Trafic routier et leucémie chez l’enfant : des liens existent

Habiter à proximité de routes à grande circulation augmenterait le risque de leucémie chez l’enfant.

Source : Journal International de médecine

Auteure : Dr Claudine Goldgewicht

Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a répertorié le benzène comme cancérogène avéré pour l’homme. Si l’exposition professionnelle à de fortes doses de benzène est une cause établie de leucémie aiguë (LA), en particulier de leucémie aiguë non lymphoblastique (LANL), peu de travaux ont exploré le rôle de la circulation routière, source d’exposition environnementale, notamment à faibles doses, aux composés aromatiques (au benzène, en particulier). Des auteurs français, de la Société française de lutte contre les cancers et leucémies de l’enfant et de l’adolescent, ont, dans ce contexte, entrepris d’évaluer l’effet des émissions liées au trafic routier sur le risque de leucémie de l’enfant.

Une étude a été menée à cet effet en France, qui a porté sur les données de l’étude ESCALE (Étude épidémiologique sur les cancers et les leucémies de l’enfant), étude cas-témoins, multicentrique, conduite en 2003-2004, auprès de 11 millions d’enfants âgés de moins de 15 ans, afin d’évaluer le rôle des facteurs infectieux, environnementaux et génétiques dans quatre néoplasies de l’enfant : les leucémies, les lymphomes, les neuroblastomes et les tumeurs cérébrales malignes.

Ce volet environnemental de l’étude ESCALE, portant sur les LA, a inclus 763 cas, identifiés via le Registre national des hémopathies malignes de l’enfant (RNHE) et 1 681 témoins, indemnes de cancer, appariés aux cas pour l’âge et le sexe, et représentatifs de la population en termes de région administrative et d’urbanisation. Un entretien téléphonique avec les mères a précisé les caractéristiques démographiques et socio-économiques, les antécédents médicaux de l’enfant, l’environnement familial, le mode de vie, l’historique résidentiel, et détaillé l’historique professionnel parental, l’exposition maternelle, les antécédents familiaux de cancer, les allergies et les maladies auto-immunes.

Différents indicateurs d’exposition au trafic routier ont été utilisés, en s’aidant d’un système d’information géographique, en prenant en considération l’adresse au diagnostic du cancer : indicateurs de distance aux grandes routes, de densité de trafic, et concentrations de dioxyde d’azote (NO2) liées à la circulation routière.

Les cas comprenaient 644 leucémies aiguës lymphoblastiques, LLA (dont 544 cas de LLA-B, 67 de LLA-T) et 118 cas de LANL (dont 102 cas de LA myéloblastique). La distribution des LLA a montré une prédominance masculine (54,3 %) et un pic d’incidence entre 2 et 6 ans (54 ,8 %). Des ajustements ont été effectués sur l’âge, le sexe, le statut socio-économique, sur le niveau d’éducation du père et de la mère, le type d’habitation, le degré d’urbanisation de la municipalité de résidence, ainsi que sur des facteurs antérieurement reliés, dans les travaux publiés, à la leucémie de l’enfant : le rang de naissance de l’enfant, ses antécédents infectieux, le tabagisme paternel en préconception, l’utilisation de pesticides au cours de la grossesse par la mère et les antécédents de résidence à proximité d’une station-service.

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L’analyse met en évidence une association entre LA et indicateurs de proximité et de densité de trafic routier, les associations étant, dans l’ensemble, semblables pour les LLA et LNLA, et une association significative entre LA et concentrations de NO2.

Ressortent ainsi, significativement associées au risque de LA :

les concentrations de NO2 au lieu de résidence supérieures à 27,7 µ/m3, en comparaison de celles inférieures à 21,9 µg/m3 (OR = 1,2 IC à 95 % 1,0-1,5), avec une tendance significative à l’augmentation des odds ratios avec les concentrations de NO2 ;

la présence d’une route à fort trafic à 500 m ou moins du lieu de résidence, en comparaison de l’absence d’une telle route dans les 500 m dans la même zone (OR = 2,0 ; 1,0-3,6), le risque de LA croissant significativement avec la longueur totale de route à grande circulation à 500 m ou moins, et avec l’augmentation de la densité du trafic routier.

Les mêmes tendances sont constatées après stratification selon le statut urbain ou rural du lieu de résidence. L’association à la proximité et densité de routes à fort trafic était toutefois légèrement plus marquée en zones urbaines, plus forte aussi lorsque l’analyse était restreinte aux enfants n’ayant jamais déménagé ou à ceux qui avaient vécu deux ans au moins dans la maison où ils habitaient lors du diagnostic de LA. L’exclusion de l’analyse des 11 cas ayant un syndrome de Down et celle des 35 cas et 42 témoins ayant vécu au voisinage d’une centrale au gaz n’a pas modifié les résultats.

Cette étude, s’appuyant sur des données de registre et un taux de participation des mères de 71,2 %, menée à l’échelle nationale, portant sur 11 millions d’enfants, et où les témoins étaient représentatifs de la population pédiatrique française en termes de catégorie socio-économique et de statut urbain/rural, suggère que le fait d’habiter près d’une route à grande circulation augmente le risque leucémie de l’enfant. L’observation de légères relations dose-risque plaide en faveur d’une association causale. Ces résultats appellent des études complémentaires prenant en compte les expositions vie entière au trafic routier, au benzène, et à d’autres émissions liées à la circulation routière (aux gaz d’échappement des moteurs diesel et à ceux des moteurs à essence, par exemple, classés respectivement cancérogène probable et cancérogène possible par le CIRC).

Dr Claudine Goldgewicht

Amigou A et coll. Road traffic and childhood leukemia : The ESCALE Study (SFCE). Environ Health Perspect, 2010 ; Publication avancée en ligne, 8 décembre 2010 (doi : 10.1289/ehp.1002429).

Source: http://www.iewonline.be/