La mise à sac de la ville a commencé

Les Jours d’après le 12 avril

Les manifestants du comité de protection des arbres ont vite été submergés par la marée répressive déployée sur la ville. La milice privée du maire, la police nationale, la puissance de feu des engins de chantier, les huissiers de justice et autres agents technico-administratifs du « Sitcat » et de la municipalité ont vite eu raison des manifestants.

Engloutis sous le déluge des forces de l’ordre et encerclés par la puissance de feu et le vacarme assourdissant des tronçonneuses et engins de chantiers, leur résistance s’est retrouvée comme instantanément annihilée.

Avec autant d’hommes et de matériel mobilisés sur le terrain pour sécuriser un massacre sur la place publique, la barbarie technocratique a pu exprimer sa haine immense du monde vivant et des hommes. Par cette démonstration de force totale et surtout cette collaboration si étroite et si bien coordonnée entre les polices nationale et municipale avec les chars et armes de chantier des transnationales du BTP, l’arbitraire a triomphé et étale son œuvre, ce désastre irréparable, sur la place publique.

Cette victoire incontestable est celle du complexe militaro-industriel. On a aujourd’hui par la simple brutalité des faits, une réponse évidente à la question posée en d’octobre 2010 : « Mais qui sont donc ceux qui se glorifient de nous avoir vaincu ? » Le titre de l’article était « Ils seront tous abattus ! », cette affirmation était celle prémonitoire d’un des habitants de la ville après « l’avis favorable sans restriction » de la commission d’enquête publique.

Tout est allé très vite. Le mercredi 13 et le jeudi 14 avril, les troisième et quatrième portions du Mail tombaient à leur tour, comme le 12 avril sous la charge concertée des polices et des engins de chantier. Ces deux jours là, la brutalité et le massacre à la tronçonneuse confinaient à la démonstration de force.

Le vendredi 15 avril le mail du Sanitas n’était plus qu’un amoncèlement de cadavres. Un demi-siècle d’histoire vivante venait d’être rayé du paysage de la ville.

Sur ce vaste lieu public de convivialité délibérément dévasté par la municipalité, une concession privé d’exploitation offerte aux transnationales du BTP va prendre place : « Chantier interdit au public », « espace protégé, sécurisé par la société X.»

Ce saccage est l’un des aspects essentiels du projet urbanistique dans la privatisation – financiarisation de la ville et l’inutile axe supplémentaire de transport motorisé électronucléaire », « l’éco-mobilité » chère aux « Verts » en attendant la « voiture verte », en est le deuxième aspect. L’acte d’agression mené par les « élus du peuple de gauche » frappe la population et le saccage barbare du mail est un sacrifice offert aux investisseurs transnationaux. La mise à sac de la ville a commencé…

Ce jour là, après le massacre irrémédiable du mail, les Verts soulagés « se sont lâchés ». Ils ont rompu leur très long silence complice et servile de discipline politicienne, ou tout aussi probablement on leur a donné l’autorisation d’infliger l’humiliation ultime aux manifestants du Codat. Inutile de retranscrire ici leurs propos si délibérément débiles.

Mais le greenwashing de tir de barrage pour la couverture et censure médiatique globale du massacre doit être signalé. Pendant que dans la rue la violence policière réduit à néant la résistance des manifestants, dans les bureaux bien au chaud, l’armée des journalistes, dessinateurs, graphistes et artistes assurait, dans la joie du travail bien fait, la désinformation de la population. « Parc et Jardin, Vive le Printemps ! », tel est le titre du numéro d’avril du Tours info, l’organe de propagande municipale.

Le Dimanche 17 avril, Jour des Rameaux

Sur la centaine d’arbres du mail couchés à terre, terrassés dans la force de l’âge, apparaissaient un à un les signes de la mort. Les oiseaux avaient déserté les lieux, même les moineaux domestiques étaient absents, leur cris et chants venaient de l’autre côté de la chaussée. Les pigeons de passage ne faisaient qu’un bref arrêt sur les branches des cadavres avant de repartir.

Le seul chant d’oiseau audible dans ce secteur du quartier provenait d’une cage sur un balcon du quatrième étage de la barre d’immeuble longeant le mail. L’oiseau exotique si soudainement esseulé semblait interroger l’intense et suspect silence de ce dimanche de printemps.

Très haut dans le ciel on pouvait voir fuser en silence un premier martinet de retour d’Afrique. Cet oiseau n’est pas directement concerné par le massacre du mail, il confirme simplement le printemps. Mais la victoire de la pègre militaro-industrielle avec son néo-urbanisme sécuritaire et hygiéniste, dévastateur des bâtiments anciens et densifié rejetant le « ciel par-dessus les toits », peut le menacer à terme sur ses sites de nidification.

Sur les cadavres d’érables abattus dans la fleur de l’âge, l’apoptose d’automne des feuilles avait débuté. Le pétiole et le limbe avaient perdu leur vigueur, les feuilles ramollies et devenues ternes pendouillaient encore accrochées à leur tige, certaines s’étaient déjà recroquevillées sur elles-mêmes. Celles des érables pourpres étaient fanées et le marron mat et sombre s’était substitué au vif et billant grenat.

L’oiseau enfermé dans sa cage tentait toujours de comprendre ce si soudain « Printemps Silencieux. »

« Nous n’avons rien pu faire pour Choiseul ! »

Après la chute du mail du Sanitas, les membres du Codat ont décidé de porter leur résistance devenue symbolique sur la place Choiseul. Ses deux arcs de cercle de tilleuls se situent très loin du passage du tramway, ne gênant en rien, ils pouvaient être épargnés, comme l’exprimait une partie de la population. Le lundi 18 avril la puissance de feu et la police faisaient tomber les quatorze tilleuls centenaires de cette place historique et emblématique de la ville. « Nous n’avons rien pu faire pour Choiseul !»

Tous les arbres qui étaient prévus pour être abattus sur le tracé du tramway ont été abattus et tous les arbres que la municipalité avait prévu en secret d’abattre en plus de ceux notifiés sur le dossier d’enquête publique ont aussi été abattus. Les 28 tilleuls de la place de la Tranchée, abattus en toute illégalité, les 14 tilleuls centenaires de la place Choiseul et les six lilas des Indes plantés il y a à peine 10 ans en face de la gare et tous ceux du quartier du Sanitas en plus du mail…

Le printemps de Tours a été très court, écrasé comme à Prague par l’offensive concertée des autorités locales et des chars de chantier des puissances transnationales.

Comme l’oiseau en cage, les habitants maintenant inoffensifs, chassés de leur lieu de vie et confinés au silence dans leur logement, observeront les engins du chantier en manœuvres assurer la privatisation et « requalification » sécuritaire de l’espace public.

Nous croulons sous l’insoutenable légèreté de nos droits infinis

Comme le disent encore par routine les journalistes patentés de « nos démocraties », « Nous vivons en démocratie ! », mais notre liberté n’est même plus capable de laisser vivre des arbres parmi nous…

Nous avons le droit de protester, nous avons le droit de contester, nous avons le droit d’exprimer des opinions, nous avons le droit de manifester, nous avons bien sûr beaucoup d’autres droits, celui de nous taire et de nous soumettre et nous avons le droit d’en user et d’en abuser. Nous avons le droit d’être informé en temps utile par des « experts compétents », d’être invité à des réunions publiques et d’écouter des discours politiques, d’approuver des décisions déjà prises. Nous avons le droit de participer à des séances de « démocratie participative » parce que notre participation active ou passive est nécessaire à la « démocratie ». Nous avons le droit d’approuver les justes décisions de nos élus sortis des urnes. Nous avons aussi le droit de les applaudir, de les admirer, de les plébisciter même… Nos droits en démocratie semblent pouvoir s’étendre à infini… Mais face la barbarie, le pouvoir réel de nos droits infinis tend brutalement vers un néant, l’inutilité infinie de nos droits nous afflige tellement nous croulons sous l’insoutenable légèreté de nos droits infinis.

Lire aussi :  Tu l'as vue, ma grosse bagnole?

Cette croissance infinie de nos droits dans le monde virtuel de « nos démocraties » n’est en définitive qu’une mesure de notre précarisation continuelle dans le monde réel. Par cette annihilation institutionnellement planifiée en bureau d’étude de nos vies, nous n’avons tout simplement plus aucun droit, puisque nous n’existons plus.

Face à la spoliation de notre lieu de vie, face à la privatisation de l’espace public, nous n’avons réellement plus aucun droit.

Cette réalité terrifiante de notre annihilation sociale programmée a été exprimée en toute innocence par un représentant élu de « Nos Démocraties ». A Stuttgart après le paroxysme de violences policières contre les habitants de la ville qui voulaient sauver la gare historique de leur ville avec son jardin arboré; un officiel de la « Démocratie » s’est exprimé ainsi pour justifier la barbarie: «Les manifestants ont le droit de protester, mais pas celui d’empêcher la mise en œuvre d’une décision « démocratique» et «légitime»!»  Le haut dignitaire serviteur élu de la « démocratie nouvelle des transnationales » tentait de faire comprendre en toute logique technique qu’il faut se taire et savoir se soumette en face des machines. La puissance de feu des engins de chantier règle définitivement le débat démocratique…

Le pouvoir est au bout des engins de chantier et de la puissance de feu monopolisée par les transnationales…

Offensive du capitalisme et éco-fascisme

La mise à sac de la ville a commencé par un acte sacrilège, un massacre d’arbres au début du printemps. Mais si, aujourd’hui, de nombreux habitants pleurent leurs arbres massacrés et n’arrivent toujours pas à comprendre ce paroxysme de violence, si d’autres sont révoltés contre l’arbitraire municipal, scandalisés par la cruauté de la police, si de nombreuses personnes de tous les horizons politiques sont écœurés par la servilité des « Verts » dans la « Gauche Plurielle », si les associations naturalistes mesurent l’infinie inutilité pratique de leur savoir écologique et si les activistes du Codat prennent conscience de la si brutale annihilation de leur résistance; il est d’autres personnes dans la ville, faibles en nombre mais toutes puissantes par leur pouvoir financier et leur position dans l’appareil technico-politique pour se satisfaire du massacre. Leur bien être idéologique s’exprime dans leur langage soigné par cette courte phrase « l’éco-mobilité du tramway est une opportunité pour redynamiser l’immobilier », « une chance pour la ville ». Le tramway charriait dernière lui le PLU avec la généreuse redistribution des secteurs de la ville aux bétonnières transnationales. Avec le béton et le bitume coulés par millions de tonnes, l’éco-mobilité électronucléaire et la « minéralisation » du « quatrième paysage », les transactions commerciales vont croitre et se multiplier, « une chance » pour la croissance des flux financiers en volume et en nombre…

Ainsi, avec la chute massive des arbres si diligemment menée par la « Gauche Plurielle », la ville de Tours ne souffrira d’aucun retard pour s’inscrire dans la mondialisation « néolibérale ». Car si les promoteurs et investisseur locaux se frottent les mains, c’est à l’international que la ville est en vente. Si le Régime Ben Ali avait pu être sauvé à temps par les « savoir-faire » de la police nationale française, la famille du rempart anti-islamiste aurait pu très généreusement faire l’honneur à leur camarade Jean Germain de l’internationale socialiste de venir investir dans la ville; des hôtels cinq étoiles et un gratte-ciel sont prévus par le PLU pour la jet set et les nouveaux riches « unis de tous les pays ».

Mais c’est vers la Chine que les yeux de notre histrion maire sont tournés. Après les massacres sur la place publique, ses séjours linguistiques en Chine s’éclairent d’un jour nouveau. Il n’y allait pas seulement pour parfaire sa « langue de bois » ou briller dans la politique de l’oxymore mais bien pour acquérir les méthodes musclées du régime. A n’en pas douter, par ses relations assidues, les nouveaux riches de l’Empire du Milieux s’ils investissent en Touraine éliront le camarade Germain « Petit Timonier » du tramway, son « Navire Amiral ».

Le programme politique général de la grande braderie internationale du territoire a été formulé comme un idéal par un quadruple ministre de la République, lors d’une conférence devant une « citerne de pensée » américaine en 2006 : « France, a Paradise for foreign investors ?» Le « think tank » a été honoré et comblé par les promesses irrésistibles de la ministresse.

Fabrice Nicolino dans le post-scriptum de son livre « La Faim, la Bagnole, le Blé et Nous » s’est interrogé, sans pouvoir vraiment y répondre, sur la signification du point d’interrogation final du titre. Car d’évidence, pour cette dévouée militante du marché, la France est bien un paradis pour les « investisseurs transnationaux » (1).

L’expérience tourangelle avec le comportement des divers protagonistes institutionnels, peut apporter des éléments de réponse à l’interrogation de l’écologiste auteur de ce livre dénonçant la criminalité intrinsèque des « biocarburants ».

La police la plus puissante du monde a montré son volontarisme pour terroriser la population et l’expulser de ses lieux de vie. Aucune des grandes formations politiques locales ne s’est manifestée pour arrêter le massacre, la société civile s’est retrouvée seule confrontée à la barbarie. Et surtout l’écolocratie a été d’une exemplarité parfaite dans le registre de la servile discipline politicienne. Avec ces trois éléments et en particulier le dernier, il n’y a plus aucun doute possible, Le Jardin de la France est déjà pensé par la classe politique dans son ensemble comme un paradis « for the foreign investors ! »

La résistance des activistes n’est plus un problème.

Les violences policières ont été « lavées » », « éco-labélisées » par la prise de parole dans la presse du chef des « Verts » locaux après le désastre irrémédiable. Son « greenwashing » de bénédiction fait bien du Jardin de la France l’Éden des investisseurs supranationaux…

Eco-fascisme et fer de lance du FMI

Après ce paroxysme de violence policière sur la place publique commandité par la « Gauche Plurielle » et ce silence assourdissant des Verts pour offrir l’agglomération aux « Foreign investors », la distribution des cartes politiques nationales changent radicalement ou s’éclaire sous un autre jour.

Dans la comédie politicienne et la marmaille bruyante des partis et histrions politiques mises en scène par la presse, le FN n’est plus rien d’autre que le faire valoir de la « Gauche Plurielle ». Cette puissante formation politique de gauche à géométrie variable s’affirme comme la représentante nationale officielle du FMI. Avec dans ses entrailles politiques des « Verts » à ce point serviles et disciplinés, cette « Gauche Plurielle » triomphante dans la barbarie se positionne définitivement comme l’avant-garde de l’éco-fascisme. Ce nouveau courant, avec son tintamarre assourdissant d’éco-labels et sa démagogie sociale, se manifeste par ses diverses réalisations urbanistiques. Mais il reste en définitive un « techno-fascisme » post-idéologique, comme le Toyotisme et comme le sont aujourd’hui les biocarburants ou le nucléaire d’après Tchernobyl et Fukushima avec leurs « énergies renouvelables » et « énergie recyclable » pour « sauver la planète ».
Qui aujourd’hui, après ce massacre insensé, cet acte sacrilège délibéré sur la place publique, pourrait donner une autre interprétation ?

« Ils ont tous été abattus ! »

Tours le jeudi 21 avril 2011

(1) Fabrice Nicolino « La Faim, la Bagnole, le Blé et Nous » « une dénonciation des biocarburants. » Fayard 2007

Un commentaire sur “La mise à sac de la ville a commencé

  1. stefanopoulos

    Jean-Marc, rajoutez dans le titre ou le début de l’article que tout ça se passe à Tours… Parce qu’il faut attendre la 90e ligne pour le comprendre 🙂

Les commentaires sont clos.