A Verdun le Cèdre est tombé cet été

« Maudit Corbillard! »

L’automne 2011 a commencé par une soudaine vague de froid et les rouges-gorges, arrivés en grand nombre, se sont fait entendre un peu partout dans la ville. D’où proviennent ces chants d’automne dans une ville où les arbres de l’espace public sont tombés par milliers en l’espace de trois années? Des particuliers tourangeaux, de leurs petits jardins privés encore arborés, eux. La biodiversité de ces espaces préservés, encore inaccessible aux tronçonneuses des pouvoirs publics, est l’une des caractéristiques écologiques de cet habitat avec la qualité de vie qu’il permet sur une surface souvent réduite. Mais cet habitat, comme tous les arbres encore debout en ce mois d’octobre, est aujourd’hui lui aussi menacé, car avec l’éco-mobilité du tramway arrive aussi l’éco-habitat « densifié » du nouvel urbanisme technocratique et concentrationnaire avec tous ses labels verts en oriflamme de vente…

Après l’hécatombe du printemps, les massacres ont continué pour satisfaire tout le programme d’abattage de l’état major municipal. La résistance des activistes a été écrasée. A Verdun le cèdre est tombé et sur l’avenue Grammont tous les arbres condamnés par l’éco-mobilité sont tombés aussi.

Un cèdre esseulé au carrefour de Verdun

En février 2011, sur la portion du boulevard Winston Churchill concernée par le passage du tramway, tous les arbres avaient été abattus. Un alignement d’une dizaine de peupliers était tombé. Au niveau du carrefour de Verdun, du côté ouest, le magnifique cèdre dans la force de l’âge avait échappé au massacre, il subsistait avec son compagnon du côté est au centre de sa pelouse. Après l’élimination des peupliers, les travaux du tramway avaient immédiatement commencé. En juin le cèdre était toujours debout et une incertitude persistait sur son sort. Mais si de toute évidence sur les plans de maître d’oeuvre le trait du trajet condamnait le cèdre, un espoir ténu subsistait.

Un an plus tôt, en juin 2010 Alain Beyrand, conscient de cette menace après une lecture précise des plans, lançait auprès de la commission d’enquête une « Requête pour garder le cèdre du carrefour de Verdun ». Elle n’a pas été entendue, comme la presque totalité des requêtes faites par les tourangeaux. Le mercredi 6 juillet 2011 au matin ce cèdre a été abattu, comme prévu par le programme d’abattage de la municipalité. Tout l’argumentaire pour préserver l’arbre est resté lettre morte (1). Pourtant, ces propositions, en plus de vouloir préserver l’arbre patrimonial, corrigeaient dans le même temps une inconséquence technique évidente du tracé. Au carrefour de Verdun, la voie initialement prévue faisait un virage très serré. Avec un long tramway de 7 rames on imagine aisément, sans être expert, l’importance du ralentissement pour franchir ce passage. La contre proposition faisait justement débuter plus tôt le virage avec un rayon de courbure plus grand… L’arbitraire a donc été total, l’inconséquence initiale a été maintenue en pleine conscience et le cèdre patrimonial est maintenant abattu.

La requête d’Alain Beyrand pour préserver le cèdre rappelait aussi son importance esthétique dans l’ancien plan d’urbanisme. La ville de Tours se situe entre deux fleuves. Le carrefour de Verdun avec ses deux cèdres marque une limite sud de la ville juste avant le Cher. A l’opposé, au Nord, juste avant la Loire se trouve la Place Anatole France avec aussi ces deux cèdres de même âge. Puis des ponts enjambent les deux fleuves sur l’ancienne route nationale Paris Bordeaux. En ces deux lieux situés sur l’axe méridien historique de la ville, l’ancien urbanisme avait donc planté quatre cèdres et dans un souci esthétique ils assuraient une certaine symétrie. Elle vient d’être brisée. L’hécatombe continue, le chiffre des milles arbres abattus est maintenant largement dépassé et après les violences policières pour écraser la résistance des activistes, l’on s’achemine vers les deux milles arbres sacrifiés sur l’autel du « développement durable »…

La nouvelle offensive urbanistique du capitalisme

La violence avec laquelle on procède au renouvellement de la ville de Tours n’atteint pas celle mise en œuvre dans la plupart des villes de Chine. Dans ce pays, des hommes et des femmes, confrontés à la puissance dévastatrice des bulldozers, en arrivent souvent au suicide. Dépossédés de leurs biens, de leur maison et de leur lieu de vie, désespérés, ils mettent fin à leurs jours. Certains discrètement en coulisse mais d’autre le font en protestation par immolation sur la place publique.

En France, « il n’y a pas eu mort d’homme! » comme on dit, personne ne s’est immolé sur la place publique, seuls les arbres qui tombent en grand nombre et les brutalités policières révèlent la violence intrinsèque du projet urbanistique. Mais en France comme en Chine l’arbitraire des autorités publiques est le même, dans sa dynamique économique dévastatrice, il relève des partenariats très étroits entre les pouvoirs publics et les transnationales. La ville est disséquée en concessions d’exploitation et livrée aux engins de chantier. En France comme en Chine la ville est pensée « hors sol » en bureau d’étude et les habitants dans leur habitat historique sont au mieux considérés comme une variable d’ajustement quand ils ne sont pas complètement ignorés ou éliminés.

Dans tous ses aspects, technique, juridique, spéculatif, en France comme en Chine,  la logique politique de cette violence sur l’habitat d’origine peut et doit être analysée en termes militaires. Si la formule « reconquête de l’espace urbain » est souvent proclamée par les autorités publiques, il faut lui associer le perfectionnement technologique et sécuritaire de la ville.

Comme en Chine, on est en présence d’une nouvelle offensive du capitalisme dans une sorte de « new deal ». Il semble jouer sa survie par la fuite en avant dans l’inutile de la démesure. Partout il s’agit de donner de la terre à terrasser aux bulldozers, des espaces à construire aux transnationales. Partout les gratte-ciel doivent s’élever très haut dans la démesure et à Tours on attend notre future tour Montparnasse à côté de la gare TGV et un « village vertical » doit s’ériger dans la plaine alluviale remblayée du Cher. Mais partout dans le même temps, par cet urbanisme du « stade Dubaï » du capitalisme (2), il s’agit de produire une population urbaine « hors sol » et « sans pied à terre », un marché intérieur avec sa clientèle captive à tous les monopoles.

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La violence extrême de l’urbanisme atteinte en Chine s’explique par le télescopage des diverses phases du développement du capitalisme. L’exode rurale, produit de la guerre aux chaumières, se fait à marche forcée. La ville se remplit en même temps qu’elle se construit, et l’on passe directement des paysans « sans terre » aux « sans pied à terre », du sol dévasté à la « cage à lapins » ou au « poulailler industriel » humain… Ce processus historique d’urbanisation forcée des populations s’est étalé sur presque un siècle en France après l’abattoir industriel de 14-18, suivi de la purge du monde rural par remembrement agricole et de la PAC…

Avec la « densification la ville », on entre dans la phase économique des « sans pied à terre » de l’intégral urbain.

L’intensification de l’artificialisation technique et sécuritaire de l’espace urbain fait croître encore le pouvoir politique des transnationales et lui livre des hommes et des femmes sans histoire, sans passés, des Homo economicus dociles et prévisibles intégrés dans les divers réseaux de la grande distribution. Rangé dans une case éco-labellisée d’un bâtiment basse consommation, l’heureux agent usagé de la ville pourra s’intégrer dans les circuits balisés du Géant Bleu de l’ameublement pour agrémenter son appartement. Ici comme en Chine le Géant Bleu est présent…

Chaque transnationale tisse son réseau international, la grande distribution bien sûr, le commerce en ligne et la réorganisation des villes visent à leur livrer une clientèle captive. Dans la première décennie du 21e siècle l’agglomération tourangelle est devenue un nœud autoroutier. Par cette promotion dans la grande circulation, elle s’intègre à l’empire autoroutier privé Vinci. Cette Transnationale possède l’empire souterrain du parking automobile de la ville et sa filiale Eurovia la voirie et son entretien de l’agglomération. Le chantier est permanent, marchés publics…

« Maudit Corbillard ! »

Si la résignation devant la puissance de frappe des transnationales du BTP domine ici à Tours comme dans d’autres villes en France et certainement comme en Chine, la conscience de cette violence existe bien au-delà des associations naturalistes et des collectifs mobilisés pour la défense du patrimoine arboré.

Lorsque les engins de chantier se sont positionnés et mis en action sur l’avenue de Grammont, l’axe méridien de la ville où se faisait le sprint final de l’arrivée du « Paris Tours », une vieille habitante de la ville excédée a crié son indignation.

Sa prise de position spontanée retranscrite dans la presse locale donne à lui seul la mesure de l’hécatombe. Au sujet du « tram miroir », fantasmé par le maire comme un « navire amiral », elle a parlé de « Maudit Corbillard ». Voici les principales lignes de sa prise de position spontanée.

« Je pleure de rage lorsque je descends l’avenue Grammont en voyant les magnifiques platanes que l’on va assassiner sur l’autel de la bêtise. Pour nous, les Tourangeaux, l’avenue Grammont, c’est nos Champs-Élysées. » Et de se demander pourquoi les Tourangeaux « certes réputés pour leur inertie » ne descendent pas dans la rue. « Que font les écolos? J’espère que le jour où on inaugurera ce « maudit corbillard » on fera une cérémonie d’obsèques aux 2.500 arbres sacrifiés« , puis parlant des bûcherons, « pourtant censés être les gardiens de notre écosystème. Ils doivent avoir le cœur brisé lorsqu’ils abattront ces arbres magnifiques qui, au plus fort de l’été tourangeau, nous assuraient un peu de fraîcheur » (3) (4).

Dans de nombreuses villes les « Gauches Plurielles » ou couple « Vert Rose » ont su recourir aux violences policières pour détruire des espaces arborés et assurer leur démesure urbanistique… A Grenoble, la « Gauche Plurielle », arrivée au pouvoir en 1995 comme à Tours, veut son Colisée des temps moderne, un Grand Stade des Alpes de 20.000 places avec un parking souterrain de 1000 places.

Le Parc Mistral, patrimonial pour les Grenoblois, a été la victime sacrificielle de la volonté municipale. Une décennie de résistance pour sauver le parc est écrasée par la charge des CRS (5)…

La vieille dame indignée, visiblement pas au courant de la résistance des activistes du Codat posait la question « que font les écologistes?« . Dans sa tête, elle pensait aux « Verts ». Les activistes du comité de défense des arbres de Tours le savent et peuvent lui répondre: ils se taisent par discipline politicienne quand le maire a recours aux violences policières. L’ordre règne à Tours.

Dans d’autres villes, les arbres et les habitants apparaissent parfois mieux s’en sortir. Question politique. Non pas que les pouvoirs publics se soucient de leurs « administrés » et de leur cadre de vie, la logique mercantile des marchés publics est impitoyable pour les arbres des villes, mais les rapports de forces ne laissent pas forcément le champ libre aux massacres. A Nîmes, le pouvoir juridique s’est courageusement opposé au pouvoir politique. Pour faire cesser les abattages commandités par la municipalité pour son TCSP. Pour Tours, malgré l’illégalité et les irrégularités de certains travaux, le pour voir juridique est resté totalement sourd à tous nos recours.

Il faut dire qu’à Nîmes, la mobilisation des habitants a été très forte et précoce et le maire n’avait pas dans sa poche des « Verts » serviles comme à Tours. En coulisse aussi, ne s’activait pas non plus la « Main invisible » du mastodonte Alstom, véritable hydre du pouvoir économique. Le TCSP Nîmois en première ligne n’est qu’un bus à haut niveau de service.

A Tours, la responsabilité des Verts locaux dans l’hécatombe du patrimoine arboré est énorme.

(1) L’exécution d’un des deux cèdres du carrefour de Verdun
http://pressibus.free.fr/blogcvl/verdun/index.html
(2) Mike Davis « Le Stade Dubaï du capitalisme » Ed. Les Prairies ordinaires 2007
(3) La NR 15/06/2011 « Tram : ne pas massacrer nos  » Champs-Élysées  » »
(4) le chiffre de 2500 arbres peut correspondre au total des arbres abattus sur la ville au cours de ces trois dernières années. Pour les seuls travaux du tramway Alain Beyrand en a déjà comptabilisé 1300.
(5) Le Stade des Alpes n’aura pas lieu. Grenoble 2001 2008. Texte Nathalie Carton, Photos Franck Boutonnet, Pablo Chignard. Impression Alias

5 commentaires sur “A Verdun le Cèdre est tombé cet été

  1. Alain

    A vrai dire, l’humanité est foutue alors profitez-en bien. Adieu les arbres, les insectes, les oiseaux, et vive mon Ipad, mon Iphone, ma voiture neuve, mon écran plat, mon voyage au soleil. Vive le mur et cherche à comprendre, j’m’en fous, j’ai mon portable à recharger alors tes abeilles, tes fleurs et ta biodiversité, c’est juste bon pour mon fond d’écran que je partage sur Facebook.
    Aucun espoir pour qu’on arrive à rester en dessous de 2° de plus au niveau du réchauffement climatique. On s’en va allégrement vers les +5 à l’horizon 2100 donc fin de l’homme. Enfin! La terre va pouvoir se régénérer sans son cancer à deux pattes.
    http://petrole.blog.lemonde.fr/2011/11/06/trop-tard-pour-limiter-le-rechauffement-a-2%C2%B0c-selon-nature/

  2. LEGEOGRAPHE

    Alain, j’ai eu un peu de mal à comprendre votre commentaire, mais je suis allé lire l’article dans votre lien, et c’est un article passionnant (et flippant, aussi…).

  3. Alain

    Le début de mon commentaire était ironique et montrait l’état d’esprit général.
    La fin de mon commentaire était sérieux. Le cancer à 2 pattes que nous sommes n’a plus que 90 ans devant lui avant de disparaitre totalement car il ne pourra survivre à une hausse de 5° sans famines, sans guerres, sans chaos auto-destructeur.
    D’ailleurs, ce sera peut-être plus tôt que prévu, vu qu’avec L’Iran, on s’en va tranquillos vers la guerre nucléaire. Invraisemblable: c’est les pays nucléairisés qui ont inondés l’Irak, L’Afguanistan et la Libye d’uranium appauvri qui s’en vont faire la morale à un état qui finalement n’est pas plus dictatorial que nos fausses démocraties.

  4. LEGEOGRAPHE

    Oui, j’avais compris le ton ironique, bien sûr, mais j’ai bien fait de prendre au sérieux la présence du lien.

  5. Alain

    Le site annonce pire ces derniers jours:
    L’AIE qui dit qu’on est la veille du non-retour en ce concerne le climat:
    « La porte se referme. Je suis très inquiet – si nous ne changeons pas de direction maintenant dans la manière dont nous utilisons l’énergie, nous allons nous retrouver au-delà de ce qui, d’après les scientifiques, est la [sécurité] minimale. La porte sera fermée pour toujours. »
    Un reprise d’une interview de Rocard qui dit que c’est fini pour le pétrole et que si on ne change rien, c’est la cata économique.

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