Life-Style Center: le concept ultime de la fin de la ville

Tout le monde connaît les centres commerciaux, déclinaison européenne des malls américains, ces superstructures bagnolo-dépendantes de la surconsommation localisées près des autoroutes ou autres rocades. Mais connaissez-vous les Life-Style Centers?

Le centre commercial classique (Cf photos ci-dessus et ci-dessous) est constitué en général d’une immense boite remplie de commerces de détail et d’un hypermarché, entourée de gigantesques parkings à perte de vue. Il s’agit à la base d’un concept assez hallucinant car les consommateurs viennent y chercher, en voiture, une sorte d’expérience de « vie sans voiture ».

Car une fois la voiture garée sur le parking, le but consiste à déambuler dans les allées, de commerce en commerce, pour essayer coûte que coûte de maintenir un taux de croissance de l’économie supérieur à 1% afin de pouvoir rembourser les dettes faramineuses de nos sociétés de surconsommation. Cherchez l’erreur…

La photo ci-dessus représente un mall du New-Jersey, mais vous devez avoir quasiment le même situé sur la rocade près de chez vous.

Pour agrémenter la marche des promeneurs consommateurs, on trouve parfois des arbres en plastique ou des fontaines propices à un court arrêt pour consulter les dernières offres promotionnelles sur son smartphone.

Ce concept de désurbanisme est en plein développement en France, alors même qu’il est aujourd’hui en crise aux Etats-Unis, pays qui l’a vu naître: 20% des 2.000 plus grands malls du pays seraient aujourd’hui en faillite.

Vue Google Earth du mall Dixie Square à Harvey (Illinois, Etats-Unis) : depuis 1985 cet immense mall est presque entièrement vide ; sa taille et celle de ses parkings (greyfields) en font un problème urbanistique insoluble pour cette suburb de Chicago

Un site, Deadmalls.com (supermarchés morts.com)  rassemble d’ailleurs les photos de centaines de sites de supermarchés abandonnés.

Parmi les raisons invoquées pour expliquer cette crise, une évolution des modes de vie, le retour de certaines classes moyennes en centre-ville, un retournement anti-consumériste d’une partie de la population, un endettement et un appauvrissement général, une augmentation du coût de l’essence, etc.

N’importe quelle personne sensée en tirerait la conclusion qui s’impose: re-créons de la véritable ville, mixant activités, habitat et commerces de proximité, tout en favorisant le partage de l’espace public.

Les américains ont trouvé une autre solution, le Life-Style Center.  Benjamin Assouad nous décrit ainsi dans le détail cette innovation urbanistique dans un article intitulé « Le mall est mort… Vive le life-style center !! »

En gros, il s’agit rien de moins que de fabriquer un faux centre-ville dédié à la surconsommation. Cela ressemble à deux gouttes d’eau aux rues piétonnes européennes sauf qu’ici, il n’y a rien derrière les façades, il s’agit d’un décor de carton pâte.

Americana, le life-style center de Glendale au nord de Los Angeles (Californie, Etats-Unis) : on a l’impression d’être en ville, mais cela n’est qu’une impression : ici, tout est neuf et faux et, comme dans les studios d’Hollywood, le soir on ferme, et il ne reste que des décors vides.

Comme le dit Benjamin Assouad, « depuis les années 1930 les politiques de la « quatre-façades » individuelle et du « tout-à-la-voiture » ont conduit à la destruction systématique des centres-villes américains. Qu’à cela ne tienne, avec les life-style centers, des développeurs commerciaux s’évertuent à en recréer artificiellement« .

La photo est particulièrement saisissante, cela pourrait être un centre-ville typique d’une grande ville française. Mais la vue aérienne du Life-Style Center donne une toute autre perspective:

Lire aussi :  Les coûts de la pollution pour la société

Vue Google Earth d’Americana, le life-style center du nord de Los Angeles (Californie, Etats-Unis) : on y devine des espaces publics factices (terrains engazonnés, bassins, palmiers) entourés de bâtiments pseudo urbains avec commerces en rez-de-chaussée ; mais derrière les façades de cette pseudo-ville, ce qui impressionne, c’est la place occupée par la voiture (parkings, autoroutes urbaines), en total décalage avec l’urbanité revendiquée.

Avec le Life-Style Center, l’expérience de « vie sans voiture » est encore plus forte car vous avez réellement l’impression de vous promener dans des rues piétonnes, même s’il a fallu pour cela parcourir 30 km en voiture et la garer sur un gigantesque parking de 2.000 places…

Et ici, pas de lien avec les autres quartiers attenants, seulement des parkings et des autoroutes urbaines qui ceinturent un îlot protégé de surconsommation. Car, évidemment, ici pas de clochards qui viennent vous solliciter, la sécurité et les caméras de vidéo-surveillance veillent au grain.

On voit ainsi que le concept du Life-Style Center constitue sans doute un stade ultime de la destruction de la ville: mieux mimer ses apparences pour mieux nier sa réalité (l’échange, le partage, la mixité, etc.).

Alors, on pourrait conclure sur le ton légèrement méprisant d’européens qui eux, ont conservé leurs rues piétonnes et leurs centre-villes à peu près intacts et n’ont pas besoin de ces « parodies de ville ». On pourrait se moquer assez facilement de ces excentricités d’américains qui ne savent plus quoi faire pour maintenir à tout prix leur société de surconsommation.

Sauf que… à y regarder de plus près, quel est le véritable état actuel de nos centre-villes? Les rues piétonnes des grandes villes françaises ne constituent-elles pas elles aussi des Life-Style Centers à l’américaine. Au bout du compte, qui copie réellement qui?

En effet, au centre des villes françaises, beaucoup de quartiers concentrent commerces et bureaux et, comme dans le cas de Glendale, « le soir on ferme, et il ne reste que des décors vides ».

La mixité qui caractérisait la ville ancienne européenne est désormais assez largement un mirage. Le coût du foncier a découragé bon nombre d’habitants, qui désormais vivent en banlieue dans un lotissement, et viennent en centre-ville le samedi en voiture pour faire leur shopping, voiture qu’ils garent dans un gigantesque parking-relais ou autre parking souterrain géré par Vinci… le tout sous le contrôle de toujours plus de caméras de vidéo-surveillance…

Bref, qu’est-ce qui différencie vraiment les rues piétonnes de Lille ou de Lyon du Life-Style Center de Glendale? Peut-être une certaine idée du partage de l’espace public, même si, là encore, les privatisations de l’espace public sont de plus en plus fréquentes chez nous aussi.

Mais surtout, la notion d’échange entre quartiers et de connexions, l’utilisation du vélo et des transports en commun, en particulier du tramway et de son urbanité, et donc l’idée que la voiture n’est pas forcément indispensable pour accéder au centre de la ville et à ses aménités.

En fin de compte, assez peu de choses, mais peut-être l’essentiel…

8 commentaires sur “Life-Style Center: le concept ultime de la fin de la ville

  1. MOA

    En effet, les ricains n’ont qu’à observer ce que deviennent nos villes.

    Embourgeoisement de nos centre-villes.
    Centre-ville musée.
    Caméra de surveillance au coin des rues.
    Rues purement commerçantes.
    Les SDF ne sont pas bienvenus et sont exclus des centre-villes.

    C’est l’avenir de nos villes ; notamment celles qui veulent se donner une dimension de capitale européenne.

    Propre, lisse, rien qui dépasse, plat, gras, (bio)-diversité-zéro.

    Ajouter à ça un aéroport à droite ou un centre de nano-bio-technologie à gauche histoire de faire encore plus gras et d’attirer le cadre (qui encadre que dalle) dynamique au fort pouvoir d’achat.

    Et après on s’étonne que ça brule dans les quartiers délaissés et que le feu déborde dans les centre-ville.. la solution? caméras, flics et loi liberticide bien sûr.

  2. Le cycliste intraitable

    Tout à fait d’accord avec le propos, qui montre que nous ne sommes pas forcément mieux que les Américains, à trop avoir cherché à les singer…

    Ce phénomène se voit particulièrement bien dans les villes et les villages réputés authentiques, où la réhabilitation du centre-ville s’accompagne souvent d’un embourgoisement et d’une muséification destructeurs de diversité, sauf là où les logements pas cher attirent les familles modestes. Trop de villages, à force d’être mis en valeur pour attirer les touristes, sont devenus inhabitables tant le flot de visiteurs est insupportable pendant la haute saison et tant le village se meurt une fois les visiteurs partis.

    Ensuite, au nom de la « protection du patrimoine », toute évolution est très entravée. On oublie que tous les centres-villes sont faits de bâtiments qui datent du milieu du XVIIIè siècle au début du XXè siècle, époque de centralisation où il était bien vu d’imiter Paris. Où est la typicité ?

    Mais de nombreux quartiers résidentiels subsistent en centre-ville et la mixité sociale qui y règne, tant que ses habitants n’ont pas tous succombé au mirage de la « maison à quatre façades », est la meilleure protection contre l’évolution vers un life-style center à l’européenne.

  3. Legeographe

    Très très bon article, et très bon questionnement sur la dialectique US/Europe (comme l’a remarqué Le Cycliste Intraitable).

    Qui copie qui ? …

  4. Joshuadu34

    Excellent article, en effet, mais qui mériterait, je pense, un approfondissement sur le comportement social et l’habitat américain, diamétralement opposé à celui de l’Europe (centres ville bourgeois et périphérie paupérisée en europe, et centres villes pauvres et exempts de toute mixité sociale et périphérie riche et surprotégée, en fonction des revenus, aux USA). On pourrait même aussi parler de ces banlieues forteresses, qui reproduisent le même schéma que celui des centre commerciaux cités protégés comme fort Alamo… La culture US est encore plus tournée vers l’auto, pays producteur aidant, et permet d’aller jusqu’au bout d’une logique que la vieille europe ne fait qu’éfleurer dans l’excès de bagnoles.

  5. Alain

    Moa: ce que tu décris, on dirait là où j’habite, du moins l’agglo où j’habite: TOURS (37).

    Politiques tous debout pour avoir un aéroport (pour notre bien, bien sûr).
    Des rocades coute que coute (pour notre bien, bien sûr).
    Des soutiens sans faille à n’importe quel supermarché qui veut s’implanter (pour notre bien, bien sûr).

    Eradication des arbres, tramway imposé, vidéosurveillance développée. Mais bien sûr, pour notre bien, et surtout à grands renforts de discours car tout cela c’est du développement durable donc pour notre bien et surtout celui de la planète.

    Mort de rire à écouter ou à lire, triste à voir!!

  6. Jean-Marc

    On peut se poser la question, effectivement…

    surtout que les commercants français seraient (pour une partie non négligeable) favorable à ce life style center sans SDF ni habitants :

    suffit de voir les arrêtés « anti-mendicité », les picots « anti-pigeons » (impossible de s assoir), les bancs d abribus penchés « anti-pluie » (impossible de s allonger dessus sans glisser), ou autre interdiction de boire sur la voie publique ou d avoir un chien non tenu en laisse, ou autre.

    (sans parler des pratiques illégales, dont certaines pratiquées en région PACA : ramassage des SDF dans les beaux quartiers, pendant la saison touristique, pour les lacher à 10 km dans la campagne, pour qu’ils ne reviennent plus dans la partie touristique de cette ville)

  7. victor

    article très intéressant en effet. nous vivons dans le royaume du faux semblant…

    On pourrait aussi faire un parallèle entre les life-style center et les nombreux complexes touristiques qui se développent un peu partout en recréant des décors artificiels qui recherchent vainement la « tradition ».

    Dans les deux cas, il s’agit de sites déconnectés de leur contexte et reliés directement aux « consommateurs » par des lignes aériennes ou routières.

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