La bagnole affame les peuples

C’était en 2008. Les « émeutes de la faim » éclataient dans le monde entier : Haïti, Bangladesh, Burkina Faso, Cameroun, Côte d’Ivoire, Sénégal, Somalie, Egypte… Mais aussi en Guyane, en Guadeloupe puis en Martinique en 2009. Car, contrairement à la présentation médiatique, ces émeutes abusivement qualifiées « de la faim » n’étaient pas menées par des peuples miséreux, affamés, lointains dans leur tiers monde. Il s’agissait de révoltes contre la hausse des prix, notamment alimentaires, de protestations contre la vie chère qui, présentées ainsi, auraient pu trouver un écho en Europe (1)…

Et voilà que le spectre resurgit. Début septembre, les Mozambicains se soulèvent contre la hausse du prix du pain. Manifestations, quartiers qui s’embrasent, affrontements violents contre le pouvoir et sa police… Treize morts plus tard, le gouvernement renonce à l’augmentation du pain.

Cet été, les cours mondiaux des céréales flambent de nouveau. Et les gardiens de l’ordre mondial tremblent. Est ce qu’une explosion de rage comparable à 2008 peut éclater ? Selon les commentateurs officiels, la hausse des prix des denrées alimentaires s’explique par la canicule et les incendies qui ont frappé la Russie. Les récoltes sont pas terribles, et du coup l’Ukraine et la Russie n’exporteront pas. C’est pas de chance hein, ces aléas tout à fait naturels ?

L’Union européenne et les Etats-Unis assassinent

Sauf que la pénurie n’a rien du hasard. Elle est organisée. Planifiée. Parce que ce qui compte, ce n’est pas le bide de la plèbe, mais le réservoir de nos bagnoles. Hors des frontières de l’opulence, aucune importance.

C’est ce que montre une multitude de rapports. Dont « A note on rising food prices », une étude menée par un employé de la Banque mondiale (dont les propos n’engagent que l’auteur, précise la vénérable institution) (2). Ce texte, sorti en juillet 2008 (pas de chance, les bavards de la société du spectacle se masturbaient tous sur les Jeux Olympiques de Pékin), cherche les facteurs qui ont conduit à la hausse des prix de l’alimentation depuis 2002. La conclusion est sans appel : c’est la production croissante d’agrocarburants.

Les coupables sont clairement désignés : Union européenne et Etats-Unis (et leurs hordes d’automobilistes). La première a pris une directive en 2001 pour développer la culture de colza et dans une moindre mesure de tournesol, au détriment du blé. Entre 2001 et 2007, la production d’agrocarburants a été multipliée par plus de six. Les huit plus grands pays exportateurs de blé ont augmenté la surface agricole destinée au tournesol et au colza de 36 %, quand la surface consacrée au blé a diminué de 1 %. Suite à l’effondrement des stocks (les réserves de blé ont chuté de moitié), des pays ont restreint leurs exportations agricoles (notamment le riz en Inde). Les prix ont logiquement explosé.

Lire aussi :  La mobilité européenne en 2050 : au service du Marché, pas des citoyens

Aux Etats-Unis, la législation favorisant le « biodiesel » a pris effet en 2005 : la production a été multipliée par 15 entre 2005 et 2007 ! Les agrocarburants à base de soja et de maïs ont conduit à une envolée des prix. D’autant plus que la raréfaction des stocks alimentaires provoquée par les agrocarburants a stimulé la spéculation débridée.

Résultat : l’index du FMI sur les prix de l’alimentation a augmenté de 130 % de janvier 2002 à juin 2008, et de 56 % sur la seule période janvier 2007 – juin 2008. Entre janvier 2005 et juin 2008, le prix du maïs a presque triplé, le blé a augmenté de 127 % et le riz de 170 %, quand l’huile de palme augmentait de 200 % et l’huile de soja de 192 %.

Pour Donald Mitchell, les agrocarburants sont responsables à 70-75 % de cette brusque montée des prix de l’alimentation. Le reste étant dû à la hausse du prix de l’énergie, et avant tout du pétrole, qui a engendré une augmentation des coûts de transports et de production (l’agriculture intensive étant très dépendante de l’or noir).

La bagnole, qui après avoir raréfié les stocks de pétrole demande des agrocarburants pour avancer, est donc directement responsable de la flambée des prix alimentaires. Le combat contre l’étron à quatre roues n’est rien d’autre qu’un combat pour la survie prolongée de l’humanité. Les carrosses des privilégiés n’ont pas fini de cramer.

Source: http://pedaleurop.over-blog.com/

(1) Alain Bertho, Le temps des émeutes, Bayard, 2009.
(2) Donald Mitchell, « A note on rising food prices », Banque mondiale, juillet 2008.

2 commentaires sur “La bagnole affame les peuples

  1. joshuadu34

    le problème va bien au delà du problème d’agro-carburants… En fait, même, les agro-carburants ne sont, dans l’augmentation phénoménale du prix des matières premières (+ 25% pour le seul mois de septembre), qu’une excuse permettant une spéculation boursière… En fait, ceux qui, hier, mettaient leurs billes boursières dans le crédit immobilier mettent, aujourd’hui, autant d’antraint à faire gonfler la bulle spéculative qu’ils ont mis en place dans le secteur alimentaire !

    Ainsi, et sans aucune réelle raison, la catastrophique saison Russe a permis à nos spéculateurs de faire leurs profits en pariant sur une hausse du prix des matières premières alimentaires, provoquant, par là même, et alors que tout prouve qu’en fait les stocks mondiaux permettent que cette saison n’ai pas d’influence sur les cours, la dite augmentation !

    Mieux, la demande en agro-carburant est provoquée par la spéculation boursière, artificiellement, dans un seul but : le profit !

    Mais, comme toute bulle financière, l’explosion est à attendre ! Après avoir mis à la rue des centaines de milliers de personnes lors de leur jeu sur l’immobilier rien qu’en occident (et les conséquences étaient plus que prévisibles, et d’ailleurs prévues depuis longtemps…), après avoir plongé un pays entier dans un marasme économique (le Japon et l’explosion de la bulle asiatique), voilà le nouveau terrain de jeu rentable des bourses : le blé, le soja, le riz, le maïs et toutes les matières premières alimentaires, qu’elles servent à l’alimentation où, bien plus rentable encore, donc poussées à l’extrème, à se substituer aux carburants.

    Mais ceux qui sont touchés ne sont pas que les pays pauvres, ce billet le remarque avec justesse ! Et les preuves du peu de cas que font ceux qui sont responsables, dans un but d’enrichissement égocentrique, de ces augmentations sont présentes partout ! Elles sont aussi visibles en métropole ! Et le cinéma grand guignolesque de ceux qui prétendent défendre les agriculteurs et les producteurs laitiers français cache, en fait, la réalité financière de ce problème qui est bien proche de ce que vivent les plus pauvres ! La seule différence étant que, pour nous, occidentaux, quand l’alimentation augmente, il devient plus difficile de boucler ses fins de mois, mais, pour les plus pauvres, ça devient carrément impossible ! Ainsi, au Mozambique, dont tu parles ici, le prix de 25 kilos de blé est passé de 35 euros à 42 euros ce mois ci, en sachant que le revenu moyen, là bas, tourne à moins de 40 euros et que 25 kilos de blé, c’est la ration moyenne (en équivalent) nécessaire pour se nourrir… 70 % de la population était dans une grande misère, ces 70 %, représentant des millions de personnes, sont condamnés à mort par le jeu des bourses, et ce n’est QUE l’exemple du Mozambique !!!

    Encore une nouvelle preuve, s’il en fallait encore une, du fonctionnement du monde que nous acceptons ! Mais ces preuves, pour ceux qui les contestent encore, commencent à rejaillir sur nous, et leur multiplication créera forcément une poussée de violence, de la vraie violence, et pas de celle qu’ils nous accusent de porter quand nous prétendons qu’il est nécessaire de changer ce monde devenu fou !

  2. Moa

    joshuadu34 : « voilà le nouveau terrain de jeu rentable des bourses : le blé, le soja, le riz, le maïs et toutes les matières premières alimentaires, qu’elles servent à l’alimentation où, bien plus rentable encore, donc poussées à l’extrème, à se substituer aux carburants. »

    La rubrique économique d’une radio généraliste en parlait ce matin même… en des termes plutôt neutres mais où l’on pouvait néanmoins distinguer un certain parti pris dénoncant cette aberration honteuse.

    Toujours ça de rentrer (juste de passage?) dans le cerveau de nos concitoyens.

    En prévision de la pénurie alimentaire qui ne manquera pas d’arriver y compris dans les pays industriliasés, l’Arabie Saoudite, l’Inde, la Corée du Sud (daewoo) & co achètent (ou tentent d’acheter) aux gouvernants corrompus de pays pauvres (Ethiopie, Madagascar,..) des millions d’hectares de terres arables ; privant ainsi les populations autochotnones de les cultiver.
    Ce leur permettra de nourrir leur propre population et de vendre ensuite les excédents si excédent il y a.

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