L’espérance de vie théorique d’un complexe militaro-industriel

Réflexion sur l’Après Fukushima 2ème partie.

Plus que tout discours écologique ou scientifique, la catastrophe de Fukushima annihile les prétentions construites du nucléaire à « sauver la planète ».

L’histoire connaît bien son origine intrinsèquement militaire et criminelle, même si la puissante propagande de « l’atome pour la paix » a su la faire oublier y compris dans le pays où l’arme atomique a frappé par deux fois sur les populations civiles.

Si un nombre toujours plus grand de personnes prend conscience de la criminalité intrinsèque du nucléaire dit « civil », le Léviathan technocratique à la tête du complexe militaro-industriel n’a pas le moins du monde été ébranlé par « l’événement de niveau 7» de Fukushima.

Divertissement et militarisme

La prise de conscience n’est pas en mesure de lutter contre l’inertie sociétale construite par les multiples disciplines techniques pendant plus d’un siècle de militarisme industriel. Mais plus que l’immensité écrasante de l’édifice industriel, plus que toute propagande nationaliste, plus que tous les patriotismes économiques ou discours nucléaristes sur l’énergie recyclable pour « sauver la planète », plus que le professionnalisme des journalistes en matière de désinformation de masse; l’inertie sociétale sécurisant l’ensemble de l’édifice est aussi une gigantesque entreprise à part entière. Elle relève de la tentaculaire industrie du divertissement. Contre cette machine d’envoûtement de masse, de sécurisation sociale du nucléaire, les discours techniques rationnels ou même scientifiques anti-nucléaire, n’ont aucune prise. Le dénombrement morbide des cadavres et des irradiés et des futurs cancéreux, la dénonciation des dévastations sur les écosystèmes n’ont que très peu d’influence durable sur les prises de conscience. L’industrie de l’abêtissement de masse ou de l’infantilisation permanente est le socle ou la camisole de force sécurisant l’édifice nucléaire et cette industrie au Japon est l’une des plus puissantes du monde. La sortie du nucléaire relève de la mission impossible face à l’efficace puissance d’envoûtement de la télévision et surtout des flux permanents de jeux high-tech et individuels assurés par les « Playstations ».

Contrairement au Japon, pour comparaison, le redoutable complexe militaro-industriel soviétique, n’a pas su développer cette puissante et innovante industrie du divertissement pour sécuriser la pérennité de son empire. A la fin du 20e siècle, on jouait encore aux échecs en Russie, « comme au Moyen Age ! » Dépourvu de cette indispensable industrie, arme redoutable dans le contrôle ludique des consciences, le régime soviétique n’a pas survécu à Tchernobyl. Ironie de l’histoire c’est justement un ancien champion d’échecs de l’ère soviétique qui sert d’opposition « démocratique » au système Poutine, un ex du KGB… L’onde de choc de la catastrophe nucléaire a frappé et ébranlé l’empire dans son ensemble … L’effondrement a été brutal.

Aucune crainte de ce type en perspective pour le Toyotisme, il dispose à sa botte et pour tous ses services, de scientifiques et informaticiens à la pelle. Il occupe de menues mains consciencieuses dans ses usines, divertit des millions d’hommes et de femmes de tous âges à travers le monde et bien sûr brasse des milliards de dollars. C’est pour lui et l’industrie automobile que turbinent les centrales nucléaires au Japon…

Le Léviathan technocratique avec toute sa puissance scientifique et industrielle d’abêtissement et d’infantilisation garde l’initiative et les mains libres pour sa fuite permanente dans la démesure. Sur cette base sociologique solide de contrôle durable des consciences, quelle peut être l’espérance de vie théorique d’un complexe militaro-industriel modèle économique à l’ère de l’énergie nucléaire ?

Divertissement encore et espérance de vie du nucléaire

Three Mile Island 1979, Tchernobyl, 1986, Fukushima 2011, trois « événements nucléaires » majeurs en moins d’un demi siècle, un accident tous les vingt ans pour être large et toutes les centrales nucléaires arrivent une à une en fin de vie… La menace doit croître inévitablement…

Pour le Japon on peut établir, après quelques hypothèses simplificatrices, une fourchette de survie théorique et l’estimation dépasse malheureusement le siècle, une éternité à l’échelle humaine.

Si l’on trace un cercle de cinquante kilomètres de rayon autour de chaque centre nucléaire on individualise sur le territoire japonais une douzaine de zones nucléaires indépendantes, là où les cercles ne se touchent pas. Avec un accident type Fukushima tous les 20 ans, la pègre technocratique peut tabler sur une espérance de vie théorique nettement supérieure à deux siècles. Sa seule contrainte sécuritaire est de rester innovante dans les jeux vidéo débiles et les dessins animés stupides. Elle doit être imbattable dans « l’abêtissement » systématique des masses. Ou plus précisément, sa survie se situe dans sa capacité de les rendre de plus en plus stupides et débiles en conservant le même succès planétaire. « Wii U, PS3 Wii XBox » la guerre fait rage pour dominer l’abêtissement du monde, « Le nombre des adeptes de jeux vidéos peut augmenter de 50 % » s’enthousiasme un responsable industriel Japonais alors que des cœurs de réacteurs nucléaires sont toujours en fusion dans son pays, à quelques centaines de kilomètres de la capitale.

Pour établir cette fourchette de survie théorique, on a fait de nombreuses hypothèses simplificatrices: d’abord une totale inefficacité des mouvements anti-nucléaires japonais, le discours écologique étant annihilé par la redoutable efficacité des « petites plaques » scintillantes aux écrans tactiles. Ensuite on a supposé une capacité toujours inépuisable des scientifiques et informaticiens japonais d’innover dans la stupidité des gadgets et bien sûr on a aussi considéré des matières premières inépuisables… Lorsque dans un siècle ou deux le Japon sera une terre dévastée submergée par ses déchets industriels ou par quelques autres « événement nucléaires », lorsqu’il sera définitivement invivable, la pègre technocratique, si elle reste toujours capable d’innover dans la stupidité des marchandises, sera contrainte d’émigrer pour colporter son « savoir faire »…

Petit Historique de l’abêtissement systématique.

A l’ère « paléotechnique » (2) au 19e siècle l’abêtissement des masses laborieuses était essentiellement physique, avec un statut de bête de somme, hommes, femmes, enfants subissaient une utilisation terminale à la mine et à l’usine. A l’ère « néotechnique » au 20e siècle il devient psychologique. On peut décrire deux phases dans le contrôle des consciences, avant et après la Deuxième Guerre mondiale, avant et après les maîtrises fines et technologiques des diverses énergies. Dans la première moitié du 20e siècle c’est la discipline scolaire qui domine et enseigne les rudiments de nationalisme ou de patriotisme guerrier et économique. Dans la deuxième partie du 20e siècle avec la « démocratisation de la télévision », l’abêtissement de masse devient en lui-même un axe fabuleux de développement industrielle.

George Orwell, dans son roman 1984 faisait dire à un des personnages du pouvoir : « notre maîtrise sur la matière est déjà absolue », « le pouvoir est le pouvoir sur d’autres êtres humains », « sur le corps et surtout sur l’esprit ». C’est exactement le programme de l’industrie du divertissement, elle vise le psychisme, abolit les âges de la vie dans l’abêtissement général, il n’y a plus d’enfants, d’adolescents ou d’adultes, tout le monde s’amuse en permanence…

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L’abêtissement de masse est une nécessité politique du militarisme depuis les origines de l’histoire. Si les premiers valeureux soldats livrés à eux mêmes assuraient ce divertissement par une cruauté débridée et le viol des femmes, Rome, le premier grand complexe militaire durable de l’Antiquité est resté célèbre par les « Jeux du Cirque », ses combats de gladiateurs et tueries animalières dans les arènes du Colisée. Dans cette grande industrie du spectacle au sens moderne la sublimation esthétique de la cruauté a atteint des sommets encore inimaginables aujourd’hui. Au stade des complexes militaro-industriels, la cruauté passe au second plan, devient virtuelle et s’efface derrière l’abêtissement beaucoup plus efficace et plus rentable dans le contrôle de conscience des masses. Le chiffre d’affaire de cette industrie voltige dans les centaines de milliards de dollars.

La pérennité de la pègre nucléaire est à ce prix, elle turbine pour le Toyotisme et sa large base de masse laborieuse et dévouée dépend plus de la prolifération de ces gadgets high-tech que des discours politiques techniques ou scientifiques pro-nucléaire ou pseudo-écologique pour « sauver la planète ».

Le complexe militaro-industriel et sa pègre technocratique sont consubstantiels au nucléaire, mais leur survie dépend de la production industrielle constamment renouvelée d’une base de masse sociale de plus en plus addictive à tous ces objets ludiques. L’industrie du divertissement est la véritable arme secrète du complexe militaro-industriel.

Aujourd’hui grâce à la science des matériaux, à la microélectronique et aux diverses maîtrises microscopiques de l’énergie, le divertissement se présente sous la forme d’une petite plaque scintillante d’où jaillissent des sons et des images par milliards de milliards, des musiques, des films par millions de millions.

« Parades de Mort », « De la Mégalopole à la Nécropole »

Il existe un antécédent historique majeur pour illustrer l’interdépendance de l’industrie de guerre et celle du divertissement. Retour à Rome pour comprendre…

Dans son ouvrage monumental quasi cyclopéen, « La Cité à travers l’Histoire », Lewis Mumford s’attarde longuement sur cette entreprise du divertissement de masse et son importance fondamentale pour assurer la paix sociale dans la Rome antique.

Dans cette illustre Cité État à la tête d’un immense Empire, véritable modèle tout à fait moderne de complexe militaro-industriel, le divertissement a pris des proportions colossales à tous les points de vue: urbanistique, économique, technique, artistique, et aussi zoologique pour assurer une fuite perpétuelle de la cruauté dans la démesure.

Le chapitre du livre consacré à cette ville de Rome porte le titre très suggestif: « De la Mégalopole à la Nécropole » et le paragraphe spécifique à l’industrie du divertissement: « Parades de mort ».

« Avant même que la République eut fait place à l’Empire, Rome était devenue une immense chambre de torture; et comme le remarque Sénèque, en courant assister aux supplices des criminels, sa population pouvait s’imaginer assister à son propre supplice. Les Romains goûtaient si fort ces spectacles sadiques, qu’ils ne furent pas interdits après la reconnaissance du christianisme comme religion officielle. Alors que les Vandales attaquaient la ville d’Hippone, patrie de Saint Augustin, les derniers cris des défenseurs sur les remparts se mêlaient aux clameurs des spectateurs dans les Arènes, qui dans l’imminence du péril, n’avaient pas renoncé à leur plaisir quotidien (3). »

Jusqu’à l’effondrement final de l’Empire, venu de l’extérieur, on se divertissait, tout bêtement. Les crises sociales internes déjà majeures vers la fin de la République, n’ont fait que s’amplifier sur les 5 siècles de notre ère. Elles étaient gérées par les « jeux » et « spectacles » dans les cirques et les arènes, tout bêtement.

Aujourd’hui encore on retrouve une problématique exactement identique, même si l’horreur et la cruauté se sont quelque peu effacées en devenant fictives pour une large part, l’abêtissement lui n’a pas cessé de monter en puissance. On les produit en quantité industrielle et elles se vendent à merveille dans les immenses masses urbaines.

Les classiques sont restés les mêmes, les diverses courses de chars hippo- ou zoo-mobile dans le cirque ont été remplacées par les diverses courses automobiles sur circuit ou sur route. Les vastes tueries animalières du Colisée se sont perpétuées avec les corridas, les combats de gladiateurs avec ceux des boxeurs, les Jeux Olympiques ont été rétablis avec le triomphe mondial des complexes militaro-industriels… En 1945, George Orwell s’est intéressé à la montée en puissance du sport à l’époque contemporaine, il a argumenté sa fonction politique comme source de violence dirigée au service du pouvoir et du capital (4)… Son analyse n’a fait que se confirmer par la suite à la mesure « orwellienne » de son roman 1984…

Le Colisée pouvait accueillir 50.000 spectateurs pour ses combats de gladiateurs ou tueries animalières, restés ininterrompus jusqu’à la fin de l’Empire. En juin 2011 malgré la catastrophe historique de Fukushima et son onde de choc internationale, le haut responsable de Nintendo enthousiaste avec sa nouvelle boite de jeux, table sur 500 millions de nouveaux adeptes.

L’industrie de l’abêtissement de masse est autant dépendante du nucléaire que le nucléaire de l’abêtissement de masse. Les perspectives réjouissantes perçues par un haut responsable de Nintendo, laissent penser qu’il n’y aura pas de « printemps japonais » susceptible de renverser la tyrannie nucléaire de ce pays. L’espérance de vie théorique estimée à plus d’un siècle pour ce complexe militaro-industriel n’est donc pas exagérée.

Tours le 11 août 2011

JMS

(1) Le Monde Dimanche 12 juin 2011

(2) Lewis Mumford « Technique et Civilisation » (1934), Paris, Le Seuil, 1976.

L’auteur individualise trois ères de développement de la technique, l’ère « éotechnique » très industrielle et rurale, l’ère « paléotechnique » industrielle du 18-19e siècle en Europe avec le charbon et la sidérurgie et l’ère « néotechnique » dominée par l’électricité et le pétrole avec maîtrises diverses des conversions énergétiques…

(3) Lewis Mumford « La Cité à travers l’Histoire » 1961, Seuil 1964

(4) George Orwell « Essais Articles et Lettres » volume 4 (1945-1950) Ed de l’Encyclopédie des Nuisances 2001 « L’esprit du sport » article Tribune 1945, page 53.

Crédit Image: Orange mécanique de Stanley Kubrick

2 commentaires sur “L’espérance de vie théorique d’un complexe militaro-industriel

  1. MOA

    « La technologie * règlera tous les problèmes. »

    Amen (bis)

    * Disons… quand le marché n’a pas trouver la solution. Mais bon… comme « le marché trouve toujours la solution ». Amen (re)

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