Comment le vélo a changé la forme des villes

Ça commence tout doucement. Le vélo est un moyen de transport alternatif, dans le sens de minoritaire. A peine 5% des transports urbains. Les cyclistes, qui en ont marre d’être vulnérables et pour ne pas se faire doubler à moins du mètre réglementaire (en ces temps-là les vélos étaient sur certains points protégés par l’archaïque code de la route… dans les mots tout au moins), se mettent à rouler au milieu de la voie, ralentissant ainsi la vitesse des voitures.

C’est aussi un moyen de revendiquer sa place dans la ville. Les usagers du vélo, prenant goût à ce moyen de transport non polluant dont ils ont ainsi diminué la dangerosité, se mettent à l’utiliser « à tort et à travers » (comme on disait à l’époque), c’est-à-dire en y adjoignant des carrioles et appendices divers pour y transporter gamins, menus outils d’artisan et courses de la biocoop. Les automobilistes n’apprécient pas : même dans des rues larges on ne peut plus doubler.

D’autant plus que le plaisir de rouler à vélo se diffuse et on ne peut plus parler de moyen de transport marginal. La vitesse des voitures se réduit considérablement, car dans chaque rue maintenant on trouve un vélo harnaché qui empêche tout dépassement. Les pouvoirs publics, à la fois pour encourager le renouveau du vélo et pour le suivre, abolissent le code de la route et édictent un nouveau « code de la rue » qui donne la priorité aux piétons sur les cyclistes et des cyclistes sur les automobilistes. Il faut maintenant céder la priorité au plus vulnérable.

Au bout d’un moment, les quelques automobilistes qu’il reste se rendent à l’évidence : pas la peine de payer cinq cents euros par mois pour aller moins vite qu’un vélo. En peu de temps le vélo devient moyen de transport dominant (il reste tout de même la marche à pied) et il n’y a plus que de rares véhicules à moteur dans les rues. Monsieur le maire continue à revendiquer sa voiture de fonction, mais comme elle se fait régulièrement dégonfler les pneus, celui-ci renonce et l’on ne trouve plus que des camions de livraisons venus de la gare où les marchandises ont débarqué le matin, des ambulances, des camions de pompiers et des particuliers en train de déménager. Les rues sont tranquilles et les riverains ouvrent leur fenêtre et installent une chaise dans la rue les soirs d’été. Si la voiture reste, pour des usages bien particuliers, la société automobile a vécu. Vive la vélorution !

La moyenne bourgeoisie des banlieues pavillonnaires abandonne ses deux voitures par foyer et revient lentement vers le centre des villes. Les habitants des banlieues pauvres, maintenant libérés du fardeau que constituait la voiture sur leur budget, sont allés vivre dans des villes moyennes, qui, comme les anciennes grandes villes amputées de leurs banlieues, ne dépassent pas cent mille habitants. Tous et toutes vivent désormais dans un centre-ville dense, où rien n’est plus distant que de trois kilomètres maximum et qui est donc entièrement praticable à vélo. Ces villes connaissent un nouvel essor culturel et urbain, et certaines d’entre elles se rebaptisent Illichville, en l’honneur du penseur de la convivialité et du dessinateur Ken Avidor qui a contribué à la popularisation de ses idées appliquées à l’urbanisme.

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Avant la vélorution, on s’ennuyait pas mal dans des villes de cent mille habitants. Des bars PMU qui fermaient à 22h, un multiplexe en périphérie qui passait des blockbusters américains, la vie n’y était pas bien folichonne. Mais la disparition de la société automobile s’est accompagnée de la disparition de la société de production-consommation. En effet l’écroulement de la demande d’automobiles a constitué un sacré coup pour l’industrie, rentrée dans une phase de décroissance non choisie.

Cette « catastrophe », selon les critères de l’époque, a donné l’occasion de rebondir : la richesse sociale a permis une réduction drastique du temps de travail, et l’établissement d’un revenu garanti décent (appelé « revenu d’autonomie »). Grâce à l’intelligence d’une société qui a accepté sa mutation, la crise économique ne s’est pas muée en crise sociale. Ceux et celles qui veulent toujours de l’argent pour se payer des caprices, et ils sont plus nombreux/ses que ce qu’on aurait imaginé, ne travaillent plus que vingt heures par semaine, tandis que les autres vivent plus chichement (mais ça coûte pas trop cher, un vélo) sur un revenu d’autonomie. Les petits salaires ont été revalorisés devant la pénurie (relative) de main d’œuvre.

Libérés du travail, les gens sortent plus le soir, sont plus actifs dans les associations. Des troupes de théâtre amateur créent des spectacles qu’ils montrent gratuitement, des groupes de musique se forment (mon oncle avait toujours rêvé d’apprendre la guitare), les salles de cinéma passent le patrimoine cinématographique (libéré de droits) auparavant réservé à la case minuit sur les chaînes de télé aujourd’hui disparues, les apéros d’immeuble se multiplient, les gens redécouvrent le plaisir de cuisiner et d’inviter amis et voisins. Les villes de cent mille habitants fourmillent de vie, au contraire de villes plus grandes qui étaient auparavant léthargiques.

Ces nouvelles moyennes villes sont denses, et on s’est demandé si les espaces verts y avaient leur place. Alice, du fanzine Désurbanisme, les voyait plutôt au milieu de l’espace urbain, en îlots au milieu des blocs d’immeubles, surprises au détour d’une rue. Ken Avidor les imaginait plutôt en couronnes concentriques autour de l’espace urbain. D’abord les espaces verts d’agrément, ensuite les potagers, plus loin les champs. Les deux solutions ont été adoptées selon les villes, et les deux types d’espace sont également agréables à vivre. Les villes, qui sont harmonieusement réparties dans l’espace, sont reliées l’une à l’autre par des trains à vitesse modérée, mais nous les utilisons avec modération, ayant préféré en nous débarrassant de la voiture relocaliser l’économie.

Finalement de petites causes ont eu de grands effets et nous sommes loin de regretter le temps d’avant la vélorution. Il s’est passé tellement de choses, je ne sais pas par où commencer, aussi vais-je laisser mes amis chichons vous raconter thème après thème tous ces changements qui ont eu lieu dans notre vie.

6 commentaires sur “Comment le vélo a changé la forme des villes

  1. Guillaume

    Rhah… c’est dur de nous faire miroiter un beau futur comme ça alors que demain je vais me réveiller dans un monde plein d’inconscients toujours plus enfermés dans leurs voitures et leurs certitudes fragiles.
    J’aurais pu l’écrire ce texte (en certainement beaucoup moins bien écrit), merci pour le moment de rêve !

  2. Pim

    Je sais pas vous, mais ce texte me laisse rêveur. Je vais passer un bon WE!
    Par contre, pour être réaliste, j’ai l’impression qu’on va (enfin qu’on continue d’aller) complètement dans le sens inverse …

  3. Gari

    Joli rêve, dont je tire une conclusion : Mettez une carriole à votre vélo, même si vous n’en avez pas l’usage !!

  4. lapinmalin

    « Vous devez être le changement que vous voulez voir dans ce monde » Gandhy

  5. gilles

    Joli moment de rêve…
    Pour ce qui est du mètre réglementaire, le collectif pour l’essor du vélo à Toulon propose à ses élus d’innover en créant sur une zone de test la « matérialisation de la distance de sécurité ».
    Cela fonctionnerait comme un écran protecteur si un cycliste est présent la voiture passe au large. Les investissements seraient des plus réduits.
    Voir la photo fiction au milieu du compte rendu illustré d’une réunion qui avait lieu en juin dernier suivre ce lien.(ou copier coller ds votre navigateur)

    Vos avis et commentaires sur le site lui même seront les biens venus.
    Bravo à Carfree qui reste mon site de chevet.

    Gilles

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