Les mythes de l’Âge Atomique

Les mythes de l'Âge Atomique

Réflexion sur l’après Fukushima, 4e partie

L’argent est le nerf de la guerre, y compris religieuse. Les mythes de l’Âge Atomique ont peut-être germé spontanément dans la tête d’un illuminé, mais pour les propager efficacement il a fallu d’importants financements. Et les membres du clergé atomique n’ont pas fait vœux de pauvreté.

Après l’apocalypse de Fukushima, nous sommes peut-être en train de vivre la toute dernière décennie de la très glorieuse et très riche église de l’Âge Atomique. Ses mythes relèvent désormais de l’obscurantisme.

L’internationale des travailleurs du nucléaire.

Plus connue sous le nom d’AIEA, l’Agence internationale à l’énergie atomique est une émanation des États-Unis par l’intermédiaire de l’ONU, l’organisation dite des « Nations Unies ». Mais en toute objectivité il s’agit bien d’un cartel des États unis puisque ce sont bien eux, les États, qui siègent dans la vénérable institution. Par ce seul état de fait, l’ONU reste encore aujourd’hui un ramassis de tyrannies sous la coupe des États-Unis, plus que de nations…

L’AIEA est une agence internationale de propagande pour l’avènement mondial de l’Âge Atomique, elle a été fondée en 1957. Dans l’honorable institution elle a d’emblée été dotée de pouvoirs exceptionnels avec une position hiérarchique particulière. L’OMS par exemple doit allégeance permanente à l’AIEA. Sur les sujets sensibles d’énergie, elle est tenue de faire relire et corriger ses textes pour les mettre en conformité avec les dogmes de l’Âge Atomique.

L’AIEA placée au plus haut niveau de la vénérable institution doit rayonner par toute sa splendeur de radioactivité culturelle et scientifique, car elle est une nouvelle église avec une bonne nouvelle pour ouvrir une nouvelle ère.

Son dogme central est « l’immaculée conception du nucléaire », fondé sur un trépied conceptuel. Paix, Prospérité, Santé dans le progrès, il s’illumine dans une sorte de trinité de trois mythes : « atome pour la paix », « atome pour la prospérité » et « atome pour la santé ».

A l’époque glorieuse de sa fondation, dans le monde entier se construisait la « Pax Americana ». Pour l’aura de cette nouvelle ère de développement industriel, il fallait laver et purifier la Nation Mère du Nouveau Monde de son double « péché originel », Hiroshima et Nagasaki. « Crime de guerre » et « crime contre l’humanité » selon la terminologie officielle, si elle pouvait être appliquée au pays grand vainqueur de la seconde guerre mondiale. Les historiens savent depuis longtemps que ces deux actes criminels étaient totalement inutiles sur le plan militaire. Le Japon avait depuis longtemps perdu la guerre et, comme le rappelle à sa manière Günther Anders « Sa production (la bombe atomique) n’avait à l’origine pas d’autre fin que de contrer l’expansion de « l’annihilisme » national-socialiste » (1)…

Pendant que les puissances militaro-industrielles dominantes sorties victorieuses de la Seconde Guerre mondiale faisaient battre la terre « d’essais atomiques » pour perfectionner et multiplier les armes de destruction massive, l’AIEA dotée de puissants moyens et d’une position exceptionnelle dans la vénérable institution allait à travers la Terre évangéliser les nations. Elle était porteuse de la bonne nouvelle de l’avènement de l’Âge Atomique.

Dans ses séminaires, les hauts diplômés en scientologie nucléaire construisaient et renforçaient le dogme central de « l’Immaculée Conception » avec le développement d’une nouvelle notion: la « ceinture de chasteté » antimilitaire du nucléaire.

Dans leurs sphères éthérées, le haut clergé de l’église nucléaire traçait soigneusement des « axes du bien et du mal » pour assurer une chasteté conceptuelle entre les diverses installations matérielles du nucléaire et ainsi atteindre la « double immaculée conception du nucléaire »… Réacteur de recherche, Réacteur d’énergie, usines d’enrichissement, centre de retraitement sont redistribués selon l’organigramme de chasteté nucléaire entre « halal » « permis » et « haram » « interdit ».

Depuis sa création, cette Agence internationale est en perpétuelle ébullition, car des points litigieux apparaissent sans cesse dans le monde bassement matériel du nucléaire, le « haram » désinhibé interpénètre parfois impudiquement et trop profondément le « halal », la chasteté n’est jamais parfaitement assurée. Alors sans relâche une myriade de prosélytes sillonne le monde pour assurer l’intégrisme dans les pratiques nucléaires et les mettre en conformité avec la « bonne parole ».

Les agents sont souvent engagés dans d’interminables et difficiles négociations et souvent sensibles, parfois très éprouvantes. Certains d’entre eux, pour leur dévouement, leur exceptionnelle clairvoyance ainsi que pour leur intégrisme irréprochable ont atteint l’état de sainteté nucléaire avec une béatification par un prix Nobel de la paix. Mohamed El Baradei en est l’illustrissime personnification. Auréolé de ce passé glorieux au service de l’avènement d’un « New Age » Atomique, paix, prospérité, santé, il s’élève parmi les biens heureux dans la perspective d’un avenir radieux. La conjoncture est heureuse pour lui, avec le changement de personnel des vieilles tyrannies militaires de l’ère pétrolière dans le monde Arabe. Il est déjà pressenti pour assurer la consécration nucléaire de l’Égypte, son pays d’origine.

La prolifération nucléaire, une nécessité intrinsèque du nucléaire

Mais cessons d’être dupe, sur les bonnes intentions affichées de l’Agence internationale. Comme pour cette croisade scientologique mondiale menée depuis un demi-siècle par la vénérable institution pour sanctifier le nucléaire, des milliards de dollars ont aussi été le nerf d’autres guerres. Dans aucun pays l’atome n’a apporté la « paix », la « prospérité » et la « santé ». En Afrique où des installations « halal » de recherche ou énergétique ont fait leur apparition, les maladies infectieuses prolifèrent et en Occident massivement nucléarisé se sont les cancers qui se multiplient sans entrave. Même en « Terre Promise », la guerre est restée perpétuelle et la prospérité très éphémère. Mais il est vrai qu’en ce haut lieu religieux, où les questions litigieuses des canons sacrés sont âprement discutées, la France a pu faire l’offrande (moyennant finance) dans les années soixante d’une installation nucléaire « haram » de retraitement (2).

Les « terrifiantes » manigances nucléaires en Iran ou en Corée du Nord mises en scène et en évidence par l’AIEA ne lui servent que de faire valoir. Pour asseoir son pouvoir, celui de l’internationale des travailleurs du nucléaire et faire croire à sa « trinité atomique » elle stigmatise un « axe du mal ».

Dès le début, la « prolifération nucléaire » est intimement liée au nucléaire dit « civil » par simple nécessité économique. Et la France l’a très bien compris, en fait il n’y a rien à comprendre c’est la dure réalité d’un monde dominé par l’obsession de l’énergie, car son monopole est source absolue du pouvoir.

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Pour lancer et financer son aventure nucléaire la « France qui n’a pas de pétrole mais qui a des idées », comme l’exprimait une figure fossilisée de la technocratie française, a eu l’idée de rechercher des pétrodollars. C’est comme ça que la prolifération nucléaire a commencé et d’emblée le nucléaire apparaît dépendant des énergies fossiles. Parmi les premières tyrannies pétrolières, l’Iran du Shah a été immédiatement pressenti comme un très bon partenaire. Plein aux as en pétrodollars, le tyran de ce pays est aussi comblé par toute la panoplie militaire high-tech made in USA, il ne lui manquait plus que la consécration nucléaire. La France a tenté sa chance, pour le financement de son centre « européen » d’enrichissement du Tricastin. Refourguer du matériel « halal » au Shah contre des pétrodollars, voici le deal du pays qui n’a pas de pétrole mais veut des pétrodollars… Mais l’Histoire au cours de l’une de ses secousses a malheureusement passé à la trappe le rutilant tyran. Par chance une autre tyrannie pétrolière encore plus sanguinaire a pris sa place et les pétrodollars continuent à faire turbiner les centrifugeuses. L’Iran religieusement situé sur « l’axe du mal » est resté, dans le mode bassement matériel des affaires, « partenaire financier » d’Eurodif …

Les tyrannies pétrolières Iran, Irak et les régimes d’apartheids, Afrique du Sud et Israël, ont été dès les années 1970, les grands partenaires du nucléaire français.

La dernière tyrannie pressentie par la France a été celle du général Kadhafi en Libye. Mais là encore l’Histoire a passé à la trappe l’illustrissime tyran sanguinaire… Depuis le début de « l’atome pour la paix la prospérité et la santé » le nucléaire pue les pétrodollars et fréquente tous les types de régime mais de préférence militaire, sanguinaire, et d’apartheids…

Dernière pétromonarchie pressentie par la France Les Émirat Arabes unis, Là toute la brochette énergétique et bétonnière avec les huiles et le gratin technocratique national étaient sur le pont EDF, GDF Suez, Aréva, Total Vinci et Alstom. Mais nouveau coup dur pour la France fin 2009 Abou Dhabi a signé avec la Corée le contrat de 20 milliard de dollars. Pour cette fois l’implication de la France dans la « prolifération nucléaire » ne peut pas être retenue. Après toutes ses mésaventures, la France nucléaire d’Aréva n’a plus d’autre solution pour la commercialisation de son EPR que la Françafrique. Les Bokassa et leurs diamants (3).

Première fille de la nouvelle église et fin d’un mythe

Mais dans le monde à l’Âge Atomique, le titre de première fille de la nouvelle Église Nucléaire revient sans conteste au Japon. La France pour sa part, malgré son prosélytisme exemplaire relève entièrement de la pure et dure matérialité historique et technique du nucléaire pour la guerre. Essais nucléaires, missiles nucléaires, portes-avions nucléaires, sous-marins nucléaires lanceurs d’engins nucléaires… Une panoplie nucléaire parfaite en recherche permanente sur le marché de tyrannies intéressées, telle est la réalité du nucléaire à la française.

Le paradoxe Japonais de la prolifération du « nucléaire pour la paix et la prospérité » n’est pas entièrement expliqué par le prosélytisme de l’AIEA. Dans ce pays polytraumatisé, par la guerre, les bombardements incendiaires, la perte de la guerre et les bombardements nucléaires, les États-Unis ont préféré se charger eux même d’une thérapie de choc, soigné le mal par le mal, le nucléaire pour la guerre par le nucléaire pour la paix. Mais des facteurs internes hérités de l’ère impériale et guerrière de Japon ont aussi été à l’œuvre pour faciliter la tâche des État Unis.

La fusion de tous ces facteurs historiques militaires et religieux ont métamorphosé de manière miraculeuse Hiroshima et Nagasaki ces deux traumatismes nucléaires, pour les mettre au service de la nouvelle guerre économique avec le Toyotisme.

Les historiens, gardiens de la mémoire savent comment Hiroshima et Nagasaki ont été instrumentalisés au service de l’aventure nucléaire du Japon. Pour la construction de la centrale de Fukushima une anecdote a refait surface après la catastrophe. La population locale n’était pas favorable à la centrale, les habituels arguments techniques et économiques ne les l’avaient pas convaincue… Alors un employé de Tepco a su trouver les mots et formules pour leur prouver son honnêteté et être l’homme le plus autorisé à comprendre leur craintes. Il a dit qu’il était présent à Hiroshima le 6 août 1945 le jour où la ville a été réduite en cendre par la bombe atomique, il a précisé aussi que son frère avait péri. Il était un « ancien d’Hiroshima » meurtri dans sa chair et dans son esprit, auréolé de ce passé souffrance il ne pouvait donc pas mentir comme un vulgaire technocrate et les gens l’ont cru et la centrale a été construite. Beaucoup d’agents du nucléaire mais aussi d’intellectuels officiels ont largement instrumentalisé le passé et le traumatisme d’Hiroshima et Nagasaki pour construire et crédibilisé le mythe de l’atome pour la paix, la prospérité et la santé (4)

Aujourd’hui toutes ces histoires refont surface et prennent un goût amer, celui du mensonge systématique de toute une clique d’élite au service du pouvoir.

En 2011, l’association japonaise des victimes des Bombes A et H (5) créée par des victimes d’Hiroshima et Nagasaki, a décidé lors des commémorations des bombardements de militer pour la dénucléarisation totale de l’Archipel. Les mythes de l’Âge Atomique ayant germé il y a un demi-siècle dans la tête de scientifiques éclairés relèvent désormais de l’obscurantisme.

Tours le 12 septembre 2011

JMS

(1) Günther Anders « L’obsolescence de l’homme » Ed. Ivrea 2002 « Annihilation et nihilisme page 338

(2) La Recherche n° 127 novembre 1981. Martine Barrère «  Le nucléaire, l’énergie qui mène à la bombe »

(3) Jean Marc Sérékian « La Course aux Énergies« , Ed. Libertaires 2011, Chapitre 6 « Voici venu le temps des centrales nucléaires ! »

(4) Courrier international n° 1085 18-24 août 2011.

(5) Des bateaux de pêche japonais ont été contaminés par les retombées radioactives des essais de la bombe H effectués par les États-Unis sur l’atoll de Bikini.