Dernières vacances avant la récession

Jeudi 23 juin, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a décidé de mettre sur le marché 60 millions de barils de pétrole issus de ses réserves stratégiques, pendant un mois, soit 2 millions de barils par jour. Le ministre de l’industrie, Eric Besson, et les médias ont interprété cette largesse comme une aubaine destinée à satisfaire l’”énergivoracité” de nos automobilistes à la veille des vacances d’été, en poussant les prix des carburants à la baisse.

Telle n’est pas mon interprétation. Il s’agit plutôt d’un geste désespéré du club des pays riches pour tenter de sauver la maigre croissance actuelle et d’éviter la récession qui s’annonce à l’automne.

Les plans d’austérité, grec ou britannique, la réduction des services publics et l’augmentation tendancielle des prix de l’énergie demeurent les instruments fatals d’une économie productiviste moribonde. L’ultime tentative de baisser artificiellement les prix des carburants produira l’effet inverse d’une politique rationnelle de l’énergie : un accroissement de la demande comblant une ivresse estivale avant la sobriété contrainte pour Noël.

Cette parade dérisoire fut sans doute guidée par les Etats-Unis qui ont dépensé 900 milliards de dollars (645,4 milliards d’euros) depuis novembre 2010 pour racheter leur dette afin de réduire la hausse des taux d’intérêt. Ce processus (“quantitative easing”, QE) s’achève le 30 juin. Le président de la Réserve fédérale, Ben Bernanke, et le président Barack Obama avaient justement anticipé que le premier semestre 2011 ressemblerait au premier semestre 2008.

Afin d’éviter que le second semestre 2011 ressemble au second de 2008, nos dirigeants prescrivent deux remèdes – QE et déstockage du pétrole stratégique -, un soulagement de court terme à la maladie mortelle qu’est la raréfaction des matières premières bon marché, pétrole en tête.

L’autre raison officielle invoquée provient de la situation en Libye et de l’incapacité des membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) à s’entendre pour augmenter la production de pétrole. Par la mise sur le marché d’une partie de ses réserves stratégiques, l’AIE compenserait la chute des exportations libyennes, accordant ainsi un délai supplémentaire à la coalition franco-britannique pour se débarrasser de Kadhafi et pour ériger le Conseil national de transition (CNT) en gouvernement d’accueil pour les transnationales pétrolières occidentales. Si l’on ne peut prédire à quel niveau se ferait la reprise des exportations libyennes de pétrole, on ne doit pas ignorer que le pic de production est déjà passé dans ce pays.

Fondamentalement, l’ancien monde d’une croissance forte soutenue par des bas prix de l’énergie est désormais mort. Néanmoins, la nostalgie du passé aveugle encore nos dirigeants, et les candidats à la présidentielle, en France comme aux Etats-Unis, ignorent que notre industrialisme n’est qu’une machine thermodynamique qui convertit des inputs énergétiques en biens et services. La loi de l’entropie s’impose à la fin, c’est-à-dire aujourd’hui.

La seule solution pour éviter la récession serait une augmentation permanente de la production de pétrole bon marché. L’impossible réalisation de ce fantasme nous conduit à l’autre solution : la décroissance massive de notre consommation de pétrole, que nous le voulions ou non.

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Le petit choc sur l’offre de pétrole, déduit de la vente décidée par l’AIE, sera suivi sous peu d’un rebond à la hausse du marché pétrolier. Quand le marché est fâché, il fait toujours ainsi. Lorsque la décision artificielle de l’AIE sera démasquée – elle ne pourra pas une seconde fois vendre une partie de ses réserves -, le marché réalisera que le problème sous-jacent est plutôt la carence de toute marge de manoeuvre et la possibilité conjointe de pénurie relative.

Offre inélastique, demande croissante : les prix remonteront sans doute plus vite et plus haut, deviendront plus volatils encore dans une sorte d’agitation brownienne des acteurs de ce jeu. Heureusement, la réalité n’est pas financière, elle est géologique et nous possédons quelques bons scénarios de la déplétion du pétrole, reposant sur des principes physiques intangibles.

Parallèlement, le système financier occidental reprendra à l’automne les mêmes fantaisies dramatiques qu’il avait mises en scène à l’automne 2008. La guerre des monnaies entre l’Euroland et la finance anglo-américaine est la partie visible de la croissance des dettes souveraines d’un côté de l’Atlantique comme de l’autre. La “reprise” chantée en boucle par nos politiques au printemps se transformera en récession à l’automne.

Face à de telles menaces, l’étonnement nous saisit à la lecture des documents distribués et des débats tenus sur les orientations des finances publiques pour 2012, lundi 27 juin, à l’Assemblée nationale. La majorité UMP comme l’opposition socialiste retiennent des prévisions de croissance supérieures à 2 % pour le prochain quinquennat. Les écologistes 1 %. Hormis la récitation rituelle de la prière croissantiste, sur quelles analyses s’appuient-ils et de quelle vision de l’avenir s’inspirent-ils pour imprimer et exprimer de tels chiffres ?

Il n’y a que deux façons d’organiser le découpage des parts du PIB. Le système des revenus et des prix est la première et permet aux riches de s’enrichir plus encore en période de croissance, laissant aux pauvres quelque pouvoir d’achat misérable. Lorsque la récession survient, le risque de révolte sociale grandit. Le premier système de découpage du PIB est insupportable, comme on le voit en Grèce et en Espagne. Le rationnement, deuxième façon de découper le PIB, devient alors la seule politique possible pour éviter le chaos social : chacun reçoit la même part, qu’il gagne 1 000 ou 10 000 euros par mois.

La solidarité est pensée à partir de la personne et non du poste de travail. Organisons ainsi l’accès aux biens de base, cela est juste socialement et bon moralement. Economie de guerre ? Electoralement inenvisageable ? Je prends le pari aujourd’hui, contre Nicolas Sarkozy et Martine Aubry, que la récession imposera cette politique.