Tropique du Cancer – Cancer sous les Tropiques

clemenceau

Histoire brève d’un Négationnisme en matière de Santé (3e partie)

Du Négationnisme au Néo Négationnisme

Toutes les pistes sont retenues, savamment étudiées et mises à profit dans « la lutte contre le cancer ». Indispensable dans cette bataille, le « Négationnisme » doit continuer mais par d’autres moyens. Au Négationnisme rétrograde, idéologique, archaïque, piteux et honteux du passé, il faut lui substituer un Négationnisme innovant, décomplexé et évolutif. Pour assurer le moral des troupes, il faut donc désormais se montrer capable d’organiser un Néo-Négationnisme « en temps réel » véritablement professionnel, mobilisant toutes les compétences, médiatiques politiques et scientifiques. Dans le devenir poubelle de la planète s’impose un Néo-Négationnisme de fête perpétuelle, entièrement tourné vers un futur toujours radieux. Il ne s’agit donc plus de nier des faits anciens mais d’organiser une marche de plus en plus joyeuse vers « Le Meilleur des Mondes ». Les chemins professionnalisés du Néo-Négationnisme.

Diluer le cancer dans le travail

En terme statistique c’est une piste intéressante et surtout très efficace pour la solidarité nationale.

Contrairement à ses illustres prédécesseurs historiques, maîtres d’esclaves de l’antiquité ou aristocrates du Moyen-Age et de l’Ancien Régime, qui tous se seraient sentis profondément insultés si l’on avait assimilé l’exercice du pouvoir à un travail, le technocrate du monde moderne, lui, met un point d’honneur à se dire « travailleur » (1).

Alors dans la grande famille unie et solidaire des travailleurs, le camarade travailleur président, le camarade travailleur ministre, le camarade travailleur sénateur, le camarade travailleur député, (…) le camarade travailleur PDG, le camarade travailleur ingénieur peuvent se permettre sans mauvaise conscience, d’exhorter de leur bureau feutré leur camarade travailleur ouvrier dans son atmosphère enfumée à « travailler plus pour gagner plus ». Autant de travailleurs exemplaires « stakhanovistes du PC », « bourreaux » de travail au bureau et de surcroît flamboyant de santé pour un seul travailleur ouvrier menacé de cancer à un terme incertain ; il n’y a vraiment pas de quoi s’alarmer inutilement, ou « en faire une maladie » (2)

Mais indépendamment de la comptabilisation de l’exercice du pouvoir comme un travail, le gros des « travaux insalubres » et cancérigènes est déjà largement délocalisé dans les « ateliers du mondes » à l’autre bout du monde…

Dans le bidouillage des chiffres les épidémiologistes se mobilisent

Les académiciens des sciences médicales ne veulent pas rester à la traîne de ce combat national pour « faire chuter les chiffres du cancer ». Ils se sont mobilisés pour rassurer la population. Pour les sommités de la science l’augmentation du nombre de cancers n’est qu’une fiction, purement conjoncturelle, elle est liée au changement récent de la « machine » à détecter le cancer. Plus performante, elle les a multipliés artificiellement.

Comme lors du passage à l’euro, pour la négation de l’augmentation du coût de la vie, l’état major mobilise de la même façon les sommités de la science pour des bidouillages épidémiologiques au service d’un « NéoNégationisme », celui du Plan National de la Lutte Statistique Contre le Cancer. Après le coût de la vie, le chômage et la précarité, la guerre des chiffres s’attaque maintenant au cancer (3).

Le texte commis par les académiciens est difficile à lire, non pas parce qu’il est complexe mais parce qu’il est ennuyeux au possible pour ne pas en dire plus. Une litanie de chiffres, de pourcentages, de courbes et de tableaux pour noyer les poissons pollués, « dioxinés », poison cancérigène notoire… Mais il est un endroit où les académiciens se font prendre innocemment la main dans le sac, comme des brigands ayant mal préparé leur coup. Là où même un lecteur non expert en épidémiologie du cancer peut les prendre en flagrant délit de malhonnêteté intellectuelle, en flagrant délit de « Négationnisme », c’est lorsqu’ils attribuent les cancers liés au tabac et à l’obésité à des facteurs de « comportement individuel ». Alors que dans ces deux cas, sont impliquées des multinationales parmi les plus puissantes au monde : l’industrie du tabac et l’industrie agroalimentaire à laquelle on peut associer l’industrie des pesticides (l’une ne va pas sans l’autre). Ces industries ont en plus des complicités au plus haut niveau des États et institutions internationales et ces derniers en dépendent financièrement. La « Mal bouffe » fait vivre les « fast-food » et toute la machinerie agro-alimentaire internationale. L’univers créé par les multinationales s’est imposé comme le véritable et exclusif « environnement » des populations au niveau mondial…

L’intitulé de la première page de leur rapport est pompeusement impressionnant : « Les Causes du Cancer en France » « nouvelles données scientifiques » de l’académie nationale de médecine, l’académie des sciences, institut de France, centre international de recherche sur le cancer (OMS – Lyon), la fédération nationale des centres de lutte contre le cancer avec le concours de l’institut national du cancer et de l’institut national de veille sanitaire » (4) ; une véritable « association de bienfaiteurs ». Il n’y a aucun doute, c’est l’élite scientifique nationale et internationale qui parle aux Français.

Subvention ostentatoire pour apaiser la divinité PazacéPazacé

Les grands pontes respectés de la cancérologie, experts mondialement reconnus bardés de toutes leur décorations universitaires montent aussi au créneau et crient PazacéPazacé. L’état major lâche quelques subventions au plus « méritant », de quoi apaiser les inquiétudes des médecins et remettre les scientifiques au travail. Les recherches avancent à grand pas, les mécanismes cellulaires de la cancérogenèse sont de mieux en mieux cernés, de mieux en mieux compris et les nanologistes s’attaquent déjà aux mécanismes moléculaires, bientôt les mécanismes particulaires seront en chantiers. En attendant, Mélanie trente ans les deux nibards au baquet passe à nouveau sur le billard pour une « méta » au cervelet. Les médecins sont inquiets, ils réservent leur pronostic. Mais les « nanologistes » sont optimistes, la recherche avance, les nouvelles « nanochimiothérapies » sont pour bientôt, leur foi dans Le Progrès vient d’être réanimée par l’injection de monnaie dans la « Machine à chercher ». Mélanie émet son dernier souffle en réanimation, son espérance de vie de « 80 balais », promesse du Développement, sans cesse « rabâchée », s’envole avec elle vers des cieux plus cléments.

La piste publicitaire n’est pas en reste

« Vous avez un cancer n’en faites pas une maladie ! » Une part substantielle des budgets alloué à la « lutte contre le cancer » passe dans les mains expertes des publicitaires.  Incontestablement ces derniers apparaissent plus compétents que les académiciens dans la prise en charge du « Néo-Négationnisme ».

La guerre contre le cancer est prévue pour durer, elle se transforme en guerre de tranchées et de communiqués, peut-être une guerre perpétuelle et les renforts incertains se font toujours attendre. Les « avancées de la science » promises et claironnées régulièrement comme déterminantes tardent à arriver, il faut donc dans la durée assurer le moral des troupes.

Si les médecins bataillent toujours avec acharnement pour obtenir une victoire et transformer le pronostic vital du cancer, les publicitaires eux peuvent en transformer radicalement l’image.

En attendant des victoires significatives dans le monde réel, des cérémonies aux « héros ordinaires » inconnues (5) sont organisées dans le monde publicitaire.

« Changer l’image du cancer », « Le Pavillon des Cancéreux » (6) ne portera plus le « n° 13 » et sera interdit (de lecture) aux cancéreux. Censuré aux cancéreux on lui substituera le traitement marketing du cancer qui lui, comme tous les traitements marketing ne comporte que des « numéros gagnants ». Mais encore une fois, l’ouverture d’un front de la communication en dit long sur la gravité de la situation…

Les bénéfices potentiels du sacrifice de l’Amiante

Pour sauver la chimie organique aux milles et une potentialités innovantes non encore explorées, sur l’autel de la divinité PazacéPazacé, on immole la chimie minérale. Pour épargner les pesticides, piliers incontestables de la « Richesse des multi-Nation-nales » on accepte enfin, mais trop tard le sacrifice de l’amiante. Mais l’état major économique de la croissance n’a pas « perdu la boule », il crée, par là même, le  marché juteux du « désamiantage ». Un nouvel axe très profitable pour la spéculation immobilière, s’impose dans le paysage sanitaire avec ses potentialités politiques insoupçonnées. Un quartier populaire suspect, sera déclaré « amianté » et démoli dans la foulée ; un quartier d’affaires aux normes « Écola 2000 » sera reconstruit. Une friche industrielle envahie d’une flore et d’une faune hétéroclites, déclarée « amiantée » sera démantelée, un magnifique « Technologic-Center » aux normes « Nikola 2000 » sera érigé. Une gare désaffectée, repère notoire de brigands, désamiantée et réhabilitée deviendra un « Avangardic-Artistic-Center » aux normes « Artcom 2000 ». De vieilles prisons déclarées vétustes, insalubres ou encore mieux « amiantées » seront l’occasion d’un grand « plan de modernisation du parc pénitentiaire » aux normes « Sécurita 2000 ». C’est ainsi que les hommes vivent, en toutes circonstances, « la lutte contre le cancer » doit se montrer profitable aux affaires…

Lire aussi :  Vinci, bétonneur mondial, est partout

Le Cancer engraisse les indices de « bien être »…

Mais il est déjà trop tard, les impératifs économiques président… Le Développement de la machinerie industrielle insiste, malgré la crise sanitaire et écologique, il se veut aujourd’hui « durable », la croissance économique insiste aussi, elle se fait maintenant par les chantiers de dissimulation des ordures et des dégâts collatéraux. Les marchés nouvellement créés dans les pays industrialisés sont liés à la gestion des catastrophes : gestion des ordures, gestion des pollutions, gestion des déchets industriels et bien sûr « gestion des cancers ». Les hôpitaux ne désemplissent plus, ils débordent.

Devenus les plus gros employeurs des villes, les centres hospitaliers n’en finissent pas de croître et de se moderniser. Véritable nouveau Temple de la Consommation de masse, ils rejoignent dans le même temps les rangs des entreprises les plus polluantes des pays industrialisés.

Comme pour l’industrie de la « Mal Bouffe » ou celle de la circulation automobile, avec leurs nombreuses victimes sanitaires garanties, « dans une économie de marché » « le cancer c’est la vie !», de fait « il fait vivre plus de monde qu’il n’en tue ! ». Dans de nombreux secteurs, il génère des emplois, stimule des recherches scientifique de pointe et permet d’engranger des profits records. Comme toutes les activités de gestion des dégâts collatéraux, il engraisse le PIB. En définitive il « améliore », pour ainsi dire, le chiffre de la croissance et participe à sa manière aux indices économiques de « bien-être » définissant une population de pays développé.

Indéniablement, sur la base de ces indices économiques de santé toujours affichés en croissance : « on sera toujours forcément mieux soigné en France qu’en Afrique », mais la prolifération des cancers persévère. Elle se fait exponentielle malgré les « immenses progrès » de la recherche médicale et surtout malgré la délocalisation massive des industries les plus insalubres et les plus polluantes dans les « ateliers du monde ». Les damnés de la terre, bagnards du travail cancérigène, sont rassemblés dans le «Bas Monde » du bout du monde et les bureaucrates de la Planète, « Bayard » du « travail » « sans peur et sans reproche », s’exhibent dans le « Beau Monde ». La division internationale du travail et le partage des tâches entre les productions insalubres et la consommation de prestige, n’ont pas suffisamment enrayé la progression des cancers dans les pays développés.

Devant les montagnes de déchets, ces pics de pollution, ces avalanches d’ordures pestilentielles, ces marais nauséabonds de « boue d’épuration », « une seule solution : la délocalisation » !

Cancers sous les Tropiques, « Tristes Tropiques »

En définitive, le véritable dispositif de la guerre contre le cancer se situe ailleurs que dans les gesticulations, les mises en scène publicitaires, les implorations à la divinité PazacéPazacé, les subventions aux chercheurs avant-gardistes et aux académiciens « Négationnistes ».

Dans « la lutte contre le cancer », pour contenir ses chiffres et garder un état de santé général présentable, digne d’un monde industriel développé, il ne reste plus qu’une solution : « la délocalisation des pollutions ». Elle a déjà commencé avec panache, les « Clemenceau » prolifèrent et voguent sur l’eau avec leurs marchandises suspectes. Ils dispersent les toxiques et « métastasent » le cancer sous le soleil des tropiques.

La science avance et triomphe encore avec la délocalisation des pollutions dans le « tiers monde ». Cette procédure conforme aux données de la science, utilise les bases économiques éprouvées depuis l’origine du capitalisme. La circulation des marchandises intègre dans ses grands circuits maritimes la circulation des déchets toxiques et organise ainsi à l’échelle internationale le Néo-Négationnisme de la crise sanitaire dans ses modalités pratiques.

La carcinogenèse, le développement des cancers est en effet fonction des doses cumulatives subies ou absorbées par les travailleurs-consommateurs (bénéficiaires ou victimes) du développement industriel. La dispersion des pollutions s’impose donc comme une nécessité de santé publique, pour rendre soutenable ou assurer une certaine crédibilité au « Développement Durable ».

Les « Clemenceau » en devenant le fer de lance de la « lutte contre le cancer », perpétuent la « Grandeur des Nations » et le « Rayonnement de la France » en particulier. C’est le Néo-Négationnisme industriel des bateaux poubelles.

Sur les traces de la première mondialisation économique depuis le « Célèbre Argonaute Dom Vasco de Gama », des villes en Afrique, en Inde et jusqu’en Chine se spécialisent dans ce nouveau négationnisme technique des crises sanitaire et écologique.

Encore une fois, depuis la découverte du Nouveau Monde et la Traite des Esclaves, le Prestige des « Nations Civilisées » et de la France en particulier est une affaire maritime avec de grands et puissants bateaux … Avec leurs produits manufacturés débiles d’origine, les ordures et déchets toxiques ont remplacé les épices et condiments dans les frets maritimes d’Afrique et d’Extrême Orient.

Pauvres « Pays Pauvres », au nouveau rendez-vous du Développement, c’est maintenant le cancer qui répond présent.

Pas encore « débarrassé » du Paludisme, du SIDA, de la Tuberculose, pas encore « débarrassé » des milles et une maladies infectieuses, promesse sans cesse renouvelée du Développement, de la Science et du Progrès, que voici déjà pointer le cancer. Débarquant des « Clemenceau » et autres bateaux poubelles il arrive pour étendre ses ramifications morbides sous des latitudes ensoleillées. Tropique du Cancer, « Tristes Tropiques »…

JMS – octobre 2007 repris en août 2010

(1) L’Église au 10ème siècle faisait preuve d’une analyse sociologique plus réaliste en divisant la société du Moyen Age en trois « ordres » : ceux qui prient, ceux qui combattent, et ceux qui travaillent…
(2) Annie Thébaud-Mony, « Travail et inégalités sociales de santé : le cas des cancers professionnels » La revue du Praticien 31 décembre 2004. « Entre 45 et 54 ans, les ouvriers non qualifiés meurent 4 fois plus de cancer que les cadres, un écart que n’explique pas la différence dans la consommation de tabac. En fait, près de la moitié des inégalités sociales de mortalité par cancer du poumon ou de la vessie s’expliquerait par l’exposition à des facteurs d’origine professionnelle.
(3) Le Figaro 13 septembre 2007 Les premières causes du cancer en France
Le Figaro
(4) « Les Causes du Cancer en France », « nouvelles données scientifiques ». http://www.lefigaro.fr/assets/pdf/rapport_abrege_cancer.pdf
(5) « Héros Ordinaires » campagne de publicité de l’INCa pour changer l’image du cancer dans la population. INCa – Héros Ordinaires
(6) Roman de Soljenitsyne écrit dans les années 1960, lecture vivement conseillée… Décrivant la réalité de cancer et son traitement médical dans l’univers soviétique des années cinquante, ce roman reste encore d’actualité pour décrire la situation du cancer et de sa prise en charge médicale dans le monde occidental un demi siècle plus tard malgré les « immenses progrès de la science ». Il en est de même des critiques contre le « système soviétique » de ces années là, qui peuvent très bien s’appliquer aux « démocraties occidentales » du 21e siècle…

Un commentaire sur “Tropique du Cancer – Cancer sous les Tropiques

  1. Moa

    Article d’une clairevoyance implaccable et salutaire dont fait l’objet un système cautionné par une grande majorité de nos concitoyens.
    Mais combien de personne face à ces évidences adoptent un mode de vie différent, font des choix plus respectueux de l’humain et de l’environement?

    Pour un article comme clui-ci, combien de remarques ignares comme :

    « tu peux pas empecher le progès »

    « t’as qu’à retourner dans une grotte » (ce grand argument d’une intelligence rare, ce ne serait pas atteindre le point godwin dans les débats dont le sujet est l’écologie?… par hasard…)

    « toi ce que t’es en train de dire c’est que l »agriculture au XVème siècle c’était mieux que maintenant !! n’importe quoi »

    etc
    etc
    etc

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