétique se réfère également au scénario d’un futur dans lequel l’humanité s’est adaptée avec succès au déclin des énergies fossiles disponibles et est devenue plus locale et autosuffisante. C’est un terme privilégié par ceux qui voient le pic énergétique comme une opportunité vers un changement positif, plutôt que comme un désastre inévitable».

Sous l’angle  de la descente énergétique, les solutions généralement proposées ne sont pas pertinentes. L’énergie fournie par les sources fossiles (représentant 70% de l’énergie finale utilisée en France) est trop importante pour être apportée par les énergies renouvelables. Quand on regarde les faits, par exemple le nombre d’éoliennes ou la surface de panneaux solaires à construire, les hectares de champs à cultiver pour faire des agrocarburants, les infrastructures à construire pour une “économie de l’hydrogène”, on s’aperçoit que ce n’est tout simplement pas possible de conserver notre mode de vie actuel. Remplacer le parc automobile mondial par des voitures électriques n’est pas faisable.

Dans un article précédent, je faisais la différence entre résilience et soutenabilité, en ce sens que la résilience s’attache à l’entrée des systèmes (ressources, énergie) et la soutenabilité à leur sortie (pollution). La vision “stabilité économique” ne prévoit pas de changement majeur dans la quantité d’approvisionnement énergétique (intrants du système). Le niveau de vie/complexité peut donc être conservé tel quel, il suffit de régler les problèmes de pollution (voitures électriques, biocarburants, agriculture biologique, piège à carbone). Il n’est pas étonnant de voir promu des couverts jetables en bois pour le pique-nique, par exemple. A l’inverse, le scénario de descente énergétique prévoit une forte baisse de l’énergie, et donc des possibilités offertes. La complexité de nos sociétés n’a cessé de croitre, se basant sur le formidable potentiel des énergies fossiles. Nos flux d’approvisionnement sont lointains, nos biens de consommation nécessitent beaucoup de ressources et de transformations. C’est donc le système dans son ensemble qui est remis en question.

Il ne s’agira plus de faire plus et mieux (croissance et progrès), mais moins et autrement (changement radical).

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