Objection de conscience contre agrocarburants

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Eric Watteau, citoyen belge, a engagé une action en suspension et annulation de la loi belge sur les agrocarburants dans la mesure où cette loi oblige à incorporer dans les carburants mis en vente un certain pourcentage d’agrocarburants, développé à partir de céréales et d’autres produits agricoles normalement destinés à la consommation humaine ou animale. Vous trouverez ci-dessous le communiqué décrivant son action.

Vous pouvez la soutenir en lui envoyant une lettre de soutien du type de celle proposée en annexe.

En effet seul un soutien important permettra de renforcer le poids de sa protestation, en prouvant qu’il n’est pas le seul à subir une ingérence dans ses convictions citoyennes et spirituelles en raison des nouvelles pratiques imposées en matière de consommation de carburant, où l’on mélange des agrocarburants aux carburants fossiles

Coordonnées d’Éric Watteau
Chemin du grand sart, 32 1325 Bonlez Belgique
bs177671@skynet.be
Tél 010.84.17.53

Communiqué

Bonjour,

Je vous informe que pour des raisons d’objections de conscience et de religion, j’ai demandé la suspension et l’annulation de la loi du 22 juillet 2009, parue au Moniteur belge du 3 aout 2009, dans la mesure où elle oblige à l’incorporation de biocarburant dans les carburants fossiles mis à la consommation et dès lors qu’elle butte sur ma liberté de conscience.

D’une manière générale, cette loi oblige l’entreprise pétrolière à incorporer dans ses carburants mis en vente un certain pourcentage d’agrocarburants, développés à partir de céréales et d’autres produits agricoles normalement destinés à la consommation humaine ou animale.

Pour un ensemble de raisons économiques, sociales, politiques, religieuses, liées aux droits de l’homme, etc. – je me considère comme une conscience éthique et multidisciplinaire – les agrocarburants me heurtent profondément et me laissent particulièrement mal à l’aise.

• Au niveau économique, les agrocarburants représentent une augmentation disproportionnée de la demande mondiale pour les produits agricoles normalement destinés à l’alimentation. Les prix alimentaires s’envolent donc, en raison de la loi de l’offre et de la demande solvable. Les plus pauvres trinquent donc car avec moins d’un dollar par jour, on n’appartient pas vraiment à la demande solvable. Bien entendu, ce n’est pas uniquement la demande de produits agricoles pour les agrocarburants qui joue sur les prix du marché. Il y a aussi la demande croissante de produits agricoles pour la nourriture du bétail et les grandes productions d’exportation qui distraient des terres d’une production vivrière et réduisent donc l’offre de produits alimentaires de base. Mais l’introduction des agrocarburants change la donne globale. C’est un point de rupture en raison de la mise en compétition de besoins énergétiques insatiables et des besoins alimentaires légitimes. Ce sont des millions de tonnes de produits alimentaires qui sont ainsi sacrifiés pour devenir « or noir ». Le mythe du roi Midas se réalise hélas. Et la sécurité alimentaire des plus faibles est en péril.

• Au niveau social, on retrouve les conséquences de l’attitude économique. Les pauvres vont ainsi avoir de plus en plus de difficultés à se nourrir car ils ne sont pas une demande solvable. Les agrocarburants ne sont pas une campagne d’éradication de la faim dans le monde. Dans le rapport A/HRC/9/23 du 8 septembre 2008 du rapporteur des Nations Unies sur le droit à l’alimentation, Olivier De Schutter, on lira avec intérêt ses critiques par rapport aux agrocarburants. Il relève notamment que le rythme de développement des agrocarburants a contribué de manière significative à l’augmentation des prix de certaines denrées agricoles sur les marchés internationaux, menaçant la jouissance du droit à une nourriture adéquate. Il relève qu’il a été estimé que le nombre de personnes souffrant de sous-alimentation augmenterait de 16 millions pour chaque pour-cent d’augmentation dans les prix réels de la nourriture de base. Les cultures céréalières utilisées actuellement pour produire l’éthanol sont aussi celles qui forment la plus grande partie de l’alimentation de base des pauvres gens : maïs, sucre de canne, soja, manioc, huile de palme et sorgho procurent plus ou moins 30 % de la consommation calorique moyenne des personnes vivant une faim chronique.

• D’un point de vue religieux, cela me pose aussi problème. Au niveau chrétien, on parle de partage du pain. Le pain est consacré comme corps du Christ. Les Evangiles disent qu’il faut laisser des miettes aux petits oiseaux. Le pain est symbole de la nourriture et celle-ci est sacrée. Les Evangiles racontent le miracle de la multiplication des pains liée au partage du pain. La prière du « Notre Père » reprise dans les Evangiles est explicite quand elle dit : « donne-nous notre pain quotidien ». La prière essentielle de la religion chrétienne montre la demande de sollicitude de Dieu par rapport au pain, nécessaire à la vie sur terre. Le pain n’est pas une demande individuelle mais une demande collective. On parle de notre pain et non pas de mon pain. Dans son jugement dernier, Dieu accueille à sa droite ceux qui ont donné à mangé tandis qu’il maudit ceux qui n’ont pas donné à manger à ceux qui avaient faim. Le salut et la perdition chrétienne sont donc associés à l’usage juste et fraternel que nous faisons du pain, entendons ici de la nourriture. Isaïe dit dans l’ancien testament : « partage ton pain avec l’affamé ». Aujourd’hui, par les agrocarburants, l’homme moderne mange le pain d’autrui. Nous retirons le pain de la bouche des plus faibles et des affamés de l’humanité. L’homme moderne – égoïste et matérialiste – oublie le caractère sacré de l’alimentation alors que l’alimentation est centrale pour la vie. Nous fonctionnons dans un modèle de société désacralisée. Les autres religions donnent aussi un caractère sacré à la nourriture. L’aspect religieux va dans le sens que la priorité à donner à la nourriture est celle de nourrir les êtres vivants. La nouvelle loi ne va pas dans ce sens.

• Dans ma conscience juridique liée aux droits de l’homme, je me sens aussi concerné dans la mesure où le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels oblige la Belgique, et les autres Etats européens au même titre, de protéger le droit à l’alimentation des populations concernées. Il n’est pas certain que la Belgique mette en place un environnement international approprié en adoptant les agrocarburants. En effet, en adoptant les agrocarburants, la Belgique ne respecte l’obligation qu’elle a de ne pas poursuivre des politiques qui ont un impact négatif sur le droit à une alimentation adéquate. Et la Belgique ne contribue pas non plus à son obligation de coopérer de manière internationale pour contribuer à la réalisation du droit à l’alimentation. Le professeur Olivier De Schutter a développé ces éléments plus précisément. Les agrocarburants violent ma conscience des droits de l’homme dans la mesure où, principalement, ils nuisent de manière grave aux droits à l’alimentation des populations les plus vulnérables.

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• D’un point de vue de mon histoire personnelle, je suis né dans une famille qui a été marquée par la 2de guerre mondiale et ses privations. On ne jetait pas la nourriture, on terminait ses assiettes. On était conscient que jeter la nourriture était indécent alors qu’il y avait des gens qui avaient faim dans le monde. Même aujourd’hui, les restes de nourriture de la maison vont aux poules, aux animaux domestiques ou aux oiseaux. Les technocrates d’aujourd’hui, inconscients, ont abandonné cette réflexion juste par rapport à la nourriture, puisque l’on en est arrivé à considérer comme opportun et désirable de consommer la nourriture comme agrocarburant alors que la faim sévit toujours à grande échelle sur la planète. En Irlande, les musées de la famine de la moitié du XIXème siècle, qui a fait plus d’un million de morts, montrent qu’alors que les gens crevaient de faim, on affectait toujours une part de céréales à la production d’alcool. C’est le même principe qui fonctionne encore aujourd’hui avec les agrocarburants. J’ai aussi voyagé dans des pays du tiers-monde et les demandes de ceux qui vous abordent en rue sont d’une simplicité touchante : donne-moi à manger. Il y a beaucoup de gens qui ont faim par le monde. Même à Bruxelles, ces demandes existent.

• Ma conscience politique et géostratégique est aussi blessée et heurtée en raison du modèle des agrocarburants. Croit-on, au regard de l’histoire, que des populations démunies de tout et vivant avec moins d’un dollar par jour, qui ont faim, ne cultiveront pas des sentiments de haine et de revanche par rapport à une société occidentale où la nourriture sert à faire rouler des véhicules ? Ce sont des germes de guerre qui sont semés là ! N’oublions pas les millions de chômeurs allemands affamés qui ont prêté une oreille attentive aux incantations d’un dénommé Adolf Hitler !

• d’un point de vue financier, je suis aussi directement concerné. Afin de lutter contre la pauvreté, je donne régulièrement à des ONG qui s’efforcent de soulager le fardeau des pauvres ici en Belgique et à l’étranger. En raison de la hausse des produits alimentaires les ONG vont être davantage appelées à l’aide en raison d’Etats défaillants dans le fait de pourvoir une alimentation convenable à leurs citoyens. Je vais donc être personnellement confronté à davantage de demandes financières de la part de ces ONG, demandes auxquelles il est difficile de toujours dire non. En raison du modèle lié aux agrocarburants, je serai appelé, en raison de ma conscience financière, à faire des sacrifices supplémentaires.

Dans les multiples aspects de ma conscience, je me trouve donc en difficultés par rapport à la mauvaise pratique des agrocarburants. J’ai un véhicule – qui pourrait me le reprocher ? – parce que la mobilité collective est défavorisée en Brabant wallon. Je dois donc y mettre du carburant et l’Etat belge va se limiter à m’offrir un seul type de carburant : celui qui est mélangé aux agrocarburants. Je ne suis pas d’accord. J’estime que l’Etat doit mettre des normes de marché telles que je puisse avoir accès à du carburant non mélangé à de l’agrocarburant.

J’ai deux arguments à faire valoir :

• Faisons un parallélisme avec le fait de manger de la viande. C’est comme si l’Etat proclamait que puisque la population veut en manger, on ne mangerait désormais que du porc, en raison de critères techniques que l’Etat considérerait pertinents. Mais que fait-on alors de ceux dont la conscience interdit de manger du porc, en raison de leur religion ? L’Etat ne proclamera donc jamais une telle règle car il acceptera de respecter les convictions religieuses des personnes concernées. J’attends la même chose par rapport à mes convictions religieuses et autres (économiques, sociales, droits de l’homme). Par ailleurs, l’Etat respectera aussi la règle que les bouchers peuvent vendre de la viande de bœuf halal, casher ou classique selon le principe du respect des convictions et pratiques religieuses. Un Etat doit respecter la conscience citoyenne de ses habitants.

• Si aujourd’hui, je souhaite acheter de l’électricité verte, le marché a été ouvert de manière telle que je peux choisir mon fournisseur d’électricité. Certains m’offrent de l’énergie verte, d’autres non. Si ma conviction écologique le réclame, je peux donc faire un choix d’achats conforme à mes convictions. Ce n’est pas le cas au niveau du système d’agrocarburants mis en place par l’Etat.

J’en viens à cette comparaison car la religion et la conscience relèvent du même article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme. Il s’agit ici de l’accès à une marchandise qui appartient au mode de vie. Comme pour la religion, ma conscience éthique et multiple – ici non-conformiste – mérite le respect de la part des autorités belges. Si les entreprises pétrolières mélangent de l’agrocarburant avec du carburant classique en raison des ordres de l’Etat, je dois avoir le droit d’accéder à une marchandise qui ne heurte pas ma conscience dans ses convictions les plus profondes. Si je ne suis pas en mesure d’acheter du carburant neutre par rapport à mes approches de conscience éthique et de religion, je suis discriminé par rapport aux non-pensants de la société de consommation. Cette discrimination s’oppose au principe d’égalité de la constitution et des traités internationaux signés par la Belgique, notamment la convention européenne des droits de l’homme.

En d’autres termes, le marché pétrolier doit être organisé de manière telle que je puisse aisément trouver en Belgique un ensemble de distributeurs de produits pétroliers me permettant de m’approvisionner en carburants libres d’agrocarburants.

Eric Watteau

2 commentaires sur “Objection de conscience contre agrocarburants

  1. Mengneau Michel

    J’avais tiré la sonnette d’alarme sur ce sujet dès 2007 dans un article intilulé, « Les Agro-carburants, les retombées catastrophiques! ». Comme le sujet est toujours d’actualité, il est bien d’insister pour dénoncer la généralisation de ceux-ci.

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