L’étalement urbain trouve ses « climato-sceptiques »… à la Banque Mondiale

L’étalement urbain trouve ses « climato-sceptiques »… à la Banque Mondiale
Los Angeles, symbole de la ville étalée américaine : ici sans voiture point de salut pour naviguer dans une ville sans densité s’étendant sur plus de 200 km

On connaissait les climato-sceptiques, ces scientifiques qui n’hésitent pas, pour un juteux projet de recherche chez Shell, Total… ou pour un peu de visibilité médiatique, à contester l’origine anthropique du réchauffement climatique. On connaissait moins les scientifiques qui réfutent les ravages environnementaux de l’étalement urbain. Ça a un peu changé ces dernières semaines. La Banque Mondiale en a en effet offert fin janvier une tribune inespérée au Lincoln Institute of Land Policy pour qui visiblement l’avenir est aux suburbs de « quatre-façades » à perte de vue…

On a fort à parier que la visibilité des « centro-sceptiques » face aux dégâts environnementaux de l’étalement urbain va aller croissante dans les années à venir. Il faut dire que l’étalement urbain est un dossier lourd d’enjeux. S’y attaquer politiquement, comme il l’est nécessaire environnementalement, fait beaucoup de mécontents. Et pas que dans les milieux de la construction et de la promotion immobilière. La culture majoritaire continuant de porter aux nues la maison « quatre-façades », son jardin, sa balançoire, ses garages, dans son cadre bucolique, s’attaquer politiquement à l’étalement urbain, c’est prendre de sérieux risques électoraux.

La question de l’étalement urbain (et sa critique) étant de plus en plus à l’agenda des responsables politiques, on peut s’attendre à une montée en puissance des groupements d’intérêts opposés. Ce qui devrait favoriser l’émergence de prises de position « pseudo-scientifiques » contestant le bien-fondé de politiques territoriales visant à relocaliser les fonctions autour des centralités pour en accroître la densité et la mixité (relocalisation défendue par Philippe Henry dans sa politique d’aménagement du territoire pour le 21ème siècle présentée le 17 décembre 2010).

American way of… live

En janvier dernier, le Lincoln Institute of Land Policy, un « institut de recherche » américain, a ainsi publié un rapport (d)étonnant. Intitulé « Making a room for a planet of cities » (faire de la place pour une planète de villes), le rapport en appelle à un nouveau paradigme de développement des villes. Dénonçant en filigrane le plébiscite pour le modèle de ville dense, mixte et compacte à l’européenne, le rapport préconise plus ou moins un retour à la recette américaine traditionnelle de l’urbanisation, une recette faite de « laisser-faire » : un central business district tout en verticalité pour centre-ville, et autour, sur des dizaines de kilomètres, des suburbs résidentiels de « quatre-façades », dont la monotonie morphologique ne s’interrompt que très ponctuellement avec des shopping-centers et des zonings d’activités économiques ; et pour relier le tout, l’irremplaçable voiture individuelle et toutes les infrastructures routières afférentes.

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La Banque Mondiale, par la voie de sa responsable d’unité pour le développement urbain, Abha Joshi-Ghani, a soutenu la réalisation et la version finale du rapport. Selon elle, « les villes ne doivent pas se limiter dans l’espace ». Au contraire, les villes devraient envisager leurs limites de manière « généreuse », ceci pour préparer une croissance démographique attendue importante. « Essayer d’endiguer l’urbanisation » ne serait pas pertinent, ceci en particulier pour les pays en voie de développement, qui connaissent les rythmes d’urbanisation les plus élevés aujourd’hui.

Londres
Autour de Londres (en vert foncé) a été prévue une green belt (en vert clair) dans laquelle toute urbanisation est quasi impossible

En clair, ce que soutiennent le Lincoln Institute et la Banque Mondiale, c’est que les Etats « fassent de la place pour leurs villes ». Ce qui doit aller de pair avec une « bonne planification des routes » et la levée d’obstacles physiques tels que les « ceintures vertes » entourant certaines villes. Sans jouer leurs rôles de limite hermétique à l’urbanisation, les ceintures vertes auraient engorgé considérablement des villes déjà complètement saturées…

En finir avec les ceintures vertes, construire plus de routes, ne plus limiter l’urbanisation dans l’espace… autant d’inepties rassemblées dans le rapport du Lincoln Institute of Land Policy qui tente de leur trouver des justifications scientifiques. Mais justifier l’injustifiable n’est pas des plus aisés, ce que confirme la la lecture du rapport.

Un fâcheux précédent

Pour le reste, le plus tragique peut-être dans la publication de ce rapport appuyé par la Banque Mondiale, ce n’est probablement pas la force de l’argumentation fallacieuse développée, mais le précédent qu’il constitue. A l’instar des climato-sceptiques, des scientifiques peu scrupuleux risquent d’avoir de moins en moins de complexes à mettre leur travail, moyennant certaines faveurs, au service de lobbys qui font peu de cas de l’intérêt général. Aujourd’hui déjà, alors qu’il y a quasi consensus sur le caractère catastrophique de l’étalement urbain, les politiques peinent à agir efficacement pour inverser la tendance. Si demain, la communauté scientifique se divise sur la question, on pourra légitimement s’inquiéter.

Benjamin Assouad
http://www.iewonline.be/

3 commentaires sur “L’étalement urbain trouve ses « climato-sceptiques »… à la Banque Mondiale

  1. MOA

    Sans compter que favoriser l’ etalement urbain permet aussi de justifier des désastres écologiques comme l’extraction
    du gaz / pétrole de schistes, liquéfaction du charbon etatsuniens ou autre demain, etc… Je parle du nucléaire?… dont la gestion de la catastrophe (à la Tchernobyl) est etudié par les nucléocrates… car estimée inévitable. Vive les voitures électro-gaz (je sais plus si c’est hybride ou à assistance suite au pseudo enfumage de certain en commentaire d’un précédent article… non, je déconne, je sais très bien!) pour un étalement urbain joyeux !

    La logique capitaliste et encore plus lorsqu’elle est pervertie telle qu’on la subit aujourd’hui nous amene droit dans le mur.

  2. JMS

    Questions politiques et perspective historique.
    Qu’est-ce qui s’oppose à l’étalement urbain ?
    – 1) la densification de l’habitat.
    – 2) La densification de la ville.
    – 3) l’éclatement de la mégalopole.
    Quel est le processus historique à l’origine de la mégalopole ?

  3. Nicolas

    Je tempèrerais cependant le principe des ceintures vertes. Elles sont souvent le prétexte à une hyper-densification à l’intérieur et un relâchement à l’extérieur. Si l’étalement est le même, mais seulement renvoyé à quelques kilomètres de la ville centre, on n’a pas gagné grand chose, d’un point de vue global. On favorise même les déplacements pendulaires domicile-travail en automobile.
    Par contre, si une urbanisation équilibrée (c’est avec tous les services accessibles à pied ou à vélo) est envisagée dans la continuité de la ville existante, en étendant les réseaux de transports en commun existant, je pense que c’est positif.
    En ce qui concerne la verdure, elle peut être préservée, mais pourquoi sous cette forme figée de ceinture ? Je crains que cette idée de ceinture ne répond qu’à l’angoisse d’extension de la ville, mais pas à des questions objectives : une ceinture agricole est-elle forcément paysagère, respectueuse de l’environnement, accessible ? Certainement non. Par contre, préserver des espaces pour y installer du maraichage bio ou des lieux de promenade peut répondre à certains besoins.
    D’autre part si la population de certaines villes augmente, on peut toujours densifier, mais il y aura forcément la limite du vivable. Quand on en est a devoir monter (systématiquement) des tours de plus de 10 étages pour y loger des gens, il faut peut être se questionner sur notre modèle de développement global, du commerce et de notre activité économique, dont l’extension des villes est une conséquence.
    Donc oui à la densification, mais oui aussi au bien vivre.

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