La mobilité, source de projets ?

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Groupes de « 4 façades » fleurissant dans la campagne, immeubles à appartements situés à deux kilomètres d’un centre-ville en bordure d’une voirie sans trottoirs ni accotements, centres commerciaux en-dehors des noyaux d’habitat, réaménagements de voiries oubliant les modes doux, … nombreux sont les « projets » qui font encore l’hypothèse implicite de la pérennité des schémas de transport actuels ou qui, du moins, n’osent pas la « rupture ».

Dans ces approches, la consommation sans modération du territoire ne semble pas plus poser problème que le postulat du caractère éternel de la voiture et du camion.

Or, la poursuite de nos habitudes de surconsommation de transport n’est ni possible ni souhaitable. Petite illustration par le climat : la capacité d’absorption de la planète se limite à 12 milliards de tonnes de CO2 par an. A neuf milliards d’être humains (projection 2050), cela représente 1,5 tonne de CO2 par personne et par an : c’est la limite de durabilité que nous devons atteindre au plus tard en 2050 (dans 40 ans : une demi-vie humaine…). Or, la construction d’une voiture et son recyclage génèrent environ cinq tonnes de CO2 [1] et, en Belgique, son utilisation « pèse » 1,4 tonnes de CO2 par personne et par an [2]… ce qui ne laisse pas beaucoup de marge pour se chauffer, se nourrir, se cultiver, se divertir, … Et ceci sans parler des aspects relatifs à l’encombrement de l’espace public, aux effets sur la santé, sur la congestion, … Comment en est-on arrivé là ?

Depuis des décennies, le développement des sociétés occidentales est indissociablement lié au développement du transport des personnes et des marchandises et à l’éparpillement de l’habitat et des lieux d’activités sur tout le territoire, la relation entre transport et « non ménagement » du territoire s’apparentant à celle existant entre la poule et l’œuf. Dans ces conditions, et compte-tenu d’une évolution des mentalités vers toujours plus d’individualisme, la voiture s’est peu à peu imposée comme la solution incontournable.

Quand, d’aventure, il est question de mobilité autour d’un projet d’urbanisme, ce sont souvent les futurs voisins qui le soulèvent, inquiets des flux de voitures qui risquent de nuire à leur tranquillité ou à leur capacité à se garer à proximité de leur propre domicile. La réflexion, hélas, va rarement plus loin. Parfois, pour tel projet nécessitant une étude d’incidences, le bureau d’études se livre à de savants calculs pour tenter de chiffrer les impacts en termes d’émissions supplémentaires de CO2 et conclut – on s’en serait douté – qu’il s’agira d’une gouttelette de gaz carbonique versée dans une baignoire qui déborde déjà…

L’absence d’un projet de société basé sur une réflexion visant à la pérennisation, à la durabilité, explique en grande partie le parcours ayant conduit à ce qui ressemble fort à une impasse. Ceci étant posé, comment en sortir ? Peut-être en développant une approche dans laquelle la mobilité ne soit pas limitée à des aspects techniques liés au transport mais soit pensée comme une composante essentielle d’un nouvel art de vivre ensemble.

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Pour pouvoir mettre cette approche en pratique, certains pré-requis doivent être rencontrés. Dans la lettre des CCATM n°32 [3] , sous le titre « aménagement du territoire et mobilité : mariage obligé » étaient présentées les lignes de force à développer tant au niveau régional qu’au niveau local pour rendre ce mariage possible et harmonieux, notamment le refinancement des communes, la redéfinition en amont de l’affectation des sols, …

Plus spécifiquement, dans la lettre n° 20, les potentialités du plan communal de mobilité (PCM) étaient détaillées. Ces potentialités ne peuvent toutefois être exploitées au maximum que si les PCM sont articulés aux outils d’aménagement du territoire tels les schémas de structure. Les plans de mobilité, trop souvent encore, prennent pour données de base les projets d’urbanisation sans questionner ceux-ci quant à leurs incidences en termes de mobilité.

Dans la lettre des CCATM n°44, nous présentions un outil malheureusement sous-utilisé : les cartes d’accessibilité développées par la CPDT [4] qui, selon notre analyse « se profilent comme un outil incontournable à utiliser par les décideurs de façon systématique tant au plan régional qu’au plan communal pour aller vers un développement territorial (plus) durable. »

Dans la lettre des CCATM n°46 était illustré le concept d’espace partagé, qui se fonde sur une nouvelle approche des rapports entre les différents modes de transport et procède de cette nouvelle approche du vivre ensemble.

C’est réellement là que réside la clé du problème : c’est à un changement en profondeur de nos mentalités, de notre culture, qu’il convient de s’attaquer. Porter un projet de mobilité, c’est avant tout porter un projet de société. Et pour le développer, il faut sortir du schéma de pensée « mobilité-transport-technologie » et prendre le temps d’écouter ce qu’ont à nous apprendre les sociologues.

Source: https://www.iew.be

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[1] IMPRO-Cars, JRC, Commission européenne, 2008
[2] Il y a en Belgique Une voiture pour deux personnes, chaque voiture roule en moyenne environ 15.500 km par an en dégageant 180 gCO2/km.
[3] Lettre des CCATM
[4] Conférence permanente du développement territorial

Illustration: Campagne Carfree France 2008: une voiture en moins