Halte à la France moche !

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Le dossier du Télérama de la semaine prochaine revient sur les dégâts des politiques d’urbanisation de ces dernières décennies : centres commerciaux dénaturant les paysages, lotissements pavillonnaires proliférants, centres-villes muséifiés, règne du tout-voiture…

« Partout la même trilogie : infrastructures routières, zones commerciales, lotissements, concourt à l’étalement urbain le plus spectaculaire d’Europe: tous les dix ans, l’équivalent d’un département français disparaît sous le béton. »

Cette enquête de Xavier de Jarcy et Vincent Remy sur «l’urbanisme à la française » pose le décor: trois décennies d’impéritie écologique et esthétique. Car la trilogie « infrastructures routières, zones commerciales et lotissements » n’est pas seulement insoutenable écologiquement, elle est aussi tout simplement d’une mocheté absolue, avec ses « entrées de ville » qu’on dirait des sorties, ses tunnels de pancartes publicitaires à la Brazil, ses millions de lotissements identiques avec leurs pavillons vendus « clés en main ».

Télérama rappelle au passage que « l’urbanisme raconte ce que nous sommes. Le Moyen-Age a eu ses villages fortifiés et ses cathédrales, le 19ème siècle ses boulevards et ses lycées. Nous avons nos hangars commerciaux et nos lotissements… »

Autrement dit, nous avons les villes que nous méritons et le problème, c’est que ces villes « ressemblent à une soirée sur TF1: un long tunnel de publicité (la zone commerciale et ses pancartes) suivi d’une émission guimauve (le centre muséifié). »

Et en matière de mochetés urbaines, il apparaît que nous sommes champions d’Europe! Que ce soit dans le domaine des hypermarchés ou des lotissements, en matière d’artificialisation des sols ou de périurbanisation, la France arrive, pour une fois, en tête de classement…

Cette « Ville franchisée » dont parlait David Mangin en 2003, s’entend dans le sens commercial des villes saisies par les logiques du marketing mais aussi dans l’acceptation domaniale du terme, à savoir la privatisation progressive d’espaces toujours plus vastes.

Comment en sommes-nous arrivés là?

Il semble qu’on puisse dater le début des problèmes avec les grandes lois de décentralisation Deferre de 1982 et 1983. Avant cette date, l’état jacobin centralisait et contrôlait la production de l’urbain, ce qui limitait probablement la casse urbanistique… A partir de la décentralisation, les communes « s’administrent librement » et prennent en main la gestion urbaine, pour le meilleur… et surtout pour le pire!

En effet, les maires, qui le plus souvent n’y connaissent rien, ont eu largement tendance à déléguer la production de la ville aux grandes enseignes commerciales et aux promoteurs privés, qui arrivaient avec des solutions urbaines standardisées et adaptées à leurs besoins (faire du profit).

Face aux perspectives de taxe professionnelle (pour les centres commerciaux) et de taxe d’habitation (pour les lotissements), les maires n’ont pas fait les difficiles et l’escalade entre communes a commencé, à coup de Zones d’Aménagement Concerté ou de lotissements pavillonnaires.

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Frédric Bonnet, architecte-conseil, tire un constat accablant de cette gestion communale de l’urbanisme: « Il faut en finir avec la politique urbaine coordonnée au niveau de la commune, ce n’est pas la bonne échelle« .

Avec des élus locaux qui ne connaissent pas grand chose à l’urbanisme et qui ne pèsent pas lourd face aux exigences des groupes privés, il apparaît désormais clairement que la gestion communale de l’urbanisme a échoué et qu’il est temps de changer d’échelle (intercommunalité, département, région?)

De la ville moche à la ville rêvée

Déjà, des signes avant-coureurs indiquent que ce modèle de développement urbain touche à sa fin, si ce n’est dans les faits, du moins dans les esprits.

En effet, en 2008 lors de la crise pétrolière qui a vu le prix de l’essence exploser, la fréquentation des hypermarchés et autres centres commerciaux de périphérie s’est effondrée durant quelques mois. Nul doute qu’avec le renchérissement attendu du cours du baril de pétrole, les cubes monofonctionnels de la grande distribution ont du souci à se faire

Du côté de l’habitat, même punition! De plus en plus de périurbains se rendent comptent du non-sens économique et écologique de l’habitat situé loin de tout et imposant des navettes domicile-travail toujours plus longues. Si bien que certains pronostiquent même que les lotissements pavillonnaires seront les bidonvilles du futur, les lieux de relégation de classes moyennes à la dérive, étranglées par le coût croissant de l’automobile. La crise des subprimes américaine a montré la voie dans ce domaine, une sorte d’avertissement sur l’échec imminent du modèle de la ville moche étalée et criblée de voies rapides.

Le seul futur urbain viable est en train de se dessiner ou de se re-dessiner, à base de redensification, de mixité des activités et de l’habitat, de Nouvel Urbanisme néo-traditionnel ou de Nouveau Piétonnisme, de villes et de quartiers des courtes distances, d’urbanisme cyclable, etc.

Et une conclusion en forme de rêve : « L’impératif écologique supplantera-t-il l’impéritie politique ? (…) (R)êvons un instant à ce que pourrait être une « ville passante» (…), une ville désintoxiquée de la voiture, désenclavée (…), une ville de faubourgs dont les fonctions – habitat, travail, commerce, loisirs – seraient à nouveau mélangées, une ville hybride, métissée… »

Halte à la France moche !
Dossier à lire sur le numéro 3335 de Télérama, du 13 au 19 février 2010

10 commentaires sur “Halte à la France moche !

  1. Ltc

    « L’impératif écologique supplantera-t-il l’impéritie politique ?  »

    Non: C’est l’imperatif economique que le fera. Mais on cautionnera les economies a faire avec des arguments (autoritaires) ecolos.
    Deja l’administration (ecoles, postes, tribunaux, autres services publics… ) se barrent de la campagne, pas pour des raisons ecolos mais pour des raisons economiques.
    L’etalement n’est pas viable economiquement, un etalement qui s’est fait a coup de milliards d’endettement par les collectivités qu’on ne saura pas rembourser de maniere traditionnelle (avec de la croissance).
    La bagnole etait du pain beni pour des collectivités qui ne savent pas s’organiser, amenager leur territoire.

  2. CarFree

    L’introduction n’est pas exactement la même, même si elle en est manifestement inspirée, et la conclusion, c’est celle de télérama…
    Enfin votre lien est maintenant cité…

  3. laetitia

    Merci, j’en ai fait autant pour les précieuses infos complémentaires que vous apportez dans votre article de fond. Et surtout, continuez votre combat !
    Amicalement,

  4. CarFree

    Et pour info, ils ont aussi mis en place un Atelier photographique dont le titre est « Laid-xagone » sur le thème: « Ah elle est belle la France des ronds-ponts bariolés, des “zones de chalandises” et autres lotissements désespérants ! Et si, pour une fois, on s’amusait à montrer la laideur ? Car vous aussi, c’est sûr, vous croisez de ces horreurs près de chez vous, parfois drôles à force d’être de mauvais goût. Voici donc l’atelier Wizzz que nous vous proposons Désposez ici vos photos, vos légendes… Et que le pire ne gagne rien ! »
    Adresse: http://wizzz.telerama.fr/lafrancemoche

  5. Pim

    L’article est très intéressant…. j’aime beaucoup ce passage :

     » Les pare-brise de nos voitures sont des écrans de télévision, et nos villes ressemblent à une soirée sur TF1 : un long tunnel de publicité (la zone commerciale et ses pancartes) suivi d’une émission guimauve (le centre muséifié) »

  6. Gildas

    Merci pour cet article!

    Pour quelqu’un qui habite en centre ville ou dans un joli village, ces endroit sont moches, mais pour les (pauvres) gens qui vivent à proximité, cet environnement est tout naturel, à tel point qu’ils sont ravis d’avoir un panneau publicitaire dans leur jardin pour payer la moitié du crédit de la maison.

    Le plus dommage dans ces endroits, c’est que, victimes de leur succès, ils sont infernaux à vivre, même en voiture le samedi après midi. Les gens sont donc attirés par la laideur? Il sont attirés par le choix et les prix et par le fait que la voiture étant payée, il faut bien s’en servir.

    Pour comprendre la laideur et le manque d’humanité de ces centres commerciaux il faut s’y promener à pied: on devient alors un animal du bord de la route comme les autres, mal à l’aise dans un environnement conçu pour les voitures mais pas pour les gens, c’est un comble! Un peu comme une gare de train qui n’aurait que des voies et pas de quais!

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