Propagande nucléaire : bienvenue dans le monde merveilleux d’Areva

Pour fêter ses 10 ans, Areva, le géant français du nucléaire, a décidé de se faire plaisir. Et sans lésiner sur les moyens ! Depuis le 15 janvier, pas moins de 1.500 spots déferlent sur 30 chaînes de télé. Le contribuable français sera ravi d’apprendre qu’il participe à cet anniversaire. L’État, actionnaire à 90% d’Areva, met la main à la poche pour la diffusion de cette « nouvelle prise de parole publicitaire » (sic), qui a coûté la bagatelle de 15,5 millions d’euros.

15 millions d’euros, c’est le montant que « les candidats à l’élection présidentielle étaient autorisés à dépenser avant le premier tour » en 2007, rappelle le journaliste Hervé Kempf. De quoi s’assurer une belle autopromotion ! Les publicitaires d’Euro RSCG, l’agence en charge de la réalisation du clip, s’en sont donnés à cœur joie pour cette superproduction [1], digne du cinéma hollywoodien.

La vie made in Areva

En l’espace d’une minute, la caméra survole les voiliers de l’époque babylonienne poussés par le vent, les moulins à eau du temps des cathédrales, les locomotives à vapeur de la révolution industrielle, puis les puits de pétrole et stations essence américaines des années 1960. Les dernières secondes s’achèvent par un travelling sur un parc éolien off-shore, jouxtant une centrale nucléaire et une immense ferme solaire. C’est dans une ambiance survoltée, avec des jeunes dansant sur la terrasse d’un immeuble, que le spot conclut : « L’énergie est une histoire qui n’a pas fini de s’écrire. Continuons de l’écrire avec moins de CO2. »

Areva « donne du sens » à l’histoire

« Personne n’a jamais dit que le nucléaire est une énergie renouvelable », défend Jacques-Emmanuel Saulnier, directeur de la communication et porte-parole du groupe Areva. On a eu peur. Parce que c’est bien l’impression que donne ce spot publicitaire. En présentant l’épopée de l’énergie, Areva veut montrer le « progrès continu » de l’histoire. Une histoire, réécrite par Areva, dont le nucléaire serait un peu l’aboutissement…

Le film « permet de remettre en perspective, de donner du sens à l’histoire de l’énergie », affirme Jacques-Emmanuel Saulnier. Et aussi de montrer comment Areva s’insère dans cette histoire « en donnant une tonalité qui est tout sauf dramatique ». Car « l’énergie est un facteur de développement, c’est un facteur de prospérité, c’est un facteur de bien-être », martèle le directeur de la communication. Les populations de la ville minière d’Arlit au Niger, où Areva extrait de l’uranium et stocke des déchets radioactifs à l’air libre, et où le taux de contamination des eaux dépasse de 7 à 110 fois les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé, apprécieront. Comment Areva peut-elle oublier ce genre de détail dans sa communication, qu’elle qualifie de « volontairement décomplexée » ?

Lire aussi :  Le vélo jetable arrive en France

« Ce film nous ressemble parce qu’il nous permet d’évoquer un sujet sérieux sans nous prendre au sérieux », explique Jacques-Emmanuel Saulnier. Ne pas se prendre au sérieux, quand on s’occupe de réacteurs nucléaires, ce n’est pas un peu dangereux ?

Bienvenue dans « l’hyperréalité » selon Areva !

« Pour extraire l’uranium, plus besoin de mineurs. Pas de travailleurs sous-traitants exposés à la radiation, ni de déchets radioactifs, et motus sur les rejets cancérigènes des centrales et de La Hague : c’est la vie rêvée made in Areva, lisse et aseptisée », s’énerve-t-on du côté du réseau Sortir du nucléaire. On imagine mal la jeunesse dorée représentée dans ce spot et trinquant entre amis, discuter déchets nucléaires et risques d’accidents.

Chez Areva, on explique avoir adopté pour cette dernière séquence du clip, représentant « aujourd’hui et demain », le style « hyperréaliste des jeux vidéo ». À l’inverse des plans des autres époques où l’on voit des gens au travail ou dans les rues, ici des jeunes dansent et font la fête sur le toit des gratte-ciels, dans l’insouciance la plus totale. Bienvenue dans « l’hyperréalité » selon Areva !

Plainte contre la « propagande massive » d’Areva

L’association Sortir du nucléaire vient de déposer une plainte devant l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), pour « dénoncer les manipulations induites par cette propagande massive », qui fait passer le nucléaire pour une énergie propre. L’enjeu ? Relancer le débat sur l’énergie. En 2009, les Verts avaient obtenu, après plainte auprès de l’ARPP, la suspension de la précédente campagne publicitaire d’Areva, « L’énergie au sens propre ».

Sophie Chapelle et Agnès Rousseaux

http://www.bastamag.net/

Notes
[1] 10 mois de travail, et 100 personnes mobilisées, « du réalisateur au graphiste en passant par la chef costumière et les comédiens ».

7 commentaires sur “Propagande nucléaire : bienvenue dans le monde merveilleux d’Areva

  1. sebsoupe

    toutes les publicités Areva me dégoutent à chaque fois par leur déconnection avec la réalité et les messages insidieux qu’ils font passer…
    comme par exemple :
    CAMPAGNE PUBLICITAIRE « l’énergie des athlètes est en vous »
    Annonceur : AREVA
    Agence de publicité : Euro RSCG C&O
    Agence d’achat d’espace : Havas Media International
    Agence de marketing sportif, conception et animation de la plateforme digitale athlenergy.com : Havas Sports & Entertainment
    Agence de design graphique : H5
    Musique : “Funkytown” interprétée par Lipps Inc. et composé par Steven Greenberg
    Budget d’achat d’espace : 3 M€ brut
    Plan média TV : environ 142 spots répartis sur les chaînes hertziennes et plus de 1700 spots sur TNT/CabSat sur 1 vague de 2 semaines, du 1er au 16 juillet 2010.

  2. sebsoupe

    clique sur le mot « clip » dans le 2ème paragraphe,
    sinon ici en bas à droite :
    http://www.areva.com/FR/groupe-2613/interview-de-jacquesemmanuel-saulnier-nbsp-pourquoi-une-nouvelle-publicite.html

    Pourquoi un nouveau film ?
    – Jacques-Emmanuel Saulnier, Directeur de la Communication et porte-parole du groupe AREVA :
    Il était important pour AREVA de faire évoluer sa plateforme de marque. Parce qu’elle a 10 ans, que lorsque nous l’avons créée nous avons naturellement commencé par poser les fondamentaux de son identité, exprimer qui nous sommes, quelle est notre expertise. Et puis le groupe a grandi, a évolué, s’est positionné résolument dans la fourniture de produits et services pour plus d’électricité avec moins de CO2. Il est important que, tout en conservant les fondamentaux, on aille au-delà et que nous exprimions aussi quelle est notre contribution à ses besoins fondamentaux pour la planète.

    L’énergie : une histoire qui n’a pas fini de s’écrire ?
    – Jacques-Emmanuel Saulnier, Directeur de la Communication et porte-parole du groupe AREVA :
    L’histoire de l’énergie, elle est comme l’histoire de l’Humanité, elle évolue avec l’Humanité, elle fait partie des trois besoins fondamentaux : l’alimentation, l’eau et donc l’énergie, grâce auxquels l’homme peut ou non se développer. Quelqu’un qui n’a pas accès à l’électricité aujourd’hui, selon les études de l’OMS, a une espérance de vie de 35 ans. On le voit très bien, les plus gros progrès ont été faits au cours du XXème siècle. C’est valable dans notre secteur comme dans des tonnes de secteurs, et ce sera encore sans doute plus vrai au XXIème siècle où beaucoup de progrès vont être faits encore plus vite. Oui, délibérément, l’histoire de l’énergie va continuer à s’écrire.

    En quoi ce film vous ressemble ?
    – Jacques-Emmanuel Saulnier, Directeur de la Communication et porte-parole du groupe AREVA :
    Ce film nous ressemble parce qu’il nous permet d’évoquer un sujet sérieux sans nous prendre au sérieux. Il permet de remettre en perspective, de donner du sens sur l’histoire de l’énergie elle-même mais aussi sur la manière dont les produits et les services d’AREVA s’insèrent dans cette histoire tout en donnant une tonalité qui est tout sauf dramatique. Parce que c’est un sujet dont on va parler avec enthousiasme. L’énergie est un facteur de développement, c’est un facteur de prospérité, c’est un facteur de bien-être, encore faut-il qu’elle soit développée et exploitée de manière appropriée.

    Le progrès continu, une démarche au cœur du projet industriel d’AREVA.
    – Jacques-Emmanuel Saulnier, Directeur de la Communication et porte-parole du groupe AREVA :
    Nous sommes dans une logique de progrès continu : ce qui est bien n’est jamais acquis et ce qui est mal doit être tenu en retour d’expérience pour progresser et aller de l’avant. Parce que justement à partir du moment où vous êtes dans une logique de développement durable au sens le plus profond, le plus propre du terme et bien ça veut dire que par nature tout acquis n’est qu’une base pour pouvoir aller de l’avant.

  3. Minou

    À Arno,

    Je l’ai vue au cinéma, entre huit publicités pour la bagnole et une pour Total qui rêve de construire des circuits automobiles… sur la Lune. C’est effrayant…
    C’est souvent au cinéma que l’on peut voir les pires publicités. Il y a quelques temps il y avait une pub pour les glaces Ben & Jerry’s qui sont labellisées Max Haavelar… Cette publicité donnait à entendre que la preuve que ces glaces sont éthiques, éthicables, équitables, etc., c’est qu’un programmateur informatique a collé un sourire sur des photos de petits paysans exploités. Tu leur colles un sourire grâce à l’ordinateur, et hop le tour est joué : ils sont contents, le produit est éthique et écologique. Les marketeux ne se cachent même plus.

    Voilà la pub colonialiste en question :

    http://www.youtube.com/watch?v=IdZUB5Ilkbs&feature=related

    La comparaison entre le « not fair » de la calvitie de l’entrepreneur/patron avec le « fair » du commerce « juste » est magnifique !
    L’appropriation de l’écologie par le capitalisme, c’est aussi (ou surtout) le décomplexisme.

  4. gagarine

    Ca me désole, l’on parle toujours d’une technique à base uranium qui est clairement une mauvaise option (qui aimerai traiter des déchets dangereux fait pas les romains?). Pourtant, il serrait dommage de jeté l’enfant avec l’eau du bain car d’autre technique nucléaire existe, par exemple à base de Thorium: http://www.wired.com/magazine/2009/12/ff_new_nukes. Le même genre de réacteur pourrai aussi potentiellement brûler nos fameux déchets.

    Les recherches sont faites, les simulations aussi. Mais personne ne semble vouloir appliquer la technique à un projet…. c’est juste que l’on ne peut pas faire de bombe avec les déchets. Ca doit être moins intéressant apparemment… triste.

Les commentaires sont clos.