Total nous cache des choses ? Je le savais !

Si le titre est humoristique, le contenu de l’article ci-dessous l’est moins. Et ce contenu est riche, au moins autant que la fortune de la multinationale ! 

L’opacité Total

Total soutient officiellement les initiatives en faveur de la transparence financière. Mais en étudiant les données fournies par la major pétrolière, on découvre qu’elles sont largement insuffisantes.

Quand il s’agit d’impôts, le groupe Total est plein de bonnes intentions. Quand les militants des droits de l’Homme ont demandé des comptes à la première société française pour éclaircir ses liens avec la junte birmane, bénéficiaire de l’exploitation des pétrolières, le PDG Christophe de Margerie leur a répondu ceci :

Quand on est dans un pays, on paie des impôts, qui sont censés bénéficier à l’ensemble de la population. Je ne suis pas là pour juger ce que le pays fait de ces impôts.

L’argument est discutable. Même si Total ne met pas directement de l’argent liquide dans les poches des dictateurs birmans, le secret de ces versements rend toutes les dérives possibles. Une opacité fiscale qui facilite la corruption, en Birmanie comme ailleurs.

Selon le rapport annuel du groupe, la charge d’impôts de Total en 2009 représente 7,751 milliards d’euros. Mais le document oublie de préciser à combien, à quel pays et à qui sont versés ces contributions fiscales.

Depuis la création de l’organisation internationale ITIE (Initiative sur la transparence des industries extractives), la question de l’accès aux données financières des industries extractives (mines, gaz et pétrole) est considérée comme un enjeu de démocratie. Son argument : plus de transparence permettrait de limiter l’évasion fiscale, de lutter plus efficacement contre la corruption, de faciliter la bonne gestion des ressources. Dans les régions très pauvres où elles travaillent, les majors des hydrocarbures ou des minerais ont un impact important sur l’économie de pays entiers.

Poussé par des ONG, Total a fini par s’engager dans ce sens et affirme soutenir l’ITIE depuis sa création, en 2002. Sur le site web du groupe, on peut lire la déclaration suivante:

Total s’engage en faveur d’une transparence rigoureuse et participe activement aux initiatives et dialogues intergouvernementaux sur le sujet.

Passés ces beaux engagements, le groupe pétrolier a concrètement diffusé huit documents, précisant son activité et les taxes payées dans huit pays. De plus, les dirigeants de Total ont tenu à faire savoir qu’ils payaient 300 millions d’euros par an à la France, principalement au titre de la contribution économique territoriale (anciennement taxe professionnelle).

Or, les données se révèlent contradictoires : pour l’année 2009, Total déclare dans ce document avoir payé 8,849 milliards d’euros d’impôts aux dix pays représentant 69,6% de sa production… alors que son rapport annuel annonce que le groupe a versé 7,751 milliards en contributions fiscales pour l’intégralité de ses activités. Derrière cette incohérence, le problème des chiffres fournis apparaît : plutôt que de donner le détail, Total ne livre que des données agrégées qui ne rendent aucun compte de la complexité des taxes et contributions payées dans chaque pays, dont on peut avoir une idée en regardant un tableau plus complet fourni pour le Nigeria.

Selon les pays, Total ne verse pas un mais deux principaux types d’impôts : les royalties, en fonction des quantités extraites, et les impôts sur les bénéfices des résultats de la filiale locale. La charge d’impôt annoncée dans le rapport annuel ne représente que les sommes payées sur les bénéfices. Les royalties, elles, sont intégrées dans les charges d’exploitation, un ensemble indéfini de 18,591 milliards d’euros. Impossible de croiser les données nationales avec celles, globales, du rapport annuel. Et donc impossible d’obtenir des informations indirectes sur les sommes versées en dehors de ces dix pays.

Les pays sur lesquels Total ne communique pas n’ont pas été laissés dans l’ombre par hasard. Birmanie, Azebaïdjan, Libye, Iran, Syrie et Yémen sont précisément les pays visés par les ONG de lutte anti-corruption. Celles-là même qui militent pour la transparence des données financières. Or, sans les données précises, filiale par filiale, impossible d’établir un état des lieux des impôts payés et de respecter le niveau de « transparence » dont se réclame le géant pétrolier.

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Le pétrolier français opaque… à 90,5%

Parmi les études sur la transparence des compagnies pétrolières, le rapport Beyond the rethoric, réalisé par l’ONG Save the children en 2005, visant précisément à mesurer l’adéquation entre les discours tenus et les actes. Les résultats de Total y sont catastrophiques : noté sur 100, comme les autres compagnies, le pétrolier français obtient un score de 9,5, ce qui en fait la cinquième compagnie la moins bien notée. Les quatre dernières étant des compagnies nationales chinoises, russe et malaisienne. Lesquelles n’ont jamais pris le moindre engagement en matière de transparence.

Le résultat de cette étude est clair : en 2005, la participation de Total à l’EITI n’est qu’une démarche de communication. Piqués au vif, les dirigeants de Total ont décidé en réaction de diffuser certaines données. Celles-là même dont nous avons prouvé la pertinence plus haut…

Pour justifier ce manque d’informations, un argument revient régulièrement : « ce sont les dirigeants des pays en questions qui refusent de diffuser les chiffres, se défendent les majors. Qui sommes-nous pour diffuser ce qu’ils souhaitent garder confidentiel ? » Pour étudier la validité de cet argument, Transparency a comparé les informations publiées par différentes compagnies pour un même pays.

Pour un même état, les quantités de données fournies sont très différentes selon les compagnies. Et Total est toujours derrière ses concurrents. Les annexes du rapport de Transparency recèlent même une surprise de taille : c’est en France que Total obtient le plus mauvais score sur la diffusion des données, 8% pour une moyenne mondiale de 53%. C’est donc dans son pays d’origine que le pétrolier est le plus opaque.

Les pays pauvres ont intérêt à la transparence de Total

Après un examen attentif des démarches de Total en matière de transparence, la « transparence rigoureuse » se révèle n’être qu’un bel engagement. Un constat d’autant plus décevant que toutes les compagnies pétrolières ne pratiquent pas l’opacité. Il suffit de consulter le rapport ITIE de la Norvège pour réaliser que certains états ont réussi à forcer la main des industriels. Contrôlées par un cabinet d’audit, les quelques pages consacrées à ce pays détaillent les quantités de pétrole extraites et les impôts payés, taxe par taxe, compagnie par compagnie.

Ce type de publications de données complètes, détaillées et auditées sont en substance la demande des ONG actives sur le sujet pour une réelle transparence fiscale. Certaines exigent ainsi un état des lieux public et obligatoire des bénéfices et impôts, pays par pays, pour toutes les multinationales. Des données dont dispose n’importe quelle société.

Envisagé dans un cadre global, ce débat diplomatique donne lieu à un intense combat de lobbying : les multinationales ont des moyens gigantesques, les militants ont l’opinion publique avec eux. Au Royaume-Uni, des activistes ont commencé à monter des actions contre les multinationales sur ce thème. Des organisations ont été spécialement créées, comme Publish what you pay.

Total a intérêt à la transparence.

Une fois décryptée la communication de Total, cette phrase de Thierry Desmarest, président du conseil d’administration de Total, mériterait une correction : ce sont les pays les plus pauvres qui ont le plus d’intérêt à la transparence de Total. L’évolution de la situation internationale semble montrer la voie d’une plus grande exigence. Si le pétrolier souhaite traduire son engagement pour une transparence financière réelle, c’est le moment d’agir.

Source: OWNI

Illustration: CC FlickR: Hugo90

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