Énergie et Famine, Machinisme agricole et Militarisme

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Le conducteur d’engin seul aux commandes de sa moissonneuse batteuse ultramoderne réalise en un temps record ce que des dizaines de paysans faisaient « lamentablement » en plusieurs semaines, en étant en permanence confrontés aux incertitudes météos… « C’est la Révolution Verte » (1)…

Transformation du Blé en Marchandise

Mais lorsque le « travail » est fini et, qu’en apparence, il ne reste plus rien à faire, tout reste encore à faire ; mais dans un tout autre secteur d’activité. Sans le savoir et en toute innocence le conducteur d’engin vient d’effectuer une opération économique primordiale. Son travail fini, la « récolte », dans son tombereau, est enfermée comme dans un « wagon blindé »; son « produit » a changé de statut. Le blé s’est métamorphosé en marchandise. Il a changé de secteur d’activité et appartient désormais au « Marché ». Sur la scène internationale, il ne connaît pas encore sa destination finale. A quelques mètres seulement du champ d’où il vient d’être récolté, le blé est déjà sur le Marché mondial. Va-t-il être dévoré par l’industrie agroalimentaire ? Va-t-il être transformé en biocarburant ou directement brûlé dans des chaudières ? Ou encore va-t-il être tout simplement détruit pour « soutenir les cours mondiaux du blé » ? Seul « Le Marché » le sait, il a sur cette marchandise les pleins pouvoirs !

Avec l’argent récupéré de sa « récolte » le conducteur d’engin va pouvoir nourrir une seule famille, mais surtout, payer une partie de ses nombreuses dettes, pour pouvoir recommencer son opération économique l’année suivante. Pour que l’activité du conducteur d’engin soit strictement concentrée sur la transformation de la récolte en marchandise un certain nombre d’aléas sont pris en charge par la collectivité. En Europe, les incertitudes météo toujours présentes sont redistribuées et assumées par « La Communauté » (des contribuables) au moyen du mécanisme de spoliation de la PAC, institution entièrement dévouée au service du Marché.

Le mécanisme de spoliation de la population, par le jeu du Marché et des « impératif de production », semble fonctionner à merveille comme par magie. Sa face obscure, son secret d’efficacité et en même temps son « Talon d’Achille », c’est l’énergie, plus exactement la consommation massive d’énergie…

Enfermement concentrationnaire de la population en ville, constituant une « demande alimentaire » captive centralisée par les supermarchés, gigantisme de machinisme agricole, et consommation massive de carburants fossiles à la fois dans la production et la circulation des marchandises ; tous ces aspects sont les ingrédients de base pour que s’opère sans cesse la « magie de l’économie » : métamorphose du blé en marchandise et circulation des marchandises… Cependant tous ces éléments sont horriblement « énergivores »…

Militarisme du machinisme agricole

Dans tous les aspects techniques de la production agricole industrialisée, le militarisme est difficilement perceptible. La « Guerre aux Chaumières » « ancestrale », « l’accumulation primitive du capital » (2) est devenue invisible. Rien ne transparaît, aucune violence apparente, seulement ce spectacle de la « performance agricole » offerte par ce conducteur d’engin seul aux commandes de sa moissonneuse batteuse ultramoderne… Pourtant le militarisme est toujours présent. Pour le conducteur d’engin, que l’on appelle encore « agriculteur », tout simplement parce que dans le processus permanent d’industrialisation de l’agriculture, sa survie dépend de sa capacité à payer ses dettes envers le système bancaire et la machinerie industrielle ; mettre telle quantité de blé dans un « fourgon blindé »…

La violence est là permanente dans le gigantisme du machinisme agricole même. Il est la sublimation civile du militarisme et il ne s’agit malheureusement pas d’une vue de l’esprit. Ce qui a été « récolté » est maintenant dans un tombereau métallique. Le conducteur d’engin a mis directement le blé en état de « circuler ». Un exemple de moyen exactement adapté à ses fins. Le gigantisme du machinisme agricole n’intervient pas seulement dans l’acte agricole de récolter ; il transforme d’emblée le blé, le produit récolté, en marchandise. La Moissonneuse batteuse produit une marchandise prête à circuler. Et comme le rappelle Karl Marx en personne « la circulation des marchandises est à la base de la civilisation capitaliste. » (3) La moissonneuse batteuse annihile l’acte paysan de récolter sa nourriture dans un champ et par là anéanti la paysannerie. Elle reproduit mécaniquement « l’accumulation primitive du capital » l’acte de naissance et « péché originel » du capital…

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Pour les paysans du monde, ce qu’il y a maintenant dans le tombereau, reste un « aliment de base » et à ce titre n’a rien à faire dans ce  « wagon blindé ». Pour le capitalisme mondial, c’est de l’énergie nécessaire à sa survie : soit pour alimenter directement les machines, soit indirectement pour satisfaire la « ration calorique » du prolétariat enchaîné aux machines et enfermé dans les Mégalopoles Méga machines urbaines. Dans les deux cas c’est bien de l’énergie destinée aux machines…

En 2007 l’humanité a basculé dans l’ère des mégalopoles concentrationnaires. La majorité de la population mondiale est encasernée en ville. Une victoire incontestable du capitalisme. La « ruralité » appartient définitivement au passé. Le Marché a créé sa double population captive. Dans les pays de la périphérie du monde industriel la population devenue « main d’œuvre » potentielle pour les machines s’entasse dans des bidonvilles à perte de vue. Pendant ce temps la « Main invisible du Marché » fait « main basse » sur les terres agricoles (4). Les gouvernements des pays pauvres, agents locaux du capitalisme mondial, bradent à tour de bras sur le « Marché mondial », les meilleures terres agricoles, « libérées » de leur population rurale d’origine. Par milliers d’hectares ces terres tombent dans l’escarcelle des multinationales et même des États industriels.

Dans les « pays nantis », « places fortes » anciennement industrielles du capitalisme mondial, les mégalopoles concentrent elle aussi leur population spécifique de consommateurs. Les industries se délocalisent vers la « main d’œuvre » dans les pays producteurs de « calorie alimentaire » ou « d’énergie verte »…

Seul aux commandes de sa moissonneuse batteuse l’agent technique de l’économie réalise en un temps record une opération primordiale à la survie du capitalisme mondial, la spoliation-reconversion massive des ressources alimentaires en énergie.

Tours Février 2010

JMS

(1) Ce texte fait suite à l’article « De la Révolution Verte aux Biocarburants, la vraie nature du Développement. ». Il s’y intègre comme un paragraphe…
De la Révolution Verte aux Biocarburants, la vraie nature du Développement
(2) Karl Marx « Le Capital » Livre 1er Tome 3, section 8, « L’accumulation primitive du capital »
(3) Karl Marx « Le Capital »Livre 1er Section 2 « La transformation de l’Argent en Capital », Chapitre 4 « La formule générale du Capital »
(4) « Main basse sur les terres agricoles en pleine crise alimentaire et financière » Grain octobre 2008. GRAIN | Briefings | 2008 | Main basse sur les terres agricoles en pleine crise alimentaire et financière

Image: Affiche du film « Nos enfants nous accuseront« 

2 commentaires sur “Énergie et Famine, Machinisme agricole et Militarisme

  1. Marc

    Très bel article, qui illustre clairement les mécanismes capitaliste de l’industrialisation de l’agriculture, et de ces conséquences locales, nationales et internationales. Trop nombreux sont les agriculteurs, les citoyens et les consommateurs qui n’ont pas conscience de l’impact de leurs actes quotidiens.

  2. CarFree

    Au-delà de l’aspect social, remarquablement bien cerné dans cet article, j’ajouterais que ce transfert massif et historique de la terre depuis les individus vers les sociétés de l’économie de marché mondialisée s’opère au prix d’une destruction avancée de l’environnement (pesticides, herbicides, gaspillage de l’eau, salinisation des terres et de l’eau, érosion accélérée des sols, diminution drastique de la biodiversité, etc.). La « main invisible du marché » ne régule pas la destruction de l’environnement, elle traite les ressources renouvelables comme des produits miniers, les exploitant jusqu’à leur disparition/destruction complète.

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