Brasília, l’inhumanité du tout auto

Coeur de Brasilia

Beaucoup de lecteurs du site Carfree rêvent de vivre, de pédaler quotidiennement dans une cité Carfree, ou, tout du moins dans une cité comme Copenhague. Moi aussi. Cependant le destin en a voulu autrement pendant les sept mois que nous avons vécu au Brésil… Les Brésiliens, ainsi que les habitants de cette ville, vous diront qu’il ne s’agit nullement du Brésil… mais de Brasília.

Brasília, centre administratif du pays, construite de toute pièce, en 1000 jours, au milieu de nulle part, suivant le modèle futuriste américain des années 60. Modèle futuriste du rêve américain… années 60… vous l’aurez compris, c’était l’accélération du développement de l’automobile, l’époque des infrastructures routières démesurées et des projets les plus fous pour le système routier des grandes villes… La reine en place édicte ses mesures de conquêtes urbaines.

En France, les centres-villes historiques et les constructions existantes firent office de garde-fou, nous avons globalement échappé au pire. Les autoroutes aériennes ou souterraines furent limitées, mais sur cet autre continent dans ce gigantesque pays vide, la place ne manquait pas pour un projet sans mesure, symbole de la croissance, de la modernité et de l’air capitaliste.

Les fondateurs pensaient mettre en place un symbole de la mixité des peuples, un lieu convivial, agréable et socialement équitable, mais cinquante ans se sont écoulés et cette belle utopie humaine n’a jamais vu le jour, elle s’est transformée en temple de consommation et en flux d’automobiles.

D’autres revers émanent aujourd’hui de cette utopie : ségrégations sociales, augmentation des écarts de revenus, sur-sécurité, individualisme, déstructuration des groupes sociaux traditionnels (famille, amis, religion, loisirs, associations…), augmentation de l’importance des sectes…

Artère principale de Brasilia

Planifier pour 300 000 habitants, la perspective d’avion, d’aigle ou de flèche que forme la ville vue du ciel, correspond aux deux axes principaux qui se croisent en son centre : l’eixo monumental et l’eixo rodoviário. Le cœur de la ville, ce fabuleux croisement dans lequel est imbriqué la gare routière, est presque infranchissable à pied car chacun de ces axes fait plus de 300 mètres de large et comprend pas loin de 12 voies chacun !

Les artères de la ville ne sont qu’autoroutes plus ou moins démesurées, et le sang qui y circule, symbole de la croissance et de la réussite, tue la vie. Quelle sensation étrange, seul, à pied, à vélo, seul humain au milieu de ces flux de machines qui ne répondent à aucun de mes hurlements. Pas de vie dans cette ville trop récente, mais surtout étrangement asphyxiée par d’interminables espaces ouverts : du goudron évidemment, mais aussi des espaces verts, verts mais déserts.

Ces artères mortes, ces barrières infranchissables, ces carapaces métalliques et cette vitesse, en plus d’interdire le passage, interdisent les sourires, les regards, les paroles, les échanges qui nous font humain ; ils diluent les habitants, supprimant l’âme de la ville. Cette capitale, sans lieux de rencontres spontanées, ne paraît pas conçue pour nous les hommes, car seuls des vrombissements de moteurs résonnent dans d’interminables espaces morts.

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Flâner, une action inexistante dans cet urbanisme hors du temps, la marche est lassante, voire stressante et angoissante car dans cette nouvelle capitale irréelle et sans histoire, tout semble identique, non différencié… sorti d’un long métrage tel Bienvenue à GATTACA.

Un seul type d’habitat pour 300 000 habitants était prévu à l’origine ! Un habitat inspiré de Jussieu, des immeubles impersonnels de quatre étages sans rez-de-chaussée.

Toutes les quadras – quartier d’habitations de 400 mètres de côté – sont conçues elles aussi à l’identique, un branchage sinueux (pour éviter les angles qui ralentissent les voitures) de goudron se terminant par un nombre incalculable de cul-de-sacs, quitte l’autoroute pour se rendre aux parkings des immeubles. Une rue marchande borde chaque quadra, difficile de les reconnaître entre elles, elles sont toutes jumelles et seules les enseignes changent. Une sensation de tourner en rond s’en dégage. Mais heureusement lorsque l’on se trouve perdu au milieu de cette similitude, un système logique de lettres et de chiffres nous guide : SQS 404 Bloco R 305, bienvenue à la maison.

Parfois, dans ce monde de blocs et de secteurs : secteurs des hôtels et des banques, secteur commercial, secteur des loisirs… dans ce monde utopique, ordonné, chiffré et rangé… dans ce monde uniquement fonctionnel où l’humain n’a pas trouvé sa place… dans ce monde utopique rongé d’espaces vides… parfois dans ce monde-là, dans Brasilia, l’esprit errant s’imagine non pas un dieu mais un architecte Oscar Niemeyer ou un urbaniste Lúcio Costa observant leur œuvre, et ce petit homme au beau milieu de cette maquette c’est toi, un homme transformé en pion dans cette cité aseptisée et excessivement bien conçue pour ces machines têtes de proue du capitalisme.

Nous avons vécu notre mini vélorution, là où, contrairement au reste du Brésil, la place du vélo est inexistante, la petite reine fut bannie de Brasilia par l’impératrice. Une mini vélorution quotidienne pour montrer que le vélo, même dans cette ville d’autoroutes, est un moyen de déplacement humain, valable et efficace.

Une publicité pour un collège !
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A l’image de Brasilla,
à l’image de l’éducation,
à l’image de la consommation,
à l’image de la place sociale de la voiture,

Une autre vision de Brasília par un ami qui a traversé le pays à pieds

4 commentaires sur “Brasília, l’inhumanité du tout auto

  1. free transit

    What beautiful writing about ugliness. Now you know what we suffer every day in the U.S.

  2. Legeographe

    Free Transit, I was living for 1 year in North America (but in Montreal, QC, Canada) and I felt a strong dichotomy between the pleasure of riding a bike in such wide spaces and the nightmare of using wide gray major roads in driving cars behind cars…

  3. vincent

    belle écriture Eloi! Malheureusement d’autres villes ont suivi le modèle de Brasilia. La voiture reste un rêve de gamin pour la majorité des personnes et un cauchemar pour ceux qui voient la réalité des pollutions qui en résultent.

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