Atmo pipeau (sur l’impact sanitaire de la pollution automobile)

Et une nouvelle étude de plus sur « l’évaluation de l’impact sanitaire de la pollution atmosphérique ». Cette fois-ci l’étude, menée par l’Institut de Veille Sanitaire, porte sur l’unité urbaine d’Angers et montre une fois de plus, si on sait lire entre les lignes, que la pollution automobile tue massivement en France.

Mon propos n’est pas de faire une synthèse de cette étude, mais de tirer quelques enseignements de ses conclusions. Pour celles et ceux qui veulent en savoir plus, vous trouverez sur le site de l’observatoire de la qualité de l’air dans les Pays-de-Loire une synthèse ainsi que l’étude en téléchargement.

Le but de cette étude était d’évaluer l’impact sanitaire de la pollution atmosphérique sur 12 communes de l’unité urbaine d’Angers, soit une population totale de 227.771 habitants. Autrement dit, dans le cas présent, on ne cherche pas à savoir quelles sont les causes de la pollution atmosphérique, mais on tente de comprendre les conséquences sanitaires (mortalité, maladies) de la pollution atmosphérique sur la population.

Et ces conséquences sont assez catastrophiques. A l’échelle de l’unité urbaine d’Angers, la pollution atmosphérique cause la mort de 33 personnes par an, provoque 14 admissions hospitalières par an pour motif respiratoire et 20 admissions hospitalières par an pour motif cardio-vasculaire chez les adultes de 65 ans et plus.

Petit exercice: sachant que la population française dépasse désormais 65 millions d’habitants, on peut donc estimer le nombre de morts liés à la pollution atmosphérique à plus de 9.000 par an en France… Vous me direz: la France n’est pas comparable à la situation d’Angers, qui constitue une « unité urbaine » forcément plus polluée que la moyenne.

Sauf que dans l’étude en question, on apprend, avec stupéfaction, « que les effets sanitaires apparaissent malgré de faibles niveaux de pollution qui respectent les objectifs de qualité« . En gros, les morts et les maladies respiratoires arrivent à Angers alors même que « l’air est de bonne qualité » ou, du moins, quand la pollution respecte gentiment les « objectifs de qualité »…

Au fait, qui décide de la « bonne qualité de l’air » ou de ces « objectifs de qualité » en France? La fédération Atmo qui constitue le Réseau National des Associations Agréées pour la Surveillance de la Qualité de l’Air, une sorte d’agence regroupant services de l’état, entreprises, collectivités locales et associations de protection de l’environnement. Mais concrètement, c’est l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) qui réalise les études, les prévisions, le bulletin de l’air et la mise à jour du désormais fumeux fameux indice Atmo…

Et donc, si on lit entre les lignes, on doit comprendre que l’indice de la qualité de l’air dans nos agglomérations ne veut pas dire grande chose car, même quand il est bon, les gens meurent ou se retrouvent hospitalisés pour des troubles respiratoires… On n’ose pas trop imaginer ce qui se passe dans les hôpitaux quand l’indice Atmo devient vraiment mauvais… Pour plus d’infos, vous vous reporterez sur le palmarès 2009 de la pollution dans les agglomérations françaises que nous avions réalisé en novembre dernier.

En outre, 9.000 morts par an, cela correspond aux chiffres habituels dans ce domaine. Selon une étude de l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (Afsset) datant de 2004, on peut estimer à 6.500 à 9.500 personnes en France qui meurent chaque année du fait de la pollution atmosphérique. Au passage, cela représente environ deux fois plus de morts que dans les accidents de la route…

Avec l’étude menée à Angers, on peut donc estimer qu’on se trouve en fait dans le haut de la fourchette définie en 2004 par l’Afsset.

Lire aussi :  En 2017, on continue à tuer sans aller en prison

Vous me direz, 9.000 morts par an peut-être, mais c’est lié à la pollution atmosphérique et pas seulement à la pollution automobile.

Et là, on arrive au ridicule de la situation. Ainsi,  sur une étude de 30 pages consacrée à la pollution atmosphérique, le mot « automobile » n’est prononcé que deux fois (le mot « voiture » pas une seule). Dans ces conditions, on va se permettre de citer les deux passages:

Page 6: « Le bilan régional de la qualité de l’air attirait l’attention sur les teneurs élevées en dioxyde d’azote sur certains sites proches du trafic automobile et sur les teneurs élevées en ozone (O3) mesurées l’été entraînant des dépassements du seuil d’information de la population« .

Page 18 (conclusion): « Les Ligériens se déclaraient prêts à s’investir personnellement : plus de la moitié estimaient que cette lutte reposait sur chaque individu et ils étaient dans l’ensemble favorables au développement de solutions alternatives à la circulation automobile« .

Donc, omerta quasi-complète sur la question: il faudrait juste « développer des alternatives à l’automobile »…

Sauf que, si on regarde les cartes de la pollution atmosphérique, en général réalisées pour le dioxyde d’azote (NO2), les poussières ou micro-particules (PM10 ou PM2,5) et le benzène, on s’aperçoit que la pollution se concentre sur les axes de circulation automobile…

Pas de chance, le rapport ne fournit pas ces cartes sur Angers qui auraient pu montrer le lien évident entre automobile et pollution de l’air. Dans l’étude, on parle NO2, PM10 ou benzène de manière quelque peu abstraite.

Heureusement, ces cartes sont disponibles pour la ville de Paris et montrent bien ce lien entre trafic automobile et pollution de l’air.

Comment ne pas voir le lien évident entre trafic automobile et pollution de l’air? Comment ne pas penser que les 33 morts par an d’Angers ou les 9.000 morts par an en France ne sont pas fortement liés à l’automobile?

Terminons par une petite note méthodologique. L’étude réalisée sur Angers justifie le choix de la zone d’étude en fonction d’un certain nombre de critères:

-géographiques : continuité urbaine, absence de relief particulier pouvant influencer la dispersion du polluant sur la zone étudiée ;
– de qualité de l’air : absence de sources fixes de pollution majeures pouvant impacter la qualité de l’air de certaines communes dans la zone, représentativité des stations de mesures afin de vérifier l’homogénéité de l’exposition de la population à la PA ;
– météorologiques : direction des vents pouvant influencer la dispersion du polluant sur la zone ;
– démographiques : taille de la population suffisante (>100 000 – habitants), présence de la population active sur la zone (navettes domicile-travail, attractivité hospitalière).

Toujours aucun lien avec la voiture?

En attendant, méfiez-vous des indices Atmo-Pipeau qui vous disent que la qualité de l’air est bonne dans votre agglomération quand des gens sont dans le même temps en train de mourir dans les hôpitaux du fait de la pollution de l’air…

 

Edit février 2021: Selon les dernières études disponibles, la pollution de l’air serait en fait à l’origine de 100.000 morts par an en France, soit 17,3 % de l’ensemble des décès chaque année.

15 commentaires sur “Atmo pipeau (sur l’impact sanitaire de la pollution automobile)

  1. LEGEOGRAPHE

    Très bon calcul, Marcel Robert.
    La meilleure sécurité routière (sécurité routière qu’on inculque dès que les gamins ont 4-5 ans) et sanitaire (on apprend la pratique de l’hygiène – et donc de la santé indirectement – dès que le gamin va sur le pot ou sur le trône, grosso modo, soit au plus tard au moment où il entre à l’école maternelle) serait celle qui consiste à expliquer aux enfants de ne pas prendre la voiture ? Il faudrait dire au gamin que la voiture, c’est mal ? Vous n’y pensez pas, voyons ? Ce serait faire couler l’industrie du jeu automobile (voiture-hochet en caoutchouc, voiture miniature Majorette, voiture téléguidée, jeu vidéo de courses de voitures, circuits de karting, auto-école, les grandes marques automobiles françaises… et les corbillards !).

  2. Boubou

    Et en plus j’influence petit à petit mon entourage, quand ils voient mon mode de vie… (bon c’est vraiment petit à petit…)

    Au moins, mes petits frères ont l’exemple de quelqu’un qui se déplace à vélo en ville alors que sinon c’est voiture pour tout le monde pour tout et n’importe quoi.

    Mais certains commencent à me dire maintenant « Tu as raison… »

    Mais il ne faut pas se leurrer, tous ces changements mis bouts à bouts implique un réel changement de mode de vie… Comment manger bio et frais et cuisiner quand on est à 50 km de son travail en voiture et qu’on rentre à pas d’heure ? (et qu’il n’y a que des Auchan à côté de chez nous…) — et qu’on ne sait pas cuisiner —

    Ca demande un gros effort, qui ne peut être que fait « naturellement » après s’être jeté à l’eau parfois…

  3. Legeographe

    Oui, Boubou, la société ne commence pourtant qu’à se mordre les doigts des choix d’aménagement du territoire qui ont été faits (enfin, certains ne se mordent même pas encore les doigts et jouissent du tout automobile, tandis que d’autres vivent déjà comme si un nouvel aménagement du territoire « moins voiture » était réalisé, ce qui n’est pas facile… car faire du vélo quand tous les autres manquent de vous écraser avec leurs voitures est courageux… mais indispensable pour avoir un début !).

  4. Boubou

    Clair que c’est courageux, c’est de l’action de pionnier !

    Mais si ceux qui peuvent le faire le font, ça fait un début pour les autres !
    (prise de conscience, aménagement)… jusqu’à ceux qui sont coincés…

    Je vois bien qu’on a hérité maintenant, des résultats de 30 ans de politiques et d’aménagements…

    Ce qu’on fait maintenant pour l’environnement, ben ce sera à son apogée… pour dans 30 ans ! (si ça marche)

  5. Boubou

    A une réunion publique de suivi de travaux de couverture d’une autoroute urbaine. (mettre un toit au-dessus du trafic)

    Le responsable régional des routes en soupirant a répondu aux habitants qui demandaient encore moins de bruit, de pollution…

    « La seule solution pour l’absence totale de bruit routier et de pollution, c’est qu’il n’y ait plus de voitures. Nous on met un toit au-dessus de l’autoroute c’est déjà ça, après c’est aux nouvelles générations de s’occuper des voitures… »

    Sous-entendu « On a hérité de 30 ans de conneries, nous on essaie de les réduire ou de les réparer, après les jeunes, ils devront sérieusement s’attaquer à la source ! »

    😉 Ca m’a mis du baume au coeur…

  6. RValiasRV

    Mince ! Moi qui ai surpris mon petit cousin devant Oui-Oui ce matin…que dois-je faire !?

    9000 morts par an ? Ce n’est pas plutôt 31 000 (rapport AFSSE de 2004 sur la pollution atmosphèrique, pour laquelle il fallait aussi lire entre les lignes pour comprendre qu’elle était essentiellement employable aux autos (véhicules diesel) ?

  7. CarFree

    31000 morts? c’est possible d’avoir une référence précise ou un lien internet? Car j’ai toujours vu que l’étude Afsset de 2004 parlait de 6.500 à 9.500 morts par an liés à la pollution de l’air…

  8. jms

    Cette mortalité est connue depuis longtemps. J’avais déjà fait un commentaire à ma manière très subjective dans « vivre ou conduire il faut choisir », pour rappeler que la communication sur diminution des morts violentes sur les routes ne doit pas masquer la mortalité et la morbidité en coulisse de la voie publique.
    http://carfree.fr/index.php/2006/11/27/vivre-ou-conduire-il-faut-choisir/#more-4858
    A la lecture de ce nouvel article on peut compléter par de nouveaux commentaires encore plus subjectifs.
    Pour les gestionnaires « tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes », les chiffres sont rassurants, puisque la subjectivité des édiles est exactement celle d’un état-major militaire. Une certaine mortalité est inévitable comme dans toute guerre, l’essentiel est qu’elle soit stable et acceptable, comparable au « normales saisonnières » pourrait-on dire.
    Il n’y a donc que des « motifs de satisfaction » pour les édiles, le bilan financier est globalement positif. L’industrie de la circulation automobile rapport suffisant d’argent et « crée des emplois » pour une mortalité somme toute « acceptable et stable ».
    Sans faire référence à la guerre, c’est la pure logique industrielle qui anime la technocratie dans l’organisation de la ville.
    Dans une activité minière il y a des morts et des maladies professionnelles parmi les ouvriers, ces dégâts collatéraux doivent rester dans une fourchette « acceptable » fixée pour maximaliser les profits, éviter les grèves… Si les pertes humaines sont trop importantes ou si les grève sont trop régulière, il faut réviser à a baisse la « mortalité acceptable », améliorer les conditions de travail, mais l’activité minière, comme la circulation automobile, ne peut pas être remise en cause, puisque c’est la raison d’être de l’entreprise et des édiles, c’est la source de profit pour les deux états-majors. Faire circuler dans la ville des automobiles c’est la raison d’être de la technocratie depuis un demi-siècle. Le coût social et humain est somme toute secondaire, comme dans toute activité industrielle depuis le début du 19e siècle.
    A titre d’illustration instructive on peut citer le cas du SIDA sur l’activité minière en Afrique du Sud. La mortalité du Sida frappant les ouvriers a fini par interférer sérieusement sur la productivité des industries minières. Confronté à ce grave problème technique les dirigeants ont demandé une étude à un « cabinet d’études » pour déterminer la meilleure attitude à avoir.
    Pour rétablir la productivité du travail, la réponse a été qu’il fallait financer les trithérapies pour les ouvriers et leurs familles…
    Pour les dégâts collatéraux de la circulation automobiles en milieu urbain, on n’en est pas encore à ce stade là, pour le moment il n’y a que des « motifs de satisfaction » des chiffres comparables aux « normales industrielles »…

  9. Legeographe

    Une étude pour déterminer si on laisse ou non crever des gens ? Mmm, ça sent bon la mort…
    Et ça rappelle la biopolitique de théorisée par Foucauld.
    Gerbant, édifiant, mais somme toute assez classique aujourd’hui.

  10. Legeographe

    Sinon, JMS, je reviens sur « Faire circuler dans la ville des automobiles c’est la raison d’être de la technocratie depuis un demi-siècle. » C’est un gonflement du PIB qui est en fait visé… d’où les voitures partout, sans se demander si c’est bénéfique à autre chose qu’au PIB seul !

  11. legeographe

    En tout cas, Marcel Robert, RValiasRV et Carfree, je peux vous dire que Nathalie Kosciusko-Morizet ne prend pas à la légère tous ces problèmes :
    « La pollution de l’air diminue l’espérance de vie de neuf mois pour chaque Français et l’exposition aux particules fines causerait 40.000 décès, chaque année. » La citation de la ministre est diffusée par le quotidien régional La Montagne (édition du jeudi 23 décembre, article sur les ZAPA, les zones d’action prioritaires pour l’air, page 39).

    Je propose d’ailleurs au site Carfree d’ouvrir une liste de citations regroupées sous un titre du genre « C’est pas nous qui l’avons dit ! » ou encore « Cela va sans dire, mais ça fait plaisir quand ça vient d’eux ! » : ces citations seraient toutes en accord avec les ambitions Carfree.

    Seulement voilà, NKM dit de belles phrases ; mais il faudra revenir à l’heure du bilan pour voir si c’est toujours aussi beau… dans les faits.
    En gros, faire un dico de la langue de bois au sujet de l’auto.

    Je propose donc de créer un penchant au bêtisier automobile, qui serait donc le recensement de toutes les volontés exprimées (par des officiels) dans notre sens.

    La phrase de NKM, citée plus haut, rentre très bien dans une telle rubrique.
    Et on pourrait tous soumettre de nouvelles phrases (il y en a, à mon avis, plus qu’on ne le croit ; cf le 3e commentaire de Boubou).

    Juste une idée…
    Cordialement.

  12. CarFree

    Je ne suis pas vraiment convaincu, car si je comprends bien l’objectif, j’ai peur qu’il y ait confusion dans l’esprit de certains lecteurs, qui pourraient y voir un plébiscite de déclarations provenant de gens pas vraiment fréquentables. Ou alors, il faudrait à chaque fois nuancer les propos en faisant le lien avec leurs autres déclarations ou ce qu’ils ont fait localement ou nationalement, ce qui représente quand même un gros boulot de suivi et de mise à jour.

  13. Legeographe

    Oui, je comprends que la confusion serait malencontreuse.

    Mais peut-être appeler cela « Langue de bois et automobile » ou « Le dire, c’est bien ; le faire, c’est mieux » enlève peut-être toute confusion.

    En gros, rappeler les promesses ou les vérités concédées, pour rappeler qu’il serait peut-être temps de passer à l’action jusqu’au au niveau politique.

  14. CarFree

    « Langue de bois et automobile »… on est très proche quand même du bêtisier de l’automobile, qui met parfois en parallèle certains discours et certains actes. Pour l’exemple de NKM, sa « très belle » phrase trouverait tout à fait sa place dans le bêtisier à partir du moment où on peut la mettre en parallèle avec une de ses actions ou politiques du gouvernement qui la contredit!

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