Le code de la route est un mauvais jeu de société

Chat noir

Dimanche dernier, au cours d’une petite randonnée en montagne avec des potes, à VTT, une petite chute et les dermabrasions conséquentes vinrent me rappeler et marquer dans mon corps les risques inhérents à la vitesse.

Et pourtant avant chaque descente, une légère angoisse monte en moi.

Je ne parle pas de peur qu’il serait légitime d’éprouver à la vue des obstacles ou de la déclivité.

Il s’agit d’une crainte de perte de contrôle, du contrôle de ma conduite.

Je sais que je suis vite pris au jeu: les virages serrés alternent avec les étroites mais roulantes portions, la vitesse grimpe, le vélo est suspendu et répond bien en terme de freinage… cette illusoire sensation de contrôle à mesure que le risque augmente conduit _je le sais_ inéluctablement à la chute.

L’appétence du jeu est le corollaire de la conduite.

20 ans en arrière, je ne connaissais que la peur.

Les VTT étaient rigides comme des manches à balai, et les freins mordaient la jante comme une tarte aux qwetches.

La machine transmettait trop fidèlement la rugosité du terrain au pilote qui éprouvait alors rapidement les limites de cette symbiose de métal et de chair.

Le goût du jeu étant trop fort, il s’agit d’en changer les règles si l’on désire (au sens politique) limiter les dégâts collatéraux.

Plutôt que d’imposer de nouvelles restrictions, je proposerais de supprimer purement et simplement le code de la route.

La réglementation s’appliquerait exclusivement à l’industrie automobile:
-bridage des moteurs à 30km/h
-moteurs les moins puissants et donc les plus économes
-châssis en bambou et carrosserie en balza: réduction drastique du poids total roulant et sensibilité des occupants à la casse…
-enfin, absence total de signalisation, priorité à droite à toute intersection et responsabilité en cas d’accident incombant systématiquement à l’usager à l’origine de la plus forte énergie cinétique au moment de l’impact (soit le plus lourd et +/- rapide)

Bien sûr, seuls les services publics pourraient user de véhicules à moteur: pompiers, ambulances, police (et encore), transports publics et de marchandises… et oui, tout cela sera nationnalisé!

Cependant et malgré cette petite chute, c’est avec beaucoup de courtoisie envers les marcheurs entre autres, que l’on reprit le chemin.

Chemin faisant nous parvînmes à un lac aux bords matérialisés par une chaine d’automobile.

Quelle (puante) surprise, en pleine nature!

Je ne pus m’empêcher de m’exclamer: « bordel, jusqu’ici il y a des voitures! »

Un homme d’une forte corpulence et de quelques décennies de plus que moi eut la réponse qui m’aurait attiré les qualificatifs de « sale extrémiste » mais, avait dans sa bouche la portée d’un sage:

« la voiture, elle devrait être réservée aux [personnes] handicapé[e]s! Il y a un parking plus bas et pourtant tout le monde emprunte le chemin forestier en voiture jusqu’ici, alors que c’est interdit. »

Lire aussi :  Le vélo dans un monde post-pétrole

« Tu l’as dit Bouffi! » (dans ma tête seulement, et amicalement bien sûr)

La transpiration ruisselant sous le soleil sur ma peau écorchée, je ne me fis pas prier pour me jeter à l’eau.

Une fraîcheur apaisante et revigorante traversa les écorces de mon cerveau.

Tout en nageant en compagnie d’un ami, je contemplais et me réconciliais avec mes frères et sœurs humain(e)s jouissant de ce simple plaisir que procure l’eau fraiche au corps harassé par la chaleur.

Durant la traversée du lac, nous longions la rive qui me rassurait autant que mon amis car bien qu’à l’aise, je flotte tout juste.

Là nous esquivons un hameçons ploufant à quelques centimètres de nos naseaux.

Mon ami, au pêcheur supposé maladroit:
« bonjour monsieur, attention nous passons par là, merci. »

Sa réponse moins courtoise:
« Cassez vous de là, vous n’avez rien à foutre ici, il y est interdit de nager, et MOI j’ai payé pour pêcher! Dégagez! »
« oui oui , bien sûr » répondit-on,
« Ouais c’est ça, fouttez vous de ma gueule ».

En même temps c’est tout ce que l’on pouvait faire en regagnant pacifiquement la rive.

Là heureusement, nous avions le soutient des sexagénaires conquises à notre idée de baignade.

Leurs maris n’étaient pas jaloux et tandis qu’elles contemplaient nos bustes évaporant au soleil, ils se délectaient à l’idée de casser la gueule de ce « con de pêcheur écolo soixante huitard » (parce qu’il avait les cheveux longs et grisonnant, je suppose).

« MOI, j’ai payé! » et aurait-il put déclarer :

« par le sentiment (légitime) de propriété que me confèrent les quelques euros déboursés, je suis sur mon territoire autorisé de fait, à te menacer de:

-t’arracher la gueule à coup de hameçon
-te broyer sous le pare-buffle de mon 4×4
et consubstantiellement disposé à t’insulter »

Car c’est de notoriété publique (ostensiblement depuis l’avènement de sieur Sarkozy mais de facto depuis longtemps… ), qui paie a Le Droit et qui ne paie pas n’a pas même le droit au respect.

Le code de la route est un mauvais jeu de société.

Ce n’est pas un hasard si les automobilistes gagnent toujours.

Ils peuvent écraser les piétons et les vélos sans passer par la case « prison ».

En tout cas, c’est bien un jeu capitaliste.

Yôm

9 commentaires sur “Le code de la route est un mauvais jeu de société

  1. xtoflyon5

    Une lecture agréable, qui fleure bon le quotidien… de bon nombre des lecteurs d’ici j’imagine.

    Merci pour la métaphore du mauvais jeu de société. Ca fait plusieurs mois que je cherche comment expliquer pourquoi je ne veux pas jouer à ce jeu et n’en respecte pas les règles à vélo, sans me heurter à une réaction épidermique, recevoir une pluie de remontrances et finir avec l’argument massue de l’annecdote de grand-mère sur la fois ou untel s’est pris un vélo roulant sur un trottoir !

    J’ai donc la solution pour ne plus m’énerver en retour (« 4000 morts par an, bordel ! »)… je ne joue pas a ce jeu de société, point barre !

  2. LécoLomobiLe

    On devrait faire une galerie morbide de la faune écrasée sur Carfree à laquelle tout-le-monde pourrait envoyer ses clichés (écureuils, renards, chats, chiens serpents, crapauds…)

  3. joshuadu34

    entièrement d’accord pour la suppression du code de la route, mais non, pour la limitation de la vitesse sur la route ! Cons comme ils sont, laissons les prendre leur cerceuil pour, joyeusement, les voir s’encastrer à près de 200 à l’heure les uns dans les autres ! Laissons les s’exploser la tronche en bas de ce virage montagnard pris « un peu trop vite », laissons les casser leurs jouets destructeurs dans la cloture d’un autre con éppris de vitesse ! Nul doute que le carnage sera rapide, l’égoïsme déculpabilisé dont ils font preuve étant largement répandu ! Et, une fois ces abrutis rayés de la carte routière, où seulement transportés par leur petit fauteuil roulant non motorisé, puisque tel semble être leur désir le plus profond, nous pourrons enfin profiter, après avoir balayé les restes de leurs égo, du monde !

  4. Yôm

    @xtoflyon5
    Content que cela te soit utile et agréable!
    Cette histoire de jeu est une métaphore parmis d’autres possibles au regard de l’organisation de nos sociétés capitalistes.
    Je me suis souvent demandé quel type de comportements les jeux de « société » entrainent?
    Par essence, ils ont pour but de générer de façon ludique les comportments adéquats, d’ancrer des automatismes.
    Depuis l’école primaire, la compétition est la règle.
    Au travail ensuite, et sur la route entre temps, chaqun recouvre la possibilité d’être un « winner ».
    Si la priorité était le respect et la protection de la vie humaine (et animale), aucun véhicule de plus d’une centaine de Kg ne serait autorisé à franchir les 30Km/h.
    La priorité est de laisser croire chacun qu’il a toujours une chance d’être le meilleur, le plus riche, le plus fort, le dieu, le roi ou le connard de président UMP.
    Se déplacer à plus de 100Km/h, c’est déjà surnaturel.
    Avoir la plus grosse et aller le plus vite, c’est se comparer à dieu.
    « Dieu est tout puissant ».
    Se déplacer en automobile est un jeu mais aussi une prière adressée à ce dieu puissant dominant ses sujets.
    Qui respecte la hiérarchie, adule ses maitres et prie pour une entité supérieure ne peux que mépriser ceux qu’il juge inférieurs.
    Je hais la religion, je hais le capitalisme, je hais l’automobile.

  5. xtoflyon5

    @Yôm : point de vue assez intéressant. As-tu d’autres articles ou réflexions en ligne, que je continue à suivre ta pensée ?

  6. Gari

    Yôm a dit : « Qui respecte la hiérarchie, adule ses maitres et prie pour une entité supérieure ne peux que mépriser ceux qu’il juge inférieurs. »

    Intéressante réflexion sur laquelle je vais réfléchir tranquillement (n’étant pas pressé :p) dans les jours qui viennent.

    Yôm a dit : « Se déplacer à plus de 100Km/h, c’est déjà surnaturel. »

    Tout à fait d’accord. A l’époque où j’étais automobiliste et motard, je roulais à des vitesses qui me vaudraient une bordée d’injures de la part de la plupart des visiteurs de ce site. Depuis que j’ai fais quelque peu changé ma façon de voir les choses, je me dis que dépasser le 60km/h est déjà quelque chose d’extraordinaire… Ca permet de grandement relativiser ; les gens sont tellement habitué à pouvoir rouler vite (très vite) qu’ils prennent cette habitude pour un droit (alors que les conséquences de cette vitesse sont complètement négatives, que ce soit en terme de pollution, de consommation de ressource ou d’accidents).
    Considérer qu’aller à plus de 60km/h est « surnaturel » permet de réapprendre la lenteur et d’apprécier à sa juste valeur un trajet en train qui file à la vitesse incroyable de 80km/h 🙂

  7. LEGEOGRAPHE

    J’ai fait deux passages au Togo (en Afrique) et la vétusté des véhicules les amène à garder ce rituel de la prière de façon bien consciente. Je voyais mes amis togolais égrener le chapelet. J’ai compris bien plus tard tout ce que cela signifiait : la machine nous dépossède de nos existences.

    J’aime assez l’idée que celui qui paie a « le droit » et que celui qui ne paie n’a pas « le droit », c’est assez vrai depuis bien longtemps et c’est encore plus moche de voir que tout le monde le répète à l’envi dès qu’il a le peu de moyens nécessaires…

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