Accroc de vélo, êtes-vous dans le déni ?

nickdewar

Mon épiphanie – je suis une cycliste urbaine! – fut par un beau matin de printemps quand je me suis surprise à mentalement fragmenter la liste d’épicerie en autant de mini-listes qu’il y avait d’articles à se procurer, dans le but précis d’aller chercher ces articles, tout au long de la semaine, dans des épiceries, ou boutiques spécialisées, ailleurs, dans d’autres quartiers, loin, et non pas dans les épiceries près de chez nous. Là, j’ai compris que j’étais ‘faite’, que j’étais devenue une accroc du vélo urbain.

Dans mon cas, de nombreux autres signes et comportements auraient dû me faire prendre conscience de mon état. Comme le démontrent les faits qui suivent, j’étais dans le déni.

Par exemple, quand j’ai senti que la meilleure partie de ma journée n’était ni le temps au travail ni le temps à la maison, mais bien mes temps de trajets entre les deux, j’aurais dû comprendre ce qui m’arrivait. Non ?

Quand j’ai fait une demande à Accès-Montréal pour avoir un lot dans un site de jardins communautaires, j’ai volontairement choisi un site loin de chez moi. La préposée, incrédule, me questionne. Elle insiste et me propose un site près de mon adresse de résidence, mais j’ai dû lui expliqué que je SOUHAITAIS avoir pas mal de vélo à faire pour m’y rendre plusieurs fois par semaine. Pathétique non ? Le bénéfice est double. Les balades fréquentes. Youppie. Et parce que j’ai choisi ce site moins populaire, je m’assurais d’obtenir un jardin à coup sûr au printemps suivant. Pendant que dans les sites plus populaires, au coeur de son quartier, il faut attendre des années. (Ce que je n’avoue pas ici c’est que tout ce jardinage me permettra de justifier l’achat d’une remorque, ou d’un vélo cargo. Voyez comme mon esprit de cycliste urbaine est devenu retord ?)

Ce que j’avoue plus volontiers : j’ai un signet/favori/bookmark pour le site de Météomédia à la maison et à tous mes boulots.

Je n’ai pas utilisé ma voiture pendant si longtemps cet été que j’ai perdu les clés et j’ai dû payer pour me faire refaire un nouveau jeu de clés chez le concessionnaire. Je peux attester que le ridicule ne tue pas.

Au début, je me percevais comme une automobiliste qui s’était remise au vélo. À quelques reprises, alors que j’étais à vélo, j’ai essayé de mettre les clignotants avec la manette des freins (avec résultats désastreux). Quand je voyais une voiture de police, j’avais encore le réflexe de me demander si j’avais bien mis ma ceinture de sécurité!

Puis, un jour, imperceptiblement, le vent tourne. On est désormais une cycliste qui se déplace à l’occasion en auto. Et quand ça arrive, on se prend à faire en auto son trajet de vélo, plutôt que de prendre les grandes artères. On descend une côte, et on souhaiterait être à vélo, pour prendre de la vitesse. On commence à détecter les faux plats même en voiture. On doit se retenir de démarrer quand on voit la lumière piéton tourner au vert alors qu’on est en auto.

J’ai vite trouvé que mes trajets quotidiens vers le boulot n’étaient pas assez long, et plutôt que de prendre le plus court chemin pour rentrer chez moi, je faisais de grands détours par d’autres quartiers, comme un enfant qui ne veut pas rentrer à la maison.

Je me suis surprise à … mentir. ‘’Non, désolée, j’ai déjà pris un engagement’’. Mais en fait, vu la météo superbe, on se défile et on part se balader, explorer un quartier inconnu, une piste peu fréquentée.

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On rentre à la maison, il n’y a rien pour préparer le souper mais on a des stocks bien garnis de ‘trail mix’ maison, de barres granola, et autres bouffes à manger à vélo.

Chaque heure de la journée où il fait beau et qu’on est coincé au boulot, on est frustré parce qu’on se dit qu’on pourrait être en train de faire du vélo.

Quand la première chose qu’on se demande à propos d’un nouveau boulot c’est comment s’y rendre, par rapport aux pistes cyclables, la distance à vélo, et s’il y aura du stationnement sécuritaire pour le vélo, si on pourra le rentrer à l’intérieur, tout ça avant de se demander quelques questions que ce soit à propos … de la job elle-même. Là, ça commence à être de l’ordre de la pathologie.

Quand on commence à envisager des boulots moins intéressants, moins payants, parce qu’on trouve que ça ferait des supers trajets matin et soir.

Quand on se met à prendre en grippe un boulot trop près de la maison.

Quand on détourne l’usage du ‘stationnement incitatif’ en le considérant comme un endroit qui permet de faire à vélo des trajets qui seraient autrement trop long. On s’y rend en voiture, le vélo sur le support à vélo, et on part de là pour sa destination.

Quand on choisit – où qu’on change – de magasin, boutique, resto, parce qu’il n’y a pas de bons endroits où verrouiller le vélo. Même chose pour les cinémas. Quand la sécurité du vélo nous dicte le film qu’on ira voir ce soir.

Quand mes collègues de travail sont très inquiets, voir alarmés, lorsqu’ils se rendent compte que je suis venue au travail en auto, même par un jour de pluie et de vents violents.

Quand la première préoccupation après une blessure n’est pas les problèmes de mobilité, ou problèmes d’absentéisme au travail et les pertes de revenus que ça entraîne, mais la frustration de ne pas pouvoir se déplacer en vélo pour un moment.

Quand DEUX jours de suite sans aller au travail à vélo me mène au bord de la crise de nerfs.

Bref, tout ça, ça ne ment pas. Comme on dit : mon cas est réglé. J’assume maintenant pleinement ma condition. Par exemple, ce soir j’ai un choix déchirant à faire. Je suis convoquée en entrevue pour une job. Quelle est ma première réaction ? Oh, il fait si doux en ce 31 octobre, ce serait un parcours superbe à faire en vélo! Dilemme : il pleut, y aller à vélo, je vais arriver plutôt défraîchie. L’apparence étant au nombre des critères d’emploi partout, quelle que soit la job, je risque de ne pas avoir le boulot à cause de ça. Y aller en voiture ? Qu’est-ce qui va primer : le désir de faire ce trajet à vélo, alors que les beaux jours sont comptés, ou le besoin que j’ai d’obtenir ce boulot ? À suivre.

Et vous, à quel moment, à quel signe vous êtes-vous avoué à vous-même que vous étiez accroc du vélo urbain ? Êtes-vous un accroc pleinement assumé ? Ou encore dans le déni de la chose ? Allez, avouez! Après tout, on est entre nous.

Suzanne

Illustration : Sur un thème qui remonte à la première Grande Dépression (1929), une affiche créé par l’illustrateur Nick Dewar.

6 commentaires sur “Accroc de vélo, êtes-vous dans le déni ?

  1. Michelle

    Moi aussi je suis malheureuse il fait trop froid pour y allé à vélo et quand il neige je ne m’y risque pas …

  2. Christophe N

    Jubilation et sobriété, voilà ce que m’inspire cet article délectable.
    Ca tombe bien, ce sont mes voeux a tous pour 2010 : Jubilation et sobriété. Merci à Suzanne d’avoir partager son expérience de cyclo-junkie.

  3. cycliste alcoolique

    @Suzanne,

    Je me reconnais completement et je l’assume.
    Je suis content de faire mes 30 km par jour pour rendre au travail. Il est possible que je change de site, beaucoup plus proche de chez moi, et ca ne m’arrange pas du tout.
    En ete pour allonger les distances et augmenter la difficulte, je passe par la voie Camilien Houde plutot que par la Cote Sainte-Catherine.
    Et oui, je suis aussi a Montreal 😉

  4. Much

    Le plus beau dans le vélo urbain, c’est remonter une file de voitures, feindre de ralentir au feu, se pencher vers le conducteur de la première voiture, scruter sa face éteinte ou seuls vibrent anxieux, ses yeux qui fixent le feu rouge, lui sourire… et griller le feu.

  5. Much

    Je dois ajouter que je vis à Rome… la ville anti-vélo par excellence, mais où le laxisme des carabinieri et la dextérité des automobilistes autorisent les vélos à ne pas trop se soucier de leur propre sécurité…

  6. wombie

    @MUCH : c’est marrant parce que moi c’est exactement l’inverse, en l’absence de pistes ou de bandes : ne pas remonter les files de bagnoles, rester tranquillement au milieu entre deux voitures arrétées, ne rien griller (feux, stops, etc…), redémarrer à mon ryhtme avec un énervé qui s’excite derrière….
    Tachant d’être irréprochable, je peut me permettre de toiser certains énervés…

    Bon, sinon, remonter 50 enclumes bloquées, à un rythme pépère sur la piste cyclable, c’est aussi jouissif… même si c’est plus rare.

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