Du tramway au PLU, épilogue politique

Le préfet a déclaré « d’utilité publique » l’élimination de la trame arborée de la ville véhiculée par le tramway municipal et rejeté l’option de tram-train présentée par le front de convergence. Ces deux aspects de la problématique révélés par la population et les associations puis argumentés et défendus par le front de convergence ont donc été annihilés par la « déclaration d’utilité publique » du représentant local de l’État.

Maintenus avec constance sur tout son trajet par l’ensemble des instances politiques et administratives de la ville, l’abattage des arbres puis le refus du tram-train, ont été confirmés en totalité avec toutes leurs inconséquences écologiques et techniques. Le préfet n’a fait que se soumettre aux exigences de la municipalité et a validé ce qui lui était demandé de valider.

Pourtant l’option du tram-train a existé indépendamment et bien avant que le front de convergence ne se crée. Avec l’étoile ferroviaire départementale particulièrement développée sur Tours, le tram-train avait été l’idée initiale évidente et logique à promouvoir aux yeux de la FNAUT Centre. Cette Fédération Nationale des Associations d’Usagers des Transports de la Région Centre, formulait son option sur une base purement technique sans souci écologique et donc forcément accessible à la compréhension de tout technocrate de base…

Elle aurait dû en toute logique technique de « bien public » au moins retenir l’attention du préfet. Ce représentant de l’État peut bien se donner bonne conscience en imaginant le front de convergence comme un groupuscule d’éléments hétéroclites, mais peut-il négliger ce qui a été porté à sa connaissance et pensé dans un souci de « bien public » par une association d’usager des transports ?

S’il est facile d’admettre que la technocratie n’y pige rien à l’écologie, reste les nombreuses questions techniques où elle est sensée être compétente. Pourquoi a-t-elle rejeté le projet de tram-train, option initiale évidente de la FNAUT Centre, reprise par le front de convergence ? Et pourquoi a-t-elle fermé les yeux sur toutes les inconséquences du tramway municipal dévoilées au cours de l’enquête publique et explicitées en suite par le front de convergence ?

Trop d’éléments suspects, mais l’on a bien avancé pour percevoir dans quel projet politique s’intègre le tramway, il ouvrait la voie à la ville labyrinthique ou Plan Local d’Urbanisme concentrationnaire.

Moments d’anthologie démagogique

Indépendamment des nombreuses critiques révélées lors de l’enquête publique on peut suspecter l’arnaque à partir des éléments du péplum construit autour du tramway municipal.

Sans réelle utilité sociale et sans aucune dimension environnementaliste, le projet de tramway municipal a dû surinvestir les aspects esthétiques, narcissiques ou touristiques pour se valider.

« Un tram-miroir au design particulièrement étudié, qui s’affranchira de sa ligne aérienne pour franchir la Loire et traverser l’hyper-centre de Tours. »
« Les urbanistes aiment à dire que le tram donne à voir la ville. Ils auront d’autant plus raison à Tours que le futur tramway sera entièrement recouvert d’un film-miroir dans lequel elle se reflétera. »

Comme le dit Jean Germain, le maire de Tours, qui est aussi président de la communauté d’agglomération Tour(s)plus et du Sitcat : « En termes de transport, le tramway sera le navire amiral d’un réseau global. »

Dans les organes de propagandes on parle de « Quatrième paysage » « Il sera comme un curseur glissant sur sa ligne ». Et la dévastation de la trame arborée patrimoniale est sublimée sous le mot « minéralisation » de la ville.

Pourquoi toutes ces pompeuses envolées lyriques si effectivement le tramway était réellement attendu par une grande majorité des habitants de l’agglomération ?

Tout ce bruyant tir de barrage esthétique régulièrement lancé dans les organes de propagande municipale, sonne faux et paraît même suspect pour parler d’un moyen de transport urbain. En fait, il tentait de combler le vide d’utilité sociale très rapidement apparu et de masquer les inconséquences très facilement révélées lors de l’enquête publique. Par ce péplum autour d’un veau d’or la municipalité organisait un unanimisme pour étouffer tout débat contradictoire et imposer comme déjà fait le tramway.

« Politique de l’oxymore » et « éco-fascisme »

Comme pour le saccage de la vallée de la Choisille, les multiples fioritures littéraires de verdissage du tramway couvraient un projet dévastateur. Le discours écologique constitue désormais l’emballage esthétique obligé de tout projet comportant une dévastation délibérée d’un écosystème du territoire. On retrouve à foison ces formules de verdissage dans le Projet d’Aménagement et de Développement Durable de la ville « Penser Tours » (1).

Dans les nouvelles procédures pour détruire un écosystème, il y a aujourd’hui un intense pilonnage de greenwashing. Cette procédure perverse du pouvoir maintenant désignée par le terme « politique de l’oxymore » (2) peut être considérée comme un symptôme prémonitoire de ce que l’on pressent déjà comme « l’éco-fascisme ». Cette entité anticipée, mais que l’on imagine encore comme une menace dans le futur est déjà en travail aujourd’hui. La concentration du pouvoir par les transnationales et leur personnel politique, la servilité complice de la presse donnant crédit à ces discours et l’écolocratie entretenant sa marmaille « d’écologistes benêts » permet à la classe politique traditionnelle de ne plus se soucier de sa crédibilité.

Mimiques et pantomimes avec discours fleuves écologiques, remplacent au tournant du millénaire ceux sur le vieux et décrédibilisé « développement économique », mais exactement comme eux ils libèrent la puissance de feu dévastatrice des engins de chantier sur les écosystèmes.

Avec sa « déclaration d’utilité publique » accordée pour la dévastation de la trame arborée, le préfet ne fait qu’exprimer cette réalité terrifiante de la concentration du pouvoir avec son corollaire la marginalisation infantilisante de la population et des associations.

« Navire amiral » ou ferry boat dans la ville

Dans son décor d’opérette, l’autocrate local a fantasmé son tramway comme le « navire amiral d’un réseau global ». La métaphore est vraie surtout par ses aspects militaires. La dévastation programmée sur la trame arborée patrimoniale et la « minéralisation » revendiquée de l’espace public impliquant la puissance de feu des engins de chantier représente bien des objectifs mortifères typiques d’opérations militaires.

Dans la ville future « pacifiée », aux arbres rasés mais restant massivement submergée par la marée automobile, le tramway s’individualisera, surnageant comme la plus grosse machine de transport.

Cependant l’aspect maritime proprement dit de la métaphore est d’autant moins satisfait que le tramway municipal s’est, par le front de convergence, retrouvé en concurrence avec un tram-train.

Dans le monde réel, le « navire amiral » du maire ne quitte pas le port. Il fait des navettes entre deux aires de stationnement autoroutier ; tel est son triste sort : faire des allers-retours exactement comme le faisait le célèbre ferry boat du vieux port à Marseille.

Pour ses va-et-vient à travers la ville entre deux points du « réseau global » qui n’est autre que le « nœud autoroutier », de nouvelles terres agricoles et des espaces champêtres sont réquisitionnés, prévus pour être artificialisés et transformés en « parking relais ».

On ne peut pas empêcher le Grand Timonier maire de fantasmer sur son tramway… Enfermé dans ses navettes au sein de l’agglomération, le tramway satisfait au moins une fonction narcissique identitaire et le grand homme est sûr de le posséder.

Avec l’étoile ferroviaire particulièrement développée sur l’agglomération tourangelle, un tram-train aurait été un projet plus ambitieux et doublement plus respectueux de l’environnement. Puisqu’il se poserait, sans grand chantier, sur l’ensemble de la région comme une réelle alternative à l’automobile. Peu de nouvelle dévastation d’écosystème et alternative réelle à l’automobile, mais avec la « déclaration d’utilité publique » pour le tramway municipal, le préfet n’a pas voulu entraver la volonté de terrassement du territoire exprimée par les engins de chantier.

Pourquoi le tram-train posait-il problème ?

Le tram-train comportait donc un grave handicap politique. Ou exprimé en terme inverse il représentait une grave menace pour le grand projet technocratique actuel de mégalopole concentrationnaire.

Le contrôle total du peuplement du territoire par le jeu souverain de la spéculation immobilière centralisée est une préoccupation constante et vitale pour les autorités politiques ou administratives. Dans l’histoire c’est un axe directeur du développement du capitalisme.

En offrant un plus large champ de circulation sans automobile et la liberté de fuir la ville concentrationnaire à ceux qui peuvent et veulent fuir, le tram-train s’oppose de fait au « bassin de chalandise » et à la constitution de sa « population captive ».

Dans la mégalopole concentrationnaire dominée par la « grande distribution » la visibilité de l’autonomie est abolie. Comme Georges Orwell le fait dire à un de ses personnages de 1984 « Le pouvoir est le pouvoir sur d’autres êtres humains » « sur le corps et surtout sur l’esprit » (3) et l’urbanisme concentrationnaire d’optimisation économique de la population est un travail sur les consciences, l’un des axes de croissance du pouvoir (des transnationales).

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Le tram-train en ouvrant des horizons nouveaux et une liberté de fuir la ville sans automobile s’opposait innocemment au développement local du capitalisme (des transnationales). Dans la mégalopole « les chemins de la liberté » se confondent avec ceux des supermarchés…

« On en prend pour vingt ans ! »

Après la « DUP » servile du préfet, le maire vocifère son PLU et martèle son maître mot « chantier ».

Dans le face à face apparent entre machines, tramway municipal contre tram-train du front de convergence, la technocratie a imposé sa loi et écrasé l’écologie. La ville peut être éventrée, on en prend pour vingt ans : vacarme, poussière, pollution, rues éventrées, arbres abattus, et décibels de chantier sur décibels automobiles.

Par cette victoire obtenue avec la collaboration de l’écolocratie locale, le temps de renouvellement de la ville s’est brutalement réduit, la puissance de feu administrativement libérée et mise en jeu l’a rendu inférieur à une génération. Le Plan d’Occupation des Sols de l’état major, rebaptisé Plan Local d’Urbanisme annonce en vert la couleur de la ville usine supermarché.

Le saccage des allées arborées sur le passage du tramway faisait partie intégrante du projet global de l’état major municipal. Rien n’a donc été lâché, rien n’a été obtenu pour préserver ce que l’on savait très bien pouvoir être préservé ; ni de la part de la municipalité, ni de la part de la commission d’enquête publique ni même du préfet.

Après cette première manifestation de l’arbitraire, le décryptage du PLU, sous l’épais verdissage, s’est simplifié. Tout est explicitement annoncé. Le tramway lancé sur la ville comme le « rouleau compresseur » (4) de l’arbitraire a laminé les habitants, annihilé le débat contradictoire et préparé le terrain du « chantier permanent ».

Chaque mètre carré de surface urbaine est géré de manière binaire et doit être : chaussée pour circulation mécanisée ou habitat densifié. Le PLU a été taillé pour satisfaire la démesure du BTP. « Bitumage et bétonnage restent les deux mamelles de la croissance !»

« Le ciel est, par-dessus le toit » mais aucun arbre n’y « berce sa palme »

En gommant les termes esthétiques et futuristes et les bonnes intentions « vertes », on reconnaît facilement l’enfermement économique programmé pour la population et la financiarisation de l’espace. La « densification de l’habitat » est le mot clé pour lancer l’assaut des engins de chantier. Elle dessine déjà la ville labyrinthique à l’horizon censuré où « le ciel est par-dessus les toits » (5) mais plus aucun arbre n’y « berce sa palme ».

Qu’avons-nous fait pour mériter un tel châtiment ? Rien de répréhensible ! Par la puissance de feu des engins de chantier nous sommes devenus aujourd’hui les habitants d’une ville d’hier, alors qu’a été anticipé dans le passé et projeté aujourd’hui la future ville labyrinthique, usine de notre captivité économique.

Dans un espace urbain, par définition déjà densifié, cet objectif est de fait une rupture supplémentaire avec la terre, une perte nouvelle d’autonomie pour les habitants. Dans un espace urbain agencé de manière binaire comme « machine à habiter » et « machine à circuler » où alternent chaussées et falaises de barres d’immeubles, dans la ville devenue labyrinthique le seul horizon de liberté en dehors de l’écran de télévision est le supermarché avec ses fêtes perpétuelles de la consommation.

Aucun Jardin, aucun mail arboré, aucun lieu public de convivialité, que des lieux d’enfermement sont prévus dans le Plan Local d’Urbanisme : galeries marchandes, galeries d’art, hôtels cinq étoiles, centre disciplinaire sportif ou artistique, centre d’enfermement professionnalisé, hospitalier ou de fin de vie. Le nouvel hôpital Bretonneau a rasé la presque totalité de ses arbres centenaires… Une destruction en règle du tissu social résiduel est programmée par le PLU et son chantier permanent des enfermements.

Si le tramway dans la ville se taille la part du lion en matière de dévastation d’écosystème urbain, il n’est pas l’unique axe de conquête de l’espace; il s’intègre dans le plan d’ensemble. La « requalification » des places arborées de la ville est déjà spectaculaire en matière de réduction drastique de biomasse.

Des Jardins ouvriers livrés aux engins de chantier

Derrière le greenwashing du PLU il est des signes qui ne trompent pas.

Si la densification de l’habitat peut s’argumenter dans une rhétorique écologique sur la base de notions thermodynamiques, la destruction de jardins ouvriers, lourde de conséquences politiques révèle le projet concentrationnaire du maire.

Les jardins ouvriers de Saint Lazare, les derniers de la ville entre la Loire et le Cher sont menacés, directement visés comme espace à urbaniser par le PLU (6). Ils tombent sous le coup de la densification de l’habitat et de la financiarisation de la moindre surface.

Comme pour le saccage de la vallée de la Choisille et l’abattage des allées arborées par le tramway, la destruction de ce site d’autonomie alimentaire est maquillée par un épais tir de verdissage. Des larges surfaces de terres libres de maraîchage actuelles, la municipalité projette en remplacement dans son jargon technocratique l’aménagement d’un « espace vert public linéaire ». Concrètement il faut s’attendre à un stationnement automobile pointillé d’arbustes d’alignement.

Trop près du centre ville et du passage du tramway, ces jardins ouvriers ne pouvaient échapper aux visées spéculatives des promoteurs immobiliers (7). La municipalité a bien intégré leurs exigences dans son Plan d’Aménagement et de Développement Durable.

Dans la série des « requalifications » fonctionnelles, sécuritaires ou hygiénistes, les places de la ville sont aussi concernées par l’accroissement du parking automobile.

La place de la Victoire va perdre sa clôture verte pour être amputée sur toute sa longueur ouest d’un parking automobile en épis. Pour cette mutilation d’espace vert la presse locale a entonné ses refrains stupides de désinformation : « Les rues du Vieux-Tours vont s’offrir un beau lifting » ; « La zone piétonne du Vieux-Tours va se refaire une beauté, dès septembre. Les travaux, étalés sur cinq ans, débuteront place de la Victoire. » (8)…

Récemment la ville a célébré une grande victoire des services techniques sur les chiens, place Letellier. « Les chiens y prenaient leur aises » dit le journaliste « amphorique ». Concrètement, les 25 tilleuls de la place ont été abattus, apparemment à la grande satisfaction des habitants ; les chutes de branches ou de feuilles endommageaient ou salissaient les voitures. Des arbres mieux calibrés, choisis dans la catégorie des arbrisseaux, ont été replantés. Mais aussi en grand nombre, des faux arbres ont fait leur apparition, ce sont ces grands mats métalliques supports d’une plante grimpante formant une sorte de verdure verticale ressemblant à un arbre. Sur sa périphérie, la place a été généreusement grugée pour accroître le parking automobile…

Apparemment fière de son œuvre dévastatrice sur un écosystème, la madame « espace vert » de la ville s’est faite photographier devant la place rectifiée et le journaliste titre son article « La place Letellier monte en gamme » (9). Cet article dithyrambique de la presse pour un massacre à la tronçonneuse d’écosystème urbain suivi d’un bétonnage-bitumage de la place, donne le ton d’une marche militaire joyeuse et volontariste vers un univers concentrationnaire.

« Verts » disciplinés en poche et presse régionale à la botte, l’omnipotent maire potentat local des bétonnières transnationales, a bien compris sa mission de « grand bâtisseur ». Il engage sa ville dans un « New Deal » urbain de survie du capitalisme. Les transnationales peuvent avoir de grandes ambitions pour la ville. Le PLU leur livre la ville.

Tours le 17 février 2011
Fin de la 2e partie
JMS

(1) Penser Tours, Plan Local d’Urbanisme. PADD
(2) Bertrand Méheust « La politique de l’oxymore » Ed. La Découverte 2009.
On peut considérer l’association « national-socialisme » comme un premier grand oxymore du totalitarisme de l’histoire contemporaine. A la même époque l’URSS est à son tour devenu « social-nationaliste »
(3) Georges Orwell « 1984 » Ed. Gallimard 1950
(4) Alain Beyrand « Tours est son tramway rouleau compresseur » ILV édition 2011
Livres sur Tours et son Tramway et son tramway rouleau compresseur
(5) « Le ciel est, par-dessus le toit » poème de Paul Verlaine
(6) PLU Tours Ilot Saint-Lazare Site des jardins ouvriers Saint-Lazare
(7) Jardins ouvriers St Lazare
(8) La Nouvelle République du 16 janvier 2009. Titre et sous-titre de l’article.
(9) La Nouvelle République le 3 janvier 2011 « La Place Letellier monte en gamme »