Histoire du Mouvement de Défense de la Bicyclette

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En 1974, Jacques ESSEL (1920-2004) créait le Mouvement de Défense de la Bicyclette (MDB), première association de ce type vouée à la défense de l’usage du vélo en tant que moyen de transport quotidien.

Cette création faisait suite au « Mouvement pour les couloirs à bicyclettes », mouvement spontané de cyclistes protestant contre la verbalisation des cyclistes empruntant les couloirs de bus de faible largeur créés à Paris deux ans plus tôt pour faire face aux difficultés de circulation croissantes, et interdits aux vélos. Le renvoi des vélos vers le milieu de la chaussée entre le couloir de bus et le flux des voitures conduisait à la quasi impossibilité de circuler et à leur prochaine élimination des chaussées parisiennes.

À la veille du premier choc pétrolier de 1973 on mettait en place à grande échelle ce qui s’avère aujourd’hui un véritable cancer pour les villes : la généralisation de l’automobile comme moyen de transport universel. Jusque là, se déplacer à vélo à Paris était naturel. Depuis des dizaines d’années, la bicyclette avait permis à une grande partie de la population d’accéder à la mobilité, pour aller au travail et même pour le tourisme [1], alors que l’automobile restait réservée aux plus riches, mais l’élévation du niveau de vie allait permettre à chacun d’accéder à ce progrès vers la mobilité pour tous, et l’heure était venue d’ »adapter la ville à l’automobile » selon une formule célèbre attribuée au président Georges Pompidou [2].

Les cyclistes résistant dans cet enfer croissant étaient considérés par les automobilistes et les pouvoirs publics comme inexistants, ou au mieux comme une minorité de marginaux réticents au progrès, souvent l’objet de railleries. On mesure aujourd’hui la clairvoyance de ces militants, alors que l’idée fait son chemin dans l’esprit du public que se déplacer à vélo est sain et intelligent, plus rapide dans bien des cas, et qu’il est maintenant établi que l’automobile ne résoudra jamais les problèmes de mobilité en ville, tout en pourrissant la vie des résidents et au delà celle de la planète.

L’action médiatique eut du succès, la verbalisation cessa et les téméraires cyclistes purent continuer à circuler le long du trottoir. Il faudra quand même attendre jusqu’en 1996 pour que les couloirs de bus soient enfin officiellement autorisés aux vélos, au début très partiellement, puis à plus grande échelle après élargissement.

Entretemps ce fut la traversée du désert pour les cyclistes, avec entre autres tracas leur éviction des trains. Depuis les débuts des chemins de fers les bagages voyageaient dans des fourgons sur le même train que les voyageurs, exactement comme cela reste toujours pratiqué dans les transports aériens. Depuis l’invention de la bicyclette vers la fin du 19ème siècle, celle-ci était considérée par les compagnies ferroviaires comme un bagage, la combinaison de ces deux moyens de transport formidablement complémentaires apportant liberté et rayon d’action, à une époque où l’automobile était un luxe. La réorganisation du service des bagages enregistrés vers la fin des années 1970 et sa dégradation avec des délais de livraison de plusieurs jours, sonnait la fin de cette complémentarité. Ce fut dès lors et cela reste un des axes principaux de l’action de MDB.

Pendant cette traversée du désert, l’organisation de manifestations qui réunissaient souvent plusieurs milliers de cyclistes dans Paris, finit par attirer la sympathie du public et particulièrement des nombreux Parisiens qui ne possèdent pas d’automobile. Cette période fût celle du développement et de l’organisation à l’échelle nationale et européenne des associations vouées à la promotion du cyclisme urbain. Déjà, le MDB avait essaimé avec quelques antennes dans les régions, puis ce fut le regroupement avec d’autres associations semblables par la création de la FUBicy en 1980 (agissant auprès des institutions nationales), puis de l’ECF en 1983 (agissant auprès des institutions européennes).

À quelques mois des élections municipales de 1983, l’accident dont fut victime Jacques ESSEL [3] connut un retentissement médiatique qui força le maire de Paris (Jacques CHIRAC à l’époque) à agir. À la hâte et dans un simulacre de concertation avec notre association, il créa les « couloirs de courtoisie », pointillés verts tracés au milieu de la circulation pour matérialiser la présence possible de cyclistes sur la chaussée. Sans existence réglementaire ni modification des règles en vigueur, ils révéleront l’absurdité qui consiste à faire circuler les vélos entre les couloirs de bus et la circulation automobile. Discontinus, occupés par des voitures en stationnement illicite, la presse les nommera bientôt « couloirs de la mort ». Il devait y en avoir 80 km le long des principales artères mais on abandonnera très vite leur développement. Par leur retentissement médiatique, les couloirs de courtoisie eurent au moins le mérite de répandre dans l’opinion l’idée qu’il existe des cyclistes, mais leur mise en œuvre ratée gela toute initiative municipale pendant de nombreuses années.

On assista à une nouvelle traversée du désert jusqu’aux années 1990 avant que les politiques acceptent de parler à nouveau du vélo. C’est l’époque où l’on se met à débattre de qualité de vie en ville (pollution, bruit, embouteillages), et où l’on commence à mesurer la qualité de l’air dans Paris.

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En 1989, le début du 3ème mandat de Jacques Chirac marquera l’ultime offensive victorieuse des tenants de l’automobile avec la création des axes rouges (« Paris veut rouler, on va tous l’y aider »). Adoptés en 1990 par un vote du Conseil de Paris, les axes rouges devaient initialement constituer un réseau de 100 km, destiné à assurer la fluidité du trafic automobile par une affectation prioritaire par rapport aux autres usages de la voirie, l’interdiction de stationner et la régulation des carrefours étant censés réduire les embouteillages et par suite l’émission de polluants…

Quel fut l’impact des axes rouges sur le développement du vélo ? Peut-être pas aussi négatif qu’on pourrait l’imaginer, car cette politique a en effet entraîné deux phénomènes nouveaux, d’une part un rejet du tout-voiture par les Parisiens, cyclistes ou non, face à l’augmentation des nuisances, et d’autre part le lancement des quartiers tranquilles, contrepartie des axes rouges, débarrassés de la circulation de transit, précurseurs d’une nouvelle philosophie de la circulation dans la ville.

Au début de son mandat de maire de Paris, Jean TIBÉRI, aidé en cela par la grande grève de décembre 1995, fit accéder le vélo à un nouveau statut.

Un frémissement était perceptible depuis l’été 1994 où à l’initiative du gouvernement (Michel Barnier, ministre de l’environnement) les voies sur berges furent réservées aux piétons et cyclistes le temps d’un dimanche, opération répétée ensuite périodiquement avec chaque fois le même succès. Une mesure peu contraignante pour l’automobile, mais d’une portée symbolique et médiatique telle que les élus municipaux en perçurent l’opportunité politique.

Décembre 1995 : en 1 mois de grève totale des transports publics, les magasins de cycles font des affaires en or, par milliers les vélos sortent des caves. Au cours d’une conférence de presse un ambitieux plan vélo était lancé le 19 janvier 1996, avec des projets immédiats : la réalisation prioritaire de deux grands axes cyclables structurants nord-sud et est-ouest, et l’ouverture de couloirs de bus aux vélos, après élargissement ou par simple autorisation selon les cas. Le maire de Paris entendait également s’appuyer sur une concertation avec les associations au moyen d’une commission extra-municipale pour le vélo créée à cet effet et devant se réunir une fois par mois.

Le mode de fonctionnement du MDB se trouva bouleversé par l’importance du travail consacré à la concertation, et dès 1996 on commença à parler de modifier le nom de l’association, ce qui fût finalement fait quelques années plus tard. En 2004, le Mouvement de Défense de la Bicyclette devenait Mieux se Déplacer à Bicyclette, et une demande de subvention allait permettre l’embauche d’un salarié permanent.

Ces changements se sont accompagnés de nouvelles formes d’action : organisation de bourses aux vélos, promotion et service de marquage des vélos, participation à l’animation de la fête du vélo.

L’activité « balades« , présente dès l’époque de Jacques Essel où elle faisait office de point de rencontre entre militants, a évolué vers la promotion du tourisme à bicyclette tout en devenant un espace de formation et d’accueil des cyclistes.

Aujourd’hui, le principe de partager l’espace public en accordant toute leur place aux déplacements non-motorisés ne fait plus débat à Paris au niveau politique. Pour autant, la pertinence d’une association militante reste entière alors que la résistance reste grande de la part notamment de la Préfecture de police et plus généralement de la part des services techniques dont la culture reste imprégnée par les années automobile et dont les agents ne sont bien souvent pas des utilisateurs du vélo. Malgré le développement constant de la circulation cycliste, en particulier depuis la mise en place de vélib’ on est loin de l’objectif de 25% de part modale comme observé dans de nombreuses villes d’Europe. Et la plus grande partie de l’agglomération francilienne reste inhospitalière pour les déplacements effectués à vélo, ce à quoi MDB a répondu en aidant à la création d’antennes locales pour relayer son action auprès des élus des villes de banlieue.

Source: http://www.mdb-idf.org/

Notes

[1] Dans la suite du développement du temps libre et des loisirs après les lois sociales de 1936

[2] À vrai dire nous ne sommes pas pleinement parvenus à vérifier cette information et à la replacer dans son contexte ; on pourra se référer au discours prononcé le 18 novembre 1971 au District de la région parisienne, cité dans « L’automobile à la conquête de Paris », par Matthieu Flonneau, Presses de l’école nationale des ponts et chaussées.

[3] renversé par une voiture qui prit la fuite, alors qu’il circulait à vélo place de Stalingrad, à Paris, un endroit particulièrement redouté des cyclistes de l’époque