Une bonne et une mauvaise (sur la bagnole)

Je ne vous demande pas si vous préférez la bonne nouvelle ou la mauvaise, car vous aurez les deux. Et comme je suis un vaurien, il apparaîtra vite que la bonne est finalement mauvaise. Quel métier ! Mais commençons par la bonne: les ventes de voitures neuves ont baissé de 9,3 % dans l’Union européenne en mai 2010. Dieu ! Tout cet acier, toute cette électronique, tous ces plastiques qui ne seront pas gâchés, quel bonheur pur ! Je crois utile de visualiser ces masses lourdes de matières premières qui ne seront pas arrachées à notre terre, et qui n’iront pas plus tard polluer les décharges à ciel ouvert de Manille, Accra ou Dacca. Je redoute d’être un jour accusé de menées antinationales, car je souhaite que toute l’industrie automobile s’effondre sur elle-même, et que plus jamais aucune bagnole de cette sorte ne soit construite de main d’homme. De main d’homme ! Y a-t-il plus beau qu’une main d’homme au travail ? Je renvoie pour confirmation à l’admirable travail du photographe Sebastião Salgado, La main de l’homme. Celle des cueilleuses de thé du Rwanda. Celle des mineurs de Serra Pelada. Celle des chaudronniers des chantiers navals de Gdansk.

Cette bonne nouvelle est aussi très mauvaise, car la statistique indique qu’en mai, donc, 1 129 508 voitures rutilantes ont été achetées en Europe – dans l’Union -, malgré la crise et l’angoisse qui monte, et peut-être en partie à cause de cela. Plus d’un million ! En un mois ! Sacrifier des ressources aussi précieuses que le pétrole, plomb, l’antimoine, le caoutchouc, le fer, l’aluminium, le chrome, le silicium, le titane et quelques dizaines ou centaines d’autres, les sacrifier pour ça me sidère. J’allais écrire, car je me croyais seul : me troue le cul. Et maintenant, sans transition, la vraie mauvaise nouvelle : en Chine, les ventes de voitures ont augmenté de 25,8 % en mai 2010 par rapport à mai 2009. Les « analystes », ces crétins appointés, soulignent que l’augmentation est en baisse. Que le taux d’augmentation décélère.

Que vous dire de plus ? Je rêve d’un mouvement authentique, qui nous changerait des ersatz. Je ne sais pas si vous avez déjà bu de l’orge grillée à la place du café, mais si oui, on se comprend. Le mouvement auquel je songe établirait le cahier des charges d’une bagnole basée sur la nécessité sociale et la contrainte écologique. Elle consisterait en l’assemblage de pièces numérotées, par exemple de 1 à 500. Chacune aurait une fonction connue, reconnue, écrite dans un livre écrit d’une manière limpide. Un système gratuit, au coin des stations-service par exemple, permettrait en cas de panne de situer instantanément quelle partie est momentanément défectueuse. Disons la 122. Muni de ce numéro, le proprio irait dans un magasin de quartier où un commerçant de quartier, crayon coincé entre le lobe de l’oreille et le crâne, irait farfouiller dans son arrière-boutique avant de lui apporter sa pièce 122. Laquelle ne vaudrait presque rien, car elle serait fabriquée dans des séries telles que son prix unitaire serait à la longue dérisoire. Et, bien entendu, la pièce 122 en panne serait rapportée, confiée aux bons soins du bon monsieur avec crayon à l’oreille, pour réparation.

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De la sorte, on pourrait aisément imaginer, sortant de la logique propre à l’industrie – l’obsolescence organisée de tous les objets possibles -, fabriquer et utiliser des véhicules durant toute une vie et au-delà. Car pourquoi ne pas léguer à ses héritiers une bagnole sûre, efficace, en état de marche ? Certaines des 500 pièces pourraient fort bien faire l’objet d’échanges et permettre – pourquoi pas ? – de modifier l’apparence et la couleur du véhicule pour les ceusses dont le goût varie à chaque saison de chaque année. Oui, pourquoi pas ?

Mais je sens Sandro Minimo qui s’énerve de l’autre côté de l’écran, et je m’empresse d’ajouter que cela ne serait pas suffisant. Cette petite fable permet juste de mesurer la liberté que nous ne nous accordons pas. Elle montre, me semble-t-il, l’incroyable inertie de nos comportements. Notre insupportable incapacité à penser autrement. Pour le reste, je suis bien sûr pour une remise en cause radicale de l’usage individuel sans entraves d’un objet aussi lourd de conséquences néfastes que la bagnole. Elle tue le monde et ses villes, son climat et son avenir aussi sûrement que le ferait une balle de 11,43 mm dans la tête des écervelés que nous sommes tous.

Bien entendu, il faut se diriger au plus vite vers un monde sans bagnole individuelle. Mais en attendant ce jour heureux, si on commençait par le mouvement des 500 (pièces) ?

Source: http://fabrice-nicolino.com/

4 commentaires sur “Une bonne et une mauvaise (sur la bagnole)

  1. Vélops

    Aux États-Unis, les outils de diagnostic auto, par exemple, répondent à des standards auxquels tout constructeur qui souhaite vendre sur le territoire américain doit se plier. Cela permet des réparations bien moins onéreuses qu’en Europe, avec une concurrence bien meilleure entre les garagistes.

    En Europe, en particulier en France, pas possible d’aller faire réparer ou diagnostiquer sa Peugeot chez un concessionnaire BMW ou l’inverse. La possession d’une voiture est rendue nécessaire faute d’alternatives acceptables, pourtant elle transforme les honnêtes citoyens en vaches à lait que nombre d’organismes privés ne se privent pas de traire. C’est en partie à cause des pratiques déloyales des garagistes, concessionnaires et assureurs que je refuse d’acheter une voiture tant que je n’en ai pas la nécessité absolue.

  2. LécoLomobile

    Tout à fait d’accord avec la mauvaise foi des industriels dénoncée par Nicolino. Dans un autre registre, j’imagine des automobiles électronisées qui adapteraient leur puissance et performances au comportement du chauffeur. On n’aurait plus besoin de permis de conduire car la bagnole détecterait que la personne au volant est novice et roulerait automatiquement en « mode voiturette » même si c’est une mercedes.

  3. jeux de voiture

    Je découvre ce blog, merci pour les explications et votre point de vue sur le mal que font les voitures sur notre environnement et les fumisteries de notre dirigeants pour vendre ces bagnoles

  4. MON810

    Merci. En découvrant ce blog et cet article je découvre combien la bêtise humaine est immense. J’envisagerai désormais l’humanité avec plus de réalisme.

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