Un mot sur ce train magnifique qui faillit bien exister

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J’assume sans état d’âme le mot de nostalgie. C’est une mélancolie, donc une tristesse. C’est un plaisir aussi, lié au souvenir de ce qui fut. C’est un regret enfin, celui d’une histoire qui s’arrêta, qu’on arrêta plutôt. Je comprends très bien ceux qui vantent l’automobile. Je comprends encore plus aisément ceux qui démontrent – en vérité, sans mal – que cet engin est désormais inévitable dans un grand nombre de situations. Mais moi, je déteste la bagnole et l’univers qu’elle a décidé pour nous. Car bien entendu, l’objet imaginé il y a un peu plus de cent années s’est emparé de nos destins jusqu’à les changer de fond en comble. Il est devenu une force matérielle. Il a fini par prendre toutes les décisions que nous n’osions assumer.

Sans la bagnole, point de villes tentaculaires et de banlieues sordides s’étendant jusqu’à l’horizon. Point de travail exténuant des millions d’êtres entre un point où l’on est censé vivre sa vie d’homme ou de femme et celui où l’on vend sa force de travail. Sans elle, pas de ces milliers de routes et d’autoroutes qui morcellent le paysage à l’infini et rendent peu à peu impossibles les rencontres entre animaux de territoires différents. Pas de centres commerciaux criminogènes aux abords de ces pauvres assemblages qui ne rappellent la ville que pour mieux la ridiculiser. Pas d’entrée ni de sortie urbaines où la publicité fait le trottoir, chaque trottoir, tous ces trottoirs que personne n’arpente ni n’arpentera.

La voiture individuelle est une immense défaite de l’humanité. Une déroute de la beauté. Un déni de liberté et de mouvement, quelles que soient les apparences. La voiture tue davantage que des vies. Elle massacre la perspective, elle attaque jusqu’aux rêves d’avenir que nous pourrions avoir. Car en effet, même les yeux fermés, il me paraît impossible d’imaginer un futur désirable dans lequel la voiture automobile jouerait encore le premier rôle. Gaspillerait une notable fraction de nos revenus. Dilapiderait ce qui reste encore de pétrole dans les cuves de la planète. Moi, quand je rêve pour de bon, je songe au train.

Le train est la preuve indiscutable qu’une autre voie de transport était possible. Il fut un temps, proche encore, où une multitude de lignes, parfois microscopiques, sillonnaient le paysage. J’en connais personnellement trois. L’une, qui reliait jadis Audierne à Douarnenez, par le Goyen, un petit fleuve côtier. Il en est des traces, que j’admire à chaque passage. La deuxième part d’Alzon, dans le Gard, et monte – montait – sur le plateau du Larzac, et au-delà. La troisième, qu’on appelle la Petite ceinture, encerclait Paris. Elle a encore, en quelques lieux de la capitale, des fulgurances de ce passé si proche.

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Ces trains n’allaient pas vite, mais ils avançaient, régulièrement, et s’arrêtaient tous les quelques kilomètres sans faire de manières. Ils étaient le sang, la circulation sanguine de ce pays. Ils étaient un réseau, un chevelu qui menait parfois à de simples villages (ici). À partir de ce réseau d’une densité étonnante, il eût été possible d’envisager une France tout autre. De bâtir un pays qui n’aurait guère ressemblé à celui que nous connaissons. Rien ne nous aurait obligé à conserver ce train-là. Nous aurions pu, éventuellement, imaginer davantage de vitesse, bien plus de destinations, un confort toujours plus grand. Rien n’était fatal. Rien n’était joué. Rien n’était interdit.

Au lieu de quoi, nous avons choisi la bagnole, qui détruit l’espace et la vie des hommes, sur la terre entière désormais. Je dédie ces quelques mots à ceux qui n’ont pas réalisé que la voiture individuelle a une histoire. Qu’elle est une histoire. Qu’elle est le produit de choix, d’arbitrages, d’orientations, de désirs, de propagandes diverses. Qu’ayant eu un début, elle aura aussi une fin. La question que je me pose est celle-ci : de quel côté se situer ? Dans le parti de la résistance à ce changement qui vient de toute manière, et qui signera la mort de cette grande mythologie nationale et mondiale ? Ou plutôt dans celui du mouvement, du soutien décidé, éclairé, volontaire à la destruction du monstre ? Moi, bien entendu, j’ai choisi.

Source: http://fabrice-nicolino.com/

5 commentaires sur “Un mot sur ce train magnifique qui faillit bien exister

  1. chatdegouttière

    Je partage aussi cette grande peine, suis mélancolique même en n’ayant jamais connu cette période.
    Le voyage en train est pour moi une façon de se déplacer exaltante. Non-automobiliste, je fais les frais de cette carence tous les week-end pour rentrer de ma ville étudiante actuelle vers l’ancienne, où chez mes parents : l’autostop s’impose. Pas conducteur, mais à bord d’une voiture quand même…

  2. Sam

    Moi je me demande parfois si les « résistants » à ce changement n’ont pas plus de moyen dans la lutte et si, au final, il ne finiront pas par gagner…. noyer les poissons-automo-addicts et les nourrir de drogues-pulsion, abrutir la masse… ça paye en général…
    mais positivons ! agissons surtout !

  3. lecteur

    Et en plus de la bagnole , parlons de l’AVION !

    Les hélicologistes à la sauce avion hélicoptères

    confer les voyages du même Nicolino en Amérique , Australie etc….

  4. Vincent Keller

    Magnifique article.

    Un tout grand soutien de la part d’un Suisse qui ne comprend pas pourquoi Paris n’a pas encore remis en fonction cette petite ceinture. Sans connaître Paris, sans connaître la France il m’apparait tellement évident que le trajet suivi par cette ligne est idéal au développement du TP en pleine ville de Paris. Un tel outil est rêvé par plus d’une ville !! Emprise complète existante (à double voie !!), reliant toutes les grandes gares parisiennes (c’était son but) et possèdant des correspondance possibles à toutes les anciennes gares avec les RER et autres métros actuels.

    La France, pays de Citroën, Renault et Peugeot a tué son réseau. Elle a tué toutes ses petites lignes secondaires qui font un réseau ferroviaire (on en sait quelque chose en Suisse). Elle se positionne aujourd’hui comme numéro un mondial du transport à haute vitesse.

    Concurrencer l’avion … pour des milliards de francs. Quelle bêtise ! Alors que des bijoux tels que la petite ceinture sont laissés à l’abandon.

    Je suis anti-bagnole, lobbyiste des TP. Bravo à ceux qui ont ce même combat. Surtout en France, vous êtes admirables.

    Vincent

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